Par Faycel Cherif
L’offensive quasi générale de Khalifa Haftar menée à l’est (Benghazi et ses environs) puis actuellement sur Tripoli et dans tout l’ouest libyen est-elle une initiative individuelle ? Serait-il possible que des forces régionales et internationales soient derrière cette opération dirigée principalement contre des milices se réclamant d’un certain islam politique alors que tout le monde sait que ce ne sont au fond qu’une bande de brigands et de trafiquants qui se cachent derrière une bannière islamiste pour contrôler l’économie du pays : pétrole, trafic d’armes et de marchandises ?
Les faits et le déplacement des combats : les protagonistes sur la scène en Libye
Vendredi dernier, 5 décembre, une personne a été tuée et au moins trois autres ont été blessées lors d’un raid aérien mené sur une position de miliciens qui contrôlent le poste-frontière de Ras Jedir.
C’est la déclaration officielle faite par Hafedh Mouammar, par ailleurs accusé d’avoir mené ce raid par les forces loyales au gouvernement reconnu par la communauté internationale.
À proprement parler, ledit «Bouclier de la Libye» fait partie de la coalition de milices «islamistes» qui constituent «Fajr Libya» (l’Aube de la Libye) qui s’est emparée de l’aéroport international Tripoli ainsi que d’une grande partie de l’ouest libyen, notamment les villes de Sabrata, Zouara, Zaouia et une grande partie du Djebel Neffoussa qui culmine vers la frontière tuniso-libyenne au point de passage d’Ouazen-Dhiba.
L’avion ayant commis ce raid aurait violé l’espace aérien tunisien pour attaquer un bâtiment qui servait de lieu d’hébergement aux miliciens qui contrôlent Ras Jédir. C’est dire qu’au point de passage de Ras Jedir, la Tunisie a affaire à des milices et non à des forces gouvernementales officiellement connues et reconnues par la communauté internationale.
Selon le journal La Presse, des explosions avaient retenti dans la localité de Zouakra et ses environs, sur la route qui relie Ras Jédir et la ville de Ben Guerdane. Les habitants ont même pu constater les colonnes de fumées, nous apprend-on. Ces attaques, qui ont eu lieu sur le territoire libyen, ont créé un mouvement de panique de part et d’autre de la frontière.
Les faits actuels qui émergent dans le paysage libyen font état d’une vaste offensive militaire menée par «les forces loyales» au gouvernement reconnu et au Général Khalifa Haftar. La nouveauté vient du fait que ces offensives qui se situaient depuis le mois de mai dernier à Benghazi et dans une partie de l’est libyen se déplacent maintenant vers l’ouest de la Libye et se rapprochent des frontières tunisiennes. Étant donné l’envergure que prend actuellement l’opération du Général Haftar, on s’interroge alors sur la finalité de ces offensives qui commencent réellement à inquiéter toute la population tunisienne à cause des retombées incalculables de ce conflit.
Khalifa Haftar, l’homme providentiel qui pourrait en découdre avec les milices ?
En mai 2014 le Général Khalifa Haftar a déclaré haut et fort qu’il mènera un combat sans merci contre les milices islamistes : Ansar Al Charia et ses acolytes ainsi que toutes les milices qui se réclament d’un islam dit «djihadiste». En peu de temps, Haftar a réussi à fédérer autour de lui une partie de l’armée, les forces laïques et de nombreux chefs de tribus. Benghazi, ville symbole en raison de son rôle dans le déclenchement de la révolution en février 2011 et surtout capitale de l’Est libyen qui monopolise près de 80% de la production pétrolifère dans le pays. Benghazi constitue par ailleurs, un bastion de la résistance non seulement à Kadhafi, mais aussi contre Al-Qaïda qui y a élu domicile. La région est désormais interdite aux étrangers, la frontière avec l’Égypte est fermée et le moindre vol est contrôlé. On se demande dès lors quels sont les moyens militaires et logistiques dont dispose l’ex-Général à la retraite pour mener une double offensive de cette envergure : est-il en train de mener une guerre par procuration des pays de la région et des États-Unis qui veulent en finir avec l’anarchie en Libye et qui nuit au plus haut point à la sécurité régionale ? Il est très tôt pour faire une analyse objective et surtout fondée sur des données vérifiables pour fournir des éléments de réponse à cette question centrale dans cette offensive.
Haftar n’a cessé de dénoncer les étrangers qui viennent «s’enrichir en Libye et repartir». Il se porte garant de la continuité de l’État qui a démissionné de ses fonctions et des gouvernements successifs qui n’ont pas pris leur responsabilité de «diriger le pays et assurer la sécurité de tous les Libyens». Il n’a pas hésité à porter ses accusations contre le Qatar de «financer les groupes islamistes». Car, selon lui, cet émirat soutient les Frères musulmans, comme la Turquie et fournit une aide substantielle à ceux qui prétendent défendre un islam politique en Libye. Cette perfidie de ces pays fait de lui le justicier et le champion de tout une partie de la population libyenne qui adhère à ses accusations et appuie foncièrement ses offensives militaires. Une grande partie de l’armée libyenne est désormais acquise à ses discours et travaille à ses côtés, sans compter l’appui de quelques puissances régionales et internationales qui le font sans le dire.
La frontière tunisienne menacée ?
La vigilance au point de passage frontalier de Ras Jedir est à son apogée. Police, Garde nationale, douanes et surtout l’Armée nationale sont sur le qui-vive. Les craintes se justifient tout d’abord par les possibilités de poursuite des combats qui peuvent atteindre notre propre territoire. Aussi, l’encerclement et puis la fuite des milices visées par l’armée de Khalifa Haftar peuvent à tout moment franchir les frontières et entrer en demandant refuge auprès de nos forces de sécurité, ce qui constitue pour la Tunisie un véritable embarras. L’autre crainte que suscite ce bras de fer armé réside dans les obus et tirs croisés qui peuvent toucher des villages frontaliers et les populations civiles qui y habitent.
Le deuxième défi, plus lourd encore, reste celui du contrôle du flux de la population civile qui commence à fuir les villes limitrophes de la frontière tuniso-libyenne.
L’absence du côté libyen de police et de douane officielles font craindre le pire, car tout l’effort des vérifications d’identité et de fouilles des bagages et des personnes incombent désormais aux Tunisiens.
Inquiétudes tunisiennes du prolongement du conflit
Les différentes unités sur toute la ligne de frontière sont en état d’alerte.
Les dispositifs mis en place par une surveillance terrestre, maritime et aérienne avec des patrouilles qui sillonnent toute la région.
Les inquiétudes de la Tunisie proviennent davantage d’un accroissement du conflit en Libye que d’un afflux massif de populations civiles qui viendrait obérer la sécurité, sans compter le fardeau économique que cela engendrerait.
L’affrontement des milices armées libyennes ne pose a priori pas de problème à nos forces, la vue dans cette région désertique étant dégagée et l’arsenal de notre armée ayant été renforcé par un matériel important.
Reste que la situation en Libye est des plus précaires et que la solution armée préconisée par Haftar, si elle ne s’accompagne pas d’un consensus politique en ouvrant un véritable dialogue entre les différents protagonistes sous la bannière de la Ligue arabe et de l’ONU, laissera le pays voué au chaos, représentant une menace grandissante pour ses voisins.