Après remous, pandémie, doutes et deux reports, le 18e Sommet de la Francophonie, le Sommet du cinquantenaire de l’OIF, a finalement élu domicile à Djerba la douce, « île des rêves ». Ce havre de sérénité et de luminosité accueille les plus hauts représentants des 88 pays que réunit le partage de la langue française. Mais pas que. La langue de Voltaire, gage d’ouverture, de modernité, de culture et d’instruction, a été, pendant des décades, la voix de la liberté, de la modernité, de l’émancipation, hors Hexagone. Elle a été, et l’est encore, en Afrique francophone et dans les pays du Maghreb, pour ne citer que les pays du Sud, aux lendemains des indépendances, le support du partage des valeurs de démocratie, des Droits de l’Homme et d’humanisme. C’est un nostalgique de la belle époque du « Français » en chansons, en poèmes, en littérature ancienne, qui exprime sur ces colonnes son regret face au recul, spontané ou provoqué, de cette langue à une époque où les langues étrangères connaissent paradoxalement leur grande épopée à l’aune de la mondialisation et surtout grâce aux réseaux sociaux qui permettent d’avoir le monde au bout des doigts. Mais dans ce monde réduit à une scène virtuelle digitalisée, sans frontières, la concurrence est sans appel : les nouvelles technologies du numérique parlent la langue de Shakespeare. La Francophonie est donc à réinventer, à revaloriser, à renforcer pour qu’elle demeure un symbole de diversité et de richesse culturelles, de partage de valeurs humaines et de solidarité, et pour que l’espace francophone puisse apaiser ses cicatrices historiques et se débarrasser de ses phobies racistes. Il s’agit de pouvoir enfin se faire totalement confiance afin de relever les défis économiques, énergétiques, géopolitiques et environnementaux à venir.
Le 18e Sommet de la Francophonie se déroule dans un contexte mondial critique marqué par la guerre en Ukraine, au cœur de l’Europe, et par ses graves incidences sur la sécurité alimentaire et énergétique dans le monde. La famine, le froid, la pauvreté menacent plusieurs pays et même une partie du monde après avoir atteint l’abondance, le progrès économique et technologique et le firmament. Le Sommet vient à point nommé pour rappeler que les choses les plus simples sont celles qui durent c’est-à-dire la paix, le dialogue, la solidarité. Elles n’ont pas de prix et ne coûtent rien, contrairement à la guerre et à la course aux armements.
En dépit des difficultés, du climat politique perturbé et de la crise socio-économique inédite, la Tunisie s’est attachée à l’accueil de ce Sommet et s’est attelée deux années durant à lui garantir la meilleure organisation possible. Le pays de l’un des quatre fondateurs de l’Organisation internationale de la Francophonie, Habib Bourguiba, a tenu ainsi à réaffirmer son ouverture sur le monde et son appartenance à l’espace francophone et à œuvrer pour le renforcement des liens entre les peuples francophones, une mosaïque de diversités linguistiques et culturelles. D’où le choix porté sur Djerba la Douce, île d’accueil où cohabitent les trois religions monothéistes – Islam, Judaïsme et Christianisme -, mais aussi terre de tolérance et de partage. Quel autre meilleur endroit au monde pour lancer un message d’espoir ? Oui, le rapprochement des pays et des peuples est possible quand la politique garde un visage humain.
Le thème du Sommet du cinquantenaire de l’OIF est de grande actualité. Le monde sera dans les années à venir de plus en plus digitalisé, mais devra faire face à un déséquilibre majeur conséquent aux inégalités de développement des TIC dans les différents pays francophones. Ce déséquilibre entravera la marche des pays avancés si l’innovation et le développement ne sont pas partagés. Ce pourquoi le Sommet de Djerba devra aussi être celui de l’exploration des opportunités d’investissements économiques, de transferts des technologies, de formation des jeunes et de mobilité des compétences. Quoi de mieux que le numérique et l’innovation pour répondre aux ambitions de réussite dans le monde du travail des millions de jeunes francophones. Non sans les langues étrangères : l’anglais (1ère place mondiale), le français (5e place) et d’autres. La maîtrise des langues est désormais incontournable pour la facilitation des échanges à travers le Net et la mobilité des jeunes compétences à la recherche d’expériences dans diverses contrées.
Une politique d’union des dirigeants francophones au sein d’une OIF plus forte, plus visible, plus solidaire est en mesure de créer un bloc politique, économique et culturel puissant, influent, à l’heure où le multilatéralisme reprend des galons. L’espace francophone ce n’est pas moins de 88 pays, 321 millions d’âmes qui se partagent la 5e langue parlée dans le monde (plus de 700 millions en 2050), 16% du PIB mondial. Pour ce faire, de nombreux obstacles devront être préalablement levés dont en premier, que les pays francophones du Nord croient réellement à la Francophonie. L’élaboration d’une politique migratoire respectueuse du droit de déplacement des personnes dans l’espace francophone ainsi que des droits de chaque pays à préserver ses intérêts et ses équilibres économiques et sociaux, est un autre obstacle, et non des moindres, à lever.
L’espoir est que la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement permette de tracer les orientations futures de l’action francophone qu’on veut transformatrice et en phase avec les enjeux de la conjoncture actuelle.
Il s’agit d’explorer les moyens susceptibles de créer de la richesse partagée, d’impulser l’employabilité des jeunes et de valoriser tout le potentiel dont recèle la région francophone dans une approche d’avantages réciproques, de co-responsabilité et de développement durable. L’avenir dépendra, à coup sûr, du positionnement des pays francophones dans l’économie mondiale. L’avenir dépendra aussi de l’image de la Francophonie car bien plus qu’une langue en partage, ce sont des valeurs communes que les communautés francophones ont en partage.
Quant au recul de la langue française, le problème résiderait davantage au niveau de la qualité de son enseignement dans l’école publique ainsi qu’à celui de son usage. De ce fait, le système éducatif public est au cœur des enjeux dans tous les pays francophones, et en particulier en Tunisie. Faire vivre le français et la culture française est une volonté politique et un travail de longue haleine. Et en Tunisie, il y a beaucoup de retard à rattraper à ce niveau, mais le prix en vaut la chandelle.
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