Présidentielle 2024: Election sous haute tension

A deux mois du scrutin présidentiel du 6 octobre, le climat politique est de plus en plus tendu. Tandis que la morosité frappe l’espace public et les médias, la bataille pré-électorale s’enflamme sur les réseaux sociaux, TikTok en tête, entre deux camps bien distincts et opposés, l’un en faveur d’un deuxième mandat pour Kaïs Saïed, l’autre contre. Pour les anti-Kaïs Saïed, il faut un autre candidat, quel qu’il soit et à tout prix.

Une position radicalement défavorable au président sortant et clairement affichée se fait de plus en plus entendre sous le motif d’une crainte pour les libertés (acquises grâce à la révolution de la dignité) en net recul et des multiples arrestations et condamnations qui touchent des politiques, des cadres de l’Etat, des journalistes, des activistes, pour divers chefs d’accusation de corruption, de complot, de blanchiment d’argent, de diffamation, selon les sources judiciaires. Pour les partis d’opposition, ce ne sont là que des prétextes, voire des injustices, destinés à écarter les « sérieux » candidats à la magistrature suprême, accusant les institutions de l’Etat de faire reculer la démocratie et d’entacher l’élection présidentielle d’irrégularités et d’illégalité.

 Cacophonie sur les réseaux sociaux
Sur les charbons ardents de la polémique, l’Isie accusée d’empêcher de potentiels candidats de déposer leur dossier de candidature sous prétexte de trafic ou de falsifications des parrainages et le ministère de l’Intérieur soupçonné de bloquer les casiers judiciaires des candidats, en l’occurrence ceux qui font face à des poursuites judiciaires. Sur les réseaux sociaux, c’est la cacophonie, tout le monde accuse tout le monde, le dialogue est impossible et la division à son paroxysme. Il n’y a pas mieux que les chiffres pour séparer le vrai du faux et c’est le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), Farouk Bouaskar, qui va en fournir, samedi 4 août. On saura que sur un total de 114 candidats potentiels au scrutin, ayant retiré le formulaire des parrainages auprès de l’Isie, 90% d’entre eux ont obtenu leur B3, tandis que 6 candidats seulement ont effectué le dépôt de garantie de 10 mille dinars auprès du Trésor public et à peine 4 candidats ont réussi à compléter leur dossier et à le déposer avec succès auprès de l’isie. Les dossiers encore incomplets ont jusqu’au 6 août à minuit pour être complétés.
Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre et en détention, est concernée. Son dossier déposé auprès de l’Isie le 3 août, date anniversaire de la naissance du Zaïm Habib Bourguiba, est dépourvu des parrainages et du casier judiciaire, c’est-à-dire l’essentiel. A l’exception d’Abir Moussi dont la candidature pourrait donner plus de piment à la campagne électorale, il est à se demander si tous les autres candidats potentiels à la magistrature suprême disposent de la popularité nécessaire et des moyens financiers et logistiques qui vont avec le titre et la fonction en cas de victoire. Les exemples qui parviennent des autres pays démocratiques en l’occurrence, comme les USA, démontrent que la tâche n’est nullement aisée et qu’elle n’est pas accessible au commun des mortels, par respect au prestige de l’Etat et celui de la Tunisie. Il ressort des chiffres que la grande majorité des candidats n’est pas prête à deux jours du deadline et que les parrainages que l’Isie est accusée de bloquer ne sont pas le seul obstacle devant la finalisation des dossiers de candidature, d’autant que Farouk Bouaskar a assuré que les services du ministère de l’Intérieur ont contacté individuellement les candidats pour leur remettre une copie de leur casier judiciaire. A noter que les conditions d’éligibilité, les anciennes et les nouvelles, sont conformes aux dispositions de la Constitution de 2022 qui a été proposée à un référendum le 25 juillet 2022, mais qui a été boycottée par 70% des électeurs.

 Défiance des élus
Considérant le climat politique tendu et le malaise généré par les nombreuses arrestations et la campagne de communication-sensibilisation entretenue par les détenus politiques à travers leurs proches et leurs avocats, il paraît probable que des candidats potentiels ont cherché à obtenir les 10 mille parrainages par tous les moyens, sachant qu’ils ont également prétendu que les élus refusaient de les parrainer. Il est tout aussi probable que ces derniers ont refusé d’apposer leur signature sur des dossiers de candidatures louches ou inconnues, et les exemples ne manquent pas.
Des obstacles, rien que des obstacles, devant tout candidat tenté par la course présidentielle, dénonce-t-on sur les réseaux sociaux et dans les médias. L’enjeu du scrutin présidentiel programmé pour le 6 octobre 2024 se résume à cela. Aucun débat sur les programmes électoraux, sur les doléances urgentes des Tunisiens, sur les finances publiques, sur la posture diplomatique à adopter face aux bouleversements géopolitiques régionaux et internationaux. Rien de tout cela. Toute l’attention est concentrée sur les candidats potentiels opposants, quels qu’ils soient, pourvu que l’un d’eux arrive à battre Kaïs Saïed, au mieux dès le premier tour, au moins au second tour. Seul sujet abordé en boucle par les quelques médias qui ont gardé leur rubrique politique : les détenus politiques les plus connus, vont-ils pouvoir présenter leur candidature à temps, les affaires pour lesquelles ils sont convoqués devant la justice étant « infondées et injustes ».
Quant à l’actualité, c’est le président Kaïs Saïed qui la fait chaque jour, au rythme de ses visites quasi quotidiennes sur le terrain, s’enquérant des problèmes des citoyens. Bien que l’actualité soit secouée par de brûlants sujets sociaux et économiques comme celui de la rareté de l’eau potable dans plusieurs régions, la crise des migrants subsahariens irréguliers qui s’enlisent dans le pays, seul le chef de l’Etat semble s’en soucier, le débat politique et social étant totalement absent et personne ne semble se soucier de trouver au plus vite des solutions. Kaïs Saïed en assumerait l’entière responsabilité selon ses détracteurs en se refusant au dialogue et en prenant des décisions unilatérales sans concertation.
Selon le chef de l’Etat, le problème est ailleurs, il est dans l’irresponsabilité et la démobilisation de ceux qui ont la charge et la responsabilité de mener à terme les projets du gouvernement et de faire fonctionner comme il se doit le service public.
Des ministres, assurait-il récemment, sont aux abonnés absents, occupés à profiter de l’été et du soleil au bord des piscines, dénonçant une volonté délibérée de freiner la marche de l’Etat et l’essor économique.
Depuis 2011, La Tunisie est passée de crise politique en crise politique, sans aucun répit. Ni les islamistes, ni les socio-démocrates, ni les nationalistes, ni les « Kaïsistes » n’ont réussi jusqu’à ce jour à instaurer une vie politique démocratique apaisée et un dialogue constructif outrepassant les calculs d’épicier et ne visant que l’intérêt général.
La course au Palais de Carthage s’annonce encore une fois ardue sur fond de campagnes de diffamation, de dénigrement et d’intox. La relance de l’économie devra attendre encore.

“Continuer la guerre de libération nationale”
C’est lundi 5 août 2024 que Kaïs Saïed a déposé sa candidature pour les élections présidentielles prévues le 6 octobre prochain.
A l’occasion, il a déclaré que les volontaires avaient recueilli plus de 240 000 parrainages tout en leur adressant ses salutations vu qu’ils ont mené la campagne de parrainage avec leurs propres ressources. « Si j’avais le choix, je n’aurais pas choisi (…) mais lorsque le devoir national vous appelle, il n’y a pas de place pour l’hésitation. J’annonce ma candidature à la Présidentielle pour poursuivre le chemin de la lutte pour la libération nationale ».
« C’est une guerre de libération nationale que nous avons commencée et que nous continuons de mener. C’est une guerre pour l’autodétermination… toute ingérence étrangère dans les choix du peuple, qui est seul à incarner la souveraineté, est rejetée »
Quant aux accusations relatives aux difficultés rencontrées par certains candidats pour collecter des parrainages et obtenir leur bulletin N°3, Saïed a été catégorique : « Je n’ai contrarié personne et la loi s’applique à tout le monde sur un pied d’égalité. Ceux qui parlent de contraintes se font des illusions, eux et ceux qui sont derrière eux et qui œuvrent à propager le désordre, la discorde, les rumeurs et les mensonges qui dégénèrent en délires ».
Se prêtant volontairement pour répondre aux questions des journalistes, notamment à propos d’une éventuelle révision du décret 54, Kaïs Saïed a répondu : « Nous menons une guerre de libération nationale, une guerre pour la liberté et nous ne voulons museler la liberté de quiconque quel qu’il soit, mais la loi s’applique à tous…  Nous veillerons, dans le cadre de la légalité et de la légitimité populaire, à œuvrer encore pour l’instauration d’une République nouvelle où le citoyen vit dignement, jouit de tous ses droits complets dans un cadre de liberté, de justice et de dignité nationale ».
« Le peuple tunisien est en quête depuis longtemps de liberté… Il n’y aura pas de régression des libertés… Celui affirmant le contraire œuvre pour l’application des restrictions en prononçant des mensonges et de fausses accusations… Vous suivez sûrement les pages sur les réseaux sociaux… On publie des rumeurs afin de propager le chaos… On dirait que la cause tunisienne tourne autour du décret 54 ! Je n’ai porté plainte contre personne… Je ne me suis jamais ingéré dans la justice ».

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K2Rhym et Daïmi n’auront pas leurs B3
Les candidats à la Présidentielle Imed Daïmi et Karim Gharbi, alias K2Rhym, ont annoncé qu’ils n’obtiendraient pas leur bulletin numéro 3, nécessaire au dépôt de candidature pour l’élection du 6 octobre.
Daïmi a affirmé avoir reçu une correspondance du ministère de l’Intérieur confirmant son refus de lui délivrer son bulletin numéro 3, sans attendre les documents supplémentaires demandés vendredi dernier. Même chose pour le rappeur et candidat potentiel à la Présidentielle, Karim Gharbi, qui a indiqué ne pas avoir pu obtenir son bulletin n°3, document nécessaire au dépôt de candidature à l’élection.
K2Rhym a affirmé avoir déposé une demande d’obtention du bulletin n°3 de la même façon qu’il le faisait d’habitude. Il a indiqué avoir été surpris de se voir refuser cela, montrant un document qu’il a reçu en guise de réponse mais qui ne portait ni signature ni cachet.

Mekki, Chaâri  et Daou hors course
Au moment où nous mettions sous presse, des verdicts sont tombés à l’encontre de certains candidats à la Présidentielle 2024. En effet, la chambre correctionnelle près le Tribunal de première instance de Tunis a condamné, lundi 5 août 2024, à huit mois de prison Abdellatif Mekki, Nizar Chaâri, et Mohamed Adel Daou, avec une interdiction à vie de se présenter aux élections, dans le cadre de l’affaire concernant la falsification des parrainages pour l’élection présidentielle et l’octroi de dons pour influencer les électeurs.
Le tribunal a également condamné à huit mois de prison avec exécution immédiate les candidats potentiels Mourad Messaoudi et Leila Hammami, qui sont actuellement en fuite. Des membres de la campagne électorale de Nizar Chaâri et Abdellatif Mekki en détention, ont été condamnés à huit mois de prison pour trois d’entre eux, tandis que le quatrième a écopé de deux ans de prison.

Deux ans de prison pour  Moussi
Le verdict est tombé pour Abir Moussi dans l’affaire qui l’oppose à l’ISIE. La présidente du PDL a écopé d’une condamnation à deux années de prison conformément aux dispositions du décret 54. Cette peine a été prononcée par la chambre correctionnelle près le Tribunal de première instance de Tunis dans le cadre d’une plainte déposée contre elle par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), en raison d’une déclaration médiatique qu’elle avait faite au début de l’année 2023 concernant le rendement de l’instance.

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