Prédicateurs et jardins d’enfants coraniques , La petite enfance menacée

 

La Tunisie a été secouée par la diffusion de la vidéo du prédicateur koweïtien Nabil Al Aouadhi, accueilli à Zarzis par des fillettes de 4 à 6 ans portant le voile. La société civile a vite réagi en déposant une plainte contre la ministre de la Femme, mais le danger wahhabite sur la petite enfance reste bien réel.

 

Des prédicateurs wahhabites qui sillonnent le pays en toute liberté, des jardins d’enfants salafistes qui opèrent dans l’illégalité et des associations religieuses qui décident du contenu pédagogique à enseigner à nos enfants, quoi de plus alarmant ! Le tout se passe au vu et au su des autorités et notamment de la ministre en charge des Affaires de la femme et de la famille, Sihem Badi.

Ces phénomènes ne sont pas nouveaux. On les voit se développer depuis la prise du pouvoir par les islamistes, même s’ils se produisaient déjà un peu avant.

Au nom de la liberté d’expression, on ouvre le pays à des prédicateurs wahhabites qui étaient jusque-là interdits de séjour sur le territoire tunisien et qu’on ne voyait que sur les chaînes satellitaires religieuses. On leur réserve désormais l’accueil le plus chaleureux. On met à leur disposition tout un dispositif sécuritaire afin de faciliter leurs déplacements. Et il y a même des personnalités politiques qui se précipitent pour les rencontrer. En témoigne le geste d’Imed Daimi, conseiller du président de la République qui a reçu dans le salon d’honneur Nabil Al Aouadhi, ou encore le ministre des Affaires religieuses, Noureddine Khadmi, qui a prié derrière lui à la mosquée. Et pas seulement ! On se rappelle l’accueil réservé au prédicateur égyptien, Wajdi Ghounim par Abdelfattah Mourou, l’actuel vice-président d’Ennahdha. Et les exemples sont encore nombreux.

Ces gens débarquent chez nous avec un agenda précis : diffuser la pensée wahhabite, radicale et rigoriste au sein de la société tunisienne, au risque de mettre en danger les bases de son islam ouvert qui a toujours régné sur cette terre régie par le rite malékite.

Le danger que représentent ces prédicateurs devient d’autant plus grand lorsqu’il s’adresse à la petite enfance. Ainsi, on se rappelle comment Wahjdi Ghounim avait appelé à l’excision ou Al Aouadhi avait prôné le port du voile pour les petites filles, considérant ainsi leur corps comme objet de désir. D’ailleurs, les photos de ce dernier tenant entre les mains une enfant voilée et l’embrassant ont suscité le dégoût et même les soupçons d’intentions pédophiles chez ce cheikh qui avait publié une fatwa autorisant le «djihad à travers la fornication des Syriennes». Mieux, son nom figure dans une liste des prédicateurs «volontaires» pour ce genre de djihad.

 

L’indifférence gouvernementale

Comment alors ne pas s’indigner face à ces cheikhs qui tentent de détruire par leurs prêches quatorze siècles d’un Islam tolérant en Tunisie et qui a donné à la femme une place privilégiée, voire avant-gardiste par rapport au reste du monde arabe ? Il suffit de se rappeler le contrat de mariage kairouanais qui interdit à l’époux de prendre une deuxième épouse sans le consentement de la première, ou encore la série de règles religieuses sur lesquelles s’est fondé le Code de statut personnel.  

Et surtout comment expliquer que l’État tunisien permet à ces prédicateurs de sillonner le territoire national et d’aller à la rencontre des personnes les plus vulnérables de la société, celles qui représentent l’avenir d’un pays ?

Les Tunisiens étaient sidérés à écouter le conseiller du président de la République, Imed Daimi, dire dans le programme «Attasiâ masaa» sur Attounissiya TV que «la Tunisie est ouverte à tous et que Nabil Al Aouadhi est un grand érudit». Plus scandaleuses encore ont été les déclarations de la ministre des Affaires de la femme, qui a déclaré n’avoir trouvé aucune urgence à appeler le ministre de l’Intérieur afin d’intervenir et mettre fin aux prêches d’Al Aouadhi. Pis, pour elle, c’est, encore une fois, l’opposition qui saisit l’occasion pour dénigrer le gouvernement et mettre en cause ses actions afin de servir des desseins politiques et électoraux. En fait, Mme Badi ne voit aucun mal à voiler les filles, mais pas avant l’âge de la puberté.

Des réponses qui ont tellement scandalisé que la société civile n’a pas manqué de réagir. L’observatoire de la défense du consommateur, ILEF, est allé jusqu’à porter plainte contre la ministre pour non protection des droits de l’enfant.

Un collectif d’associations a, par ailleurs, publié un communiqué où il a condamné la tournée du prédicateur koweïtien, appelant l’État à mettre fin à ce genre de visites. Une demande qui est tombée dans l’oreille d’un sourd, puisque déjà, le 21 février prochain, la Tunisie s’apprêtera à accueillir un nouveau prédicateur, égyptien cette fois, Mohamed Hassanine  Al Yaâkoub, qui inaugurera une tournée dans le pays.

 

À la gloire de Ben Laden !

Outre ce «ballet de prédicateurs», il faudra ajouter un autre péril guettant nos chérubins: les jardins d’enfants «coraniques». Des structures anarchiques, créées dans l’illégalité la plus totale et n’obéissant au contrôle d’aucune autorité. Ils ont pullulé depuis la Révolution pour arriver à avoisiner la centaine. Créées par des associations religieuses, comme «Nour Al Bayen», qui opèrent dans le domaine de l’action sociale et humanitaire, ces structures sont entrées en réelle concurrence avec les jardins d’enfants légaux, rivalisant avec eux au niveau des prix et des «services offerts», à savoir «l’apprentissage de la récitation correcte du Coran», ainsi que les préceptes de l’Islam. Ni le contenu de l’enseignement, ni les compétences de l’encadrement enseignant ne sont supervisés. Pis, les inspecteurs de l’enfance sont régulièrement chassés quand ils viennent contrôler ces espaces. Donc, personne ne peut savoir ce qui s’y passe réellement.

On se souvient d’une vidéo qui avait circulé un temps sur Facebook où des garçons, dont l’âge variait entre 7 et 10 ans, chantaient la gloire de Ben Laden et du mollah Omar. De quoi avoir froid dans le dos !

Des psychologues ayant traité les enfants qui fréquentaient ces lieux avaient, eux aussi, tiré la sonnette d’alarme quand ils avaient constaté que ces enfants étaient terrorisés par ce qu’on leur racontait sur la «torture dans la tombe» après la mort, ou encore du fait d’avoir affaire à des maitresses portant le niqab et dont ils ne pouvaient pas distinguer le visage.

Devant ce phénomène, encore une fois, le ministère de la Femme s’est montré incapable de trouver une solution et d’arrêter un tel fléau. On peut se demander alors ce qu’il exactement.

Car cette passivité gouvernementale ne peut que révéler une volonté politique de permettre, aussi bien aux prédicateurs moyen-orientaux qu’aux associations religieuses, de réaliser un objectif commun, celui de «wahhabiser» la Tunisie, et ce, en commençant par le bas, c’est-à-dire en s’en prenant aux individus les plus vulnérables : les enfants.

Il est temps de réagir !

Hanène Zbiss

 

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