« Hélas, les beaux jours sont finis » pour l’islam dit politique. Fut-elle communiste ou frériste, la prétention à l’internationalité finit par buter sur la prégnance des nationalités. La balance commerciale, bénéfique pour la Turquie et dramatique pour la Tunisie, donne à voir la guerre froide perpétuée là où les enfants de chœur croient percevoir des relations nimbées de bons sentiments. L’actuelle désorientation de l’internationale islamiste relève de cette problématisation appliquée aux visions utopistes. Le Soudan arbore la plus vive couleur du mauvais quart d’heure vécu par les frères musulmans. Une fois Omar El Béchir dégagé par l’Armée, la foule inonde la rue de la ville et demande l’immédiate institution de l’Etat civil. Ce procès lève le voile sur le profil d’un colosse aux pieds d’argile. Le président écarté incarnait l’islamisme soi-disant bien-aimé.
De même, ailleurs, avec le camouflet municipal infligé à Erdogan, le coup de pied flanqué par Sissi à Morsi, la démocratie réclamée en Algérie et l’émir Baghdadi déconfit, la bande à Ghannouchi, moins choyée par les Etats-Unis, commence à percevoir son horizon assombri. Les présages de mauvais augure affluent de partout et orientent la réflexion vers une ample remise en question. La critique porte sur l’anachronisme de sociétés fondées sur la religiosité. Allons-nous connaître, à notre manière, l’itinéraire suivi, à sa façon, par l’Occident depuis le siècle des Lumières ?
Ce débat d’idées côtoie les déboires empiriques égrenés sur la piste où titube l’internationale islamiste. Baghdadi apporte la plus sérieuse contribution à la bifurcation vers la grande perturbation.
Voici un agent social autoproclamé émir al mouminines en qui beaucoup croient. Pourchassé, traqué, blessé, donné pour estropié ou peut-être mort, ce nouveau calife donne à réfléchir sur la véritable teneur et l’authentique valeur de ses prédécesseurs. Dans ces conditions, ce n’est plus l’islamisme qui pose problème, c’est l’islam lui-même. Ce risque suprême procure aux takfiristes une disposition à redoubler de férocité. Mais ils manquent d’envergure pour accéder au niveau où prospère le débat d’idées. Car une longue marche conditionne la transition de l’ancienne société à la modernité. L’inauguration de la transformation, par Bourguiba, conduit, aujourd’hui, les retardataires à trouver un certain charme aux catégories de pensée incarnées par Ghannouchi, Abou Iyadh et compagnie. De nos jours, une espèce de Voltaire à la tunisienne attirerait la meute furieuse des coupeurs de têtes. Pour cette raison et malgré les assassinats et l’organisation secrète, les fréristes affichent des airs triomphalistes à l’orée des élections. Ils maquillent leur grise mine à la barbe de leur prépondérance qui décline. Pour les partisans de l’émancipation, ce désarroi caché des ennemis jurés paraît coïncider avec le sourire narquois de Bourguiba en souvenir de ces mémorables 8 et 9 avril où un peuple entier hurlait contre l’indignité.
Ne demeurent que les pierres précieuses au fond du torrent. Mais l’itinéraire suivi, aujourd’hui, par l’internationale islamiste mène-t-il ou non à sa dissolution ? La réponse à pareille interrogation exige la prise de quelques précautions.
A la croisée des chemins, l’exploration confiée à un frère nahdhaoui occulterait les effets amoncelés des marqueurs chargés, pour lui, de négativité. Avec Omar El Béchir visé par la CPI pour crimes contre l’humanité, Tarak Ramadhan incarcéré au vu de viols répétés, ou Baghdadi l’émir détrôné, les mauvaises nouvelles ne cessent, pourtant, d’affluer.
Toutefois, au cas où un progressiste aurait à mener l’enquête, ces divers indices l’inciteraient, lui aussi, à prendre ses désirs pour la réalité. Le début de la fin sonnerait le glas pour les enturbannés.
Animés par deux aspirations contraires, les deux prospectivistes seraient tentés de sauter à pieds joints par-dessus la complexité quant à l’internationale islamiste éjectée hors piste. Cependant, au Soudan, l’alliance des militaires et des civils autour de la revendication afférente à l’Etat moderne soulève un coin du voile sur les charaïstes autoproclamés bien-aimés. A l’évidence, El Béchir et ses multiples sbires, mal aimés, se voient incités à réprimer.
Hélas, le pouvoir politique ne peut rien contre la puissance populaire dès l’instant où elle remet en question le processus de la délégation. A tout moment, elle peut reprendre, d’une main, les prérogatives données par l’autre au petit groupe dirigeant. La démocratie athénienne plane sur l’Orient et l’Occident. Que des valeurs naissent, ici ou là, n’entame en rien l’universalité de leur validité.
Fut-elle anglaise, tunisienne ou japonaise, la démocratie confère un air de famille malgré les spécificités.
Si le projet ommiste l’emporte, en Tunisie, sur l’ethos bourguibiste, plusieurs finiront par se sentir étrangers dans leur pays. Dans l’hypothèse inverse, les takfiristes seraient tentés de rouspéter, encore davantage, contre « le parti de la France », rendu coupable de tous les ravages. L’avantage de l’historien demeure la prévision du passé. Quant à l’avenir, seul Dieu le connaît. Pour cette raison, les tenants du sens commun redoublent de scepticisme quand le Chef du gouvernement évoque une baisse des prix durant le mois de Ramadan.
Conscient de l’auditoire et de ses convictions, Chahed ponctue l’annonce afférente aux produits de première nécessité par la formulation : « Si Dieu veut ». Ainsi, le message profane passe mieux.