L’argent politique pose problème en Tunisie. Il permet à certains partis d’avoir plus de chances que d’autres puisqu’ils reçoivent des dons de la part d’hommes d’affaires ou en provenance de l’étranger en infraction avecla loi et sans que l’on puisse déterminer l’origine de l’argent. D’un autre côté, il ouvre la porte à nombre de dépassements tels le chantage et les pressions que quelques partis ou personnalités politiques se permettent d’exercer à l’encontre d’hommes d’affaires qui sont aujourd’hui devant la justice accusés d’avoir collaboré, d’une façon ou d’une autre, avec l’ancien régime ou bénéficié de ses largesses. Transparence et justice transitionnelle s’imposent. Quelles en sont les démarches ?
Plus de 160 partis existentsur la scène politique depuis 2011 et une loi promulguée à l’époque est supposée organiser le «secteur». Mais il semblerait que le problème réside plus dans le manque de moyens ou de volonté de faire appliquer la loi que dans les supposées lacunes qu’elle pourrait contenir. L’argent et le financement des partis sont les points les plus difficiles à contrôler, pourtant plusieurs textes s’y rapportent. En effet, l’article 17 de la loi promulguée en septembre 2011 stipule que le financement provient des abonnements des membres dont la valeur individuelle ne devrait pas dépasser annuellement 1200 dinars.
Pour mieux surveiller les abonnements, la même loi précise qu’un paiement par chèque ou par mandat est nécessaire pour tout abonnement dont la valeur dépasse 240 dinars. Quant aux crédits, ils ne devraient pas excéder 200.000 dinars. L’article 19 souligne l’interdiction de recevoir un financement direct ou indirect, financier ou autre, de toute partie étrangère ou de source inconnue, de personnes morales, notamment étatiques hormis le financement alloué dans le budget de l’État. La loi interdit aussi les dons provenant de personnes physiques dont la valeur est de plus de 60.000 dinars.
Notons que des registres sont imposés aux partis en matière de comptabilité, d’abonnements, d’aide et de dons et que les partis sont soumis à un contrôle fiscal annuel. Malgré les textes en vigueur, le flou demeure. Certains partis politiques ne déclarent pas leurs sources de financement, surtout celles ayant trait à la campagne électorale ni la façon avec laquelle l’argent a été dépensé. On se souvient du CPR annonçant la perte du registre de sa comptabilité…
Corruption et chantage
Le flou et la non transparence dans le domaine politique ouvrent la porte à plusieurs dépassements, à commencer par l’achat de voix ou de sièges parlementaires, jusqu’à la probabilité de blanchissement d’argent à laprovenance illicite, si des mécanismes de surveillance ne sont pas mis en place. Drogue, armes, terrorisme, assassinat politique (…) tout est à prévoir dans un financement politique dont la source est inconnue. Ainsi, le problème ne se résume plus au seul domaine politique, mais ouvre la porte à bien des crimes, voire des crimes d’État.
La collaboration avec des parties étrangères, afin de déstabiliser la sécurité de l’État et la haute trahison sont aussi tout à fait probables si les sources de financement continuent à ne pasêtre déclarées. Sur un plan plus individuel et dans un contexte transitionnel où plusieurs grosses fortunes sont devant la justice pour rendre des comptes sur leurs capitaux et d’éventuelles collaborations avec l’ancien régime, ou des abus de pouvoir et des facilités accordées avant la Révolution, l’argent politique devient sujet à convoitise et àchantage.
Ainsi, ces hommes d’affairessubissent aujourd’hui unchantage de la part de personnalités politiques afin qu’ils les financent d’une façon ou d’une autre en échange d’aide judiciaire et d’acquittement. Il devient alors urgent d’activer la justice transitionnelle dans le secteur financier et des affaires liées à l’ancien régime afin de cesser toute injustice à l’encontre de ceux qui peuvent être innocents et de contrer tout financement illicite ou chantage.
Imposer la soumission des registres comptables à la Cour des comptes, créer un comité de surveillance, optimiser et augmenter la participation de l’État dans le financement et le budget alloué aux partis peuvent aussi être des solutions permettant l’organisation du secteur politique et de son financement.
Hajer Ajroudi
Me LazherAkermi
Hommes d’affaires devant la justice : chantage et injustice
Des élus de l’ANC et des personnes ayant occupé un poste politique ont contacté des hommes d’affaires pour leur demander des sommes d’argent dont la valeur dépasse 1 milliard de millimes,contrela résolution de leurs affaires judiciaires, de lever l’interdiction de voyage à laquelle ils sont soumis ou de les blanchir.
Au pied du mur, certains hommes d’affaires, même innocents, ont dû payer afin d’assurer la survie de leurs entreprises, mais ne peuvent dénoncer le chantage qu’ils ont subi. Il faut par ailleurs distinguer les vrais corrompus ayant volontairement collaboré avec l’ancien régime, notamment dans la contrebande et les hommes d’affaires qui ont subi des pressions dans le passé et qui se sont retrouvés partenaires desTrabelsi sans que ces derniers n’aient apporté decontribution financière ou matérielle. L’injustice qu’ont subie les hommes d’affaires à l’époque continue aujourd’hui, mais cette fois avec une autre catégorie de Trabelsi…
Monter un dossier d’instruction dans ce genre d’affaires n’est pas possible, car les maîtres-chanteurs sont des clandestins qui agissent en toute discrétion et sans laisser de trace. Notons au passage que quelques partis politiques ayant été au pouvoir ont profité des agissements de ces hommes d’affaires…
La loi de la confiscation des biens a par ailleurs touché cent-douze personnes avec un texte stipulant que ceux qui ont fréquenté les Trabelsi et les Ben Ali se verront interdits de voyager et leurs biens confisqués.
Le problème doit être résolu rapidement par l’initiative du Premier ministre quicherche en ce moment des fonds auprès de certains pays du Golfe au lieu de collaborer avec ces mêmes hommes d’affaires. Il faudra instaurer un comité restreint pour étudier chaque dossier et rencontrer chaque homme d’affaires concerné.
Certes les hommes d’affaires touchés sont des créateurs de richesse qui ont en ce moment des dizaines de milliers de cadres et d’ouvriers bloqués, car quand il y a interdiction de voyager ou affaire judiciaire en cours l’action en justiceentrave l’accord des crédits et le partenariat ou l’échange avec des investisseurs étrangers. D’ailleurs les entreprises concernées ont été rassemblées dans «Al Karama Holding» avec à leurs têtes des responsables incompétents dont le salaire atteint 45.000 dinars pour certains d’entre eux et dont le seul mérite est d’être partisansou sympathisant de certains partis.
Dans des affaires touchant à l’ancien régime, il faudra surtout privilégier la justice, comme il se doit dans un pays de droit, car dans le traitement de certains dossiers d’instruction on dépasse même la notion depopulisme. Àtitre d’exemple, on peut lire sur ceux concernant les sœurs de Leila Trabelsi, épouse de l’ancien président, «suite à l’interrogatoire de la ««criminelle» (…) sœur de l’épouse du ««destitué»» (…)». Or on ne peut traiter quelqu’un dont le dossier est en cours d’instruction de criminel et outrepasser la présomption d’innocence et l’on voit très bien que les dossiers sont instruits en s’appuyant sur les liens de parenté avec les époux Ben Ali…