Pouvoir bicéphale et blocage social

Hétérogènes, les articles de la Constitution tunisienne caressent, dans le sens du poil, d’une main les démocrates, et de l’autre les théocrates.
Habit d’Arlequin, ce mélange des genres, d’assez mauvais genre, origine la gabégie politique d’où sourd la débâcle économique.
A son tour, celle-ci nourrit un effet de mode porté sur la propension au dénigrement systématique. Tout apparaît à travers le prisme du catastrophisme.
Toutefois, de temps à autre, un média inflige son démenti à ce monolithisme pour lever le voile sur les efforts investis en dépit des maigres moyens du bord. L’entretien de la ministre du Sport où elle expose le détail des œuvres accomplies, et du programme établi, suffit à illustrer la complexité d’une société réduite, par le manichéisme, à une espèce de bloc figé, d’allure indifférenciée. Ni l’a priori négateur, ni l’état d’esprit flatteur ne pactisent avec le ton de l’analyse.
Néanmoins, l’essai de surmonter la crise présuppose le déverrouillage du système d’autorité. Cette relation de cause à effet suggère une interrogation à poser. Les élections annoncées vont-elles contribuer à libérer les énergies jugulées par le sabotage feutré ? Le terrorisme exhibe le bout du nez de ces tentatives destructives déployées sans le couvert de la religiosité. De la réponse à la question soulevée dépendent une série de problèmes demeurés en suspens, au premier rang desquels figure l’assassinat politique de Brahmi et de Belaïd.
Tuer les tueurs sert à couvrir et à satisfaire les commanditaires.
Aux sources de ce maquillage infiltré au cœur de l’appareil judiciaire, les avocats du comité de défense affirment découvrir, a priori et a posteriori, la bande à Ghannouchi. Dès lors, l’éventuelle majorité anti nahdhaouie, escomptée à l’occasion du vote attendu, suscite l’espoir de voir l’imbroglio juridique lié à ces deux crimes d’Etat, enfin résolu. L’enjeu, immense, pour le devenir du pays, engage les deux clans, mis en présence, à peser, de tout leur poids, sur l’un et l’autre plateaux de la balance. Ennahdha mise, d’une part, sur la religiosité populaire et, de l’autre, elle peut compter sur les bataillons de ses militants secrets ou non. Ces deux piliers fondent la confiance électorale du parti khouanji, déguisé en organisation à optique démocratique par son chef charismatique et fin politique. Emaillé d’interviews approfondies et circonstanciées, le mémoire de maîtrise, qui sera soutenu le 4 février prochain par Assia Touaïti, éclaire, fort bien ce dilemme du laïc et de l’œcuménique. A ce propos, l’actuelle débâcle du système éducatif permet à une poignée de vétérans d’accaparer l’espace médiatique aux dépens d’éléments donnés mais fourvoyés parmi les classes d’âge moins ridées. Les retraités profitent, au lieu d’encourager les jeunes à émerger. Que Dieu leur pardonne bientôt ! Pendant ce temps, B.C.E. qui n’a plus vingt ans depuis longtemps, accuse le gouvernement, ce caniche impénitent, d’être inféodé au parti nahdhaoui.
Et, en dépit des sondages entrepris jusqu’ici, l’issue des élections demeure tributaire d’actives tractations. Ciblées, en connaissance de cause, quelques interviews ajoutent leur contribution à ces très aléatoires prévisions. Rien n’est plus labile que l’opinion, sans compter le spectre de l’abstention, tant le désaveu des politiciens taraude la volonté citoyenne de la jeune génération, soit la grande majorité de la population. Venons-en aux témoignages liés à l’air du temps où les deux chiens de faïence redoublent de vigilance au seuil de la décision. Amina Béjaoui, fervente croyante, pratiquante et tenancière d’une épicerie florissante me dit, le 25 janvier : « Beaucoup de ceux qui ont voté pour le parti de Ghannouchi ne vont plus commettre la même erreur. Les nahdhaouis ont abîmé le pays. Ils ont provoqué la crise. Tout le monde les soupçonne d’avoir tué Belaïd et Brahmi. Les gens sont éveillés maintenant. Qui ne regarde pas la télévision ? Qui ne voit pas ce que disent les journaux ? Plus rien ne peut être caché ».
Pour Omar Zaghdoud, employé chez un marchand de fruits : « Les dirigeants d’Ennahdha font de la politique. Ils ne connaissent pas Dieu. Ils utilisent la foi des croyants mais, eux, ne croient qu’au pouvoir et à l’argent ». Dhaou Akermi, paysan parcellaire et engagé à titre de chauffeur par le doyen des historiens, Khlifa Chater, pour compléter le maigre apport de sa mini parcelle, soutient le même point de vue : « Ennahdha ne vaincra pas. Ils ont rempli leur poche, construit des maisons et détruit l’économie. Les pauvres leur en veulent. Ils utilisent la religion pour diriger le pays et vider les caisses de l’Etat. Beaucoup sont devenus millionnaires, du jour au lendemain, sans rien faire. Et ils ont placé Sihem Ben Sedrine pour cela ».
Dhaou Akremi ne rate aucune prière, chez lui, ou à la mosquée du quartier. Son front porte la marque estampillée par le tapis au moment de la prosternation.
Parmi les musulmans de culture et de religion, combien, cette fois, voteront pour Ennahdha ?
Dans un papier précédent, j’ai cité, entre autres, le cas de Youssef Hsoumi. Pour lui, « les nahdhaouis n’avaient aucun intérêt à tuer Belaïd et Brahmi. Ce n’est pas cette affaire qui rejaillirait sur les élections prochaines et la responsabilité de la crise incombe à tous les Tunisiens ».
Le chassé-croisé de ces prises de position déploie le background afférent à l’interférence des intentions de vote et de la religion.
Dans ces conditions, raisonner tout comme si nous étions au 18e siècle de l’Europe Occidentale, où l’essor industriel sous-tend la transition de l’univers féodal au monde libéral, revient à se tromper de société. Néanmoins, à l’ère des médiations électroniques, les sociétés à dynamique interne et sans incidences externes existent seulement sur le papier. Vu l’ingérence liée aux rapports internationaux d’inégalité, le printemps tunisien a tout l’air d’un hiver américain. A ce propos, Hillary, de loin, vous salue bien. A l’ ère où toutes les sociétés sont interdépendantes, maints historiens, bornés par leur ethnocentrisme étriqué, citent l’abolition de l’esclavage, en Tunisie, par tel bey, avant bien d’autres pays, sans mentionner la pression et l’insistance décisives de la diplomatie anglo-française.
Depuis, et jusqu’à aujourd’hui, « l’exception tunisienne » donne à voir la plus imbécile des rengaines. Les valeureux militants de l’indépendance nationale, dirigés par le grand timonier, ambitionnaient de passer, comme en Europe, du régime royal à l’Etat de droit.
Toutefois, la Tunisie n’est pas un isolat. A l’échelle planétaire, la filiation généalogique remonte au siècle des Lumières, quand la France révolutionnaire proclamait dès 1790, la Déclaration universelle. Kant, l’Allemand, admirait ce texte français à portée mondialisée. La circulation des marchandises, des mots et des idées, outrepasse les barrières érigées par les déserts, les mers et les frontières. L’expansion de l’islam doit beaucoup aux marchands.
Sans eux, n’existerait pas le Pakistan, créé, de toutes pièces pour éviter les heurts sanglants, renouvelés à l’occasion des fêtes sacrificielles, célébrées par les musulmans au pays où les bovidés ont à voir avec le sacré. Pour les hindouistes, en cela fidèles à leur foi, égorger le Bon Dieu ne va pas de soi. En Tunisie, progressistes et salafistes perpétuent l’antagonisme dit pacifiste. Mais de la différenciation jaillit la compétition exacerbée à l’approche des élections.

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