Ces jours-ci, un citoyen poignarde un muezzin. Pour nos amis nahdhaouis, l’enfer attend ce mécréant. Les enquêteurs, par formation, peu enclins à l’a priori de pareille interprétation, aboutissent à une tout autre version. Loin d’en vouloir à la religion, le coupable fut « agacé » par l’empêcheur de savourer la grasse matinée. A 4h30, le matin, « la prière est meilleure que le sommeil ».
D’où proviendrait pareil énoncé ? Mais gare à l’art de penser ! Parmi les divers usages de la religiosité, prospère aujourd’hui, l’art de menacer. En ces temps suspects où les takfiristes malmenés, traqués, revendiquent le droit de « takfiriser » au nom d’une soi-disant libre expression de l’opinion, les frères, aigris, défient la Police et la Justice.
L’ensemble de la société serait à « purifier ».
Voici deux décennies, Salah Zeghidi, un marxiste-léniniste pur, dur et sans peur, dénonçait la fureur des mêmes haut-parleurs.
Il incrimine le sort infligé aux habitants de Belli, minuscule agglomération villageoise où le minaret, aussi peu élevé que celui de Bilel, aurait suffi à la voix humaine de servir l’aubaine sans boucan asséné aux tympans.
Maintenant sous terre, Salah ne rouspète plus contre ce genre d’appel à la prière, mais le thème en l’air.
Sous Ben Ali, le puni par Hillary, l’une de mes étudiantes, une fois devenue sociologue, soulevait le même dilemme au Sénat pour conseiller une modulation moins élevée de la voix.
Mahmoud Tarchouna, mon collègue au 9 Avril et romancier, signalait ce thème controversé. Encore plus tard, un autre collègue, Mohamed Harzi, me présente une pétition à parapher contre les nuisances des sonorités diffusées par la mosquée proche de son espace habité. Un témoin du geste impie, le préposé à la surveillance de la grande surface me dit, sitôt le pétitionnaire-protestataire parti : « Ces gens-là ont dévoyé le pays ».
L’argumentation de Mohamed Harzi fut celle-ci : « Au moment où mes enfants dorment encore, comme ceux de l’entourage, les appels stridents les réveillent en sursaut et les perturbent avant le départ à l’école ». Quelle interprétation suggèrent ces multiples prises de position ? Au cas où l’ensemble des citoyens seraient, à la fois, musulmans de culture et de religion, aucun ne songerait à rouspéter contre l’appel à la prière même à l’heure tranquille où les gamins rêvent de contes subtiles. Comment trouver à redire au rituel de Bilel ?
Avec le paradis ou l’enfer, on ne badine guère ! Mais hélas, le clan voué aux turbans destine l’autre à la perdition. Ce clivage contribue aux ravages et à la violence déclenchés depuis l’usurpation du pouvoir le 14 janvier.
Une fois relâchés, les incarcérés organisent le pillage systématique de la société. Pour eux, toute vérité n’est pas bonne à dire, mais à la longue, le drame des spoliés peut finir par délier bien des langues. De partout et chaque jour fusent les dénonciations afférentes aux innombrables malversations.
Cependant, les uns noient le poisson dans l’eau où « nous sommes tous coupables » et les autres agitent « la démission des intellectuels », spectateurs indésirables.
A sa manière, Freud répond au que faire : « Je ne désire pas que la psychanalyse soit engloutie par la médecine et devienne une simple thérapeutique des névroses… Elle mérite un meilleur destin, celui d’éclairer l’interprétation des phénomènes humains collectifs, des civilisations, des grandes institutions tels que la religion ou l’ordre social ».
Aujourd’hui, en Tunisie, la manipulation politique de la religion est au principe de la dégradation.
Ainsi, un muezzin poignardé suffit à guider l’investigation vers la bipolarisation. Dans ces conditions, la règle freudienne étend sa validité au domaine affecté à la pratique sociologique en matière de relation établie entre connaissance et action.
Libre penseur, Salah Zeghidi réfutait les décibels déchaînés sur la tête « agacée » par la tempête. Si encore la hauteur des minarets d’où appelle Bilel pouvait rivaliser avec celle de la tour Eiffel !
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