Présidentielle 2024 : L’urgence d’apaiser le climat politique

Huit mois de prison par contumace pour l’ancien président (provisoire) de la République Moncef Marzouki, se trouvant à l’étranger. Six mois de prison pour l’activiste Jawhar Mbarek, détenu à Al Mornaguia depuis un an. D’autres verdicts sont attendus dans le cadre d’affaires judiciaires en cours d’instruction concernant des responsables de partis politiques et d’anciens ministres accusés de complots contre la sûreté de l’Etat, de terrorisme et/ou de blanchiment d’argent. Les premiers arrêtés, en attendant leurs procès, viennent de boucler douze mois de détention dans la prison d’Al Mornaguia. A cette occasion, les détenus, qui n’ont cessé de clamer leur innocence, ont annoncé démarrer une grève, indéterminée, de la faim.  Dalila Ben Mbarek Msaddek, membre du comité de défense des détenus dans l’affaire dite de complot, entrée en grève de la faim sauvage le week end dernier pour dénoncer la condamnation de son frère Jawher Ben Mbarek suite à une plainte de l’ISIE, a été transportée d’urgence à l’hôpital Habib Thameur à Tunis.
Dans la prison des femmes du côté de La Manouba, Abir Moussi clôt bientôt son cinquième mois de détention. Pour Amnesty international, c’est « une figure de l’opposition victime de harcèlement judiciaire » qui doit être libérée immédiatement. Dès le départ, tous les détenus et leurs avocats ont dénoncé des procès politiques et accusé le chef de l’Exécutif d’écarter ses adversaires politiques en mettant la main sur la justice. Une accusation tout aussi politique portée par l’opposition et une partie de la société civile qui pointent, entre autres outils de limitation des libertés, le décret-loi 54 qui attire la foudre sur la liberté de parole.  Fréquemment dégainé, ce décret-loi, impopulaire et controversé, – destiné à lutter contre la cybercriminalité, la désinformation et les fausses rumeurs qui avaient, un temps, pris une ampleur dommageable nécessitant la mise en place d’un mécanisme de contrôle -, est désormais brandi comme une épée de Damoclès face aux Tunisiens qui ont cru avoir rompu avec la censure et l’autocensure et mené une révolution pour jouir de leur liberté d’expression.
C’est dans ce climat de suspicion et de crispation que le pays s’apprête à vivre une échéance électorale capitale pour les cinq prochaines années, l’élection présidentielle. Un climat marqué, également, par une absence des partis politiques plongés dans une profonde léthargie. Les arrestations des activistes accusés de complots, doivent-elles expliquer à elles seules cette démission des formations politiques censées avoir leurs programmes d’activités ? La solidarité inter-partisane en est-elle la cause ? Ou le décret-loi 54 ? Sans doute les trois. Et c’est peu. La vie politique est une succession de batailles pour le développement du pays et de la société, un travail continu de sensibilisation et de conscientisation, un idéal de réalisations et de prospérité. La vie politique ne peut se résumer à des querelles pour le partage du pouvoir ou à des luttes de clans pour se saborder les uns les autres. Quel est le bilan des centaines de partis politiques déclarés en Tunisie avant et après le 25 juillet 2023 ? Il est nul. D’abord, parce qu’en boycottant les Législatives de 2022 afin de les faire échouer, ils ont failli à leur mission, celle d’occuper l’hémicycle du Parlement pour légiférer et apporter le changement pour lequel ils prétendent exister et qu’ils promettent toujours aux citoyens. Puis, en concentrant leur mobilisation contre tout ce que fait ou dit Kaïs Saïed, l’adversaire politique, sans rien proposer d’autre aux Tunisiens. Avec quel capital adhésion et sympathie comptent-ils donc entrer dans la course électorale ? Les erreurs de Kaïs Saïed, ses manquements et son incapacité à résoudre tous les problèmes, ne suffiront pas pour faire pencher la balance électorale du côté vide des partis politiques en lice. Même les pourfendeurs du « coup d’Etat » du 25 juillet 2021, leurs griefs et leur mobilisation acharnée ne suffiront pas à convaincre les Tunisiens, dont les doléances socio-économiques ont, trop longtemps, été repoussées jusqu’à la résignation.
Des personnalités politiques ont déjà annoncé leur candidature à l’élection présidentielle de l’automne prochain, d’autres ont déjà appelé au boycott, encore une fois. Les premiers font ainsi preuve de confiance et d’assurance en leurs chances de mener à bien la course électorale ; quant aux seconds, ils s’avouent déjà perdants et font, encore une fois, preuve d’inaction et d’inutilité. Ce n’est pas du sabotage, car les Tunisiens ne vont pas voter quand ils ne le veulent pas. Preuve en a été donnée par les taux d’abstention aux différentes consultations et joutes électorales et dernièrement lors des élections locales, le même que celui des Législatives, alors qu’aucun appel au boycott n’a été lancé pour ces élections locales. Ce qui laisse penser que le taux de participation à l’élection présidentielle sera, quant à lui, beaucoup plus élevé, parce que l’enjeu sera plus grand et les Tunisiens en sont conscients.
Il reste huit à neuf mois avant la tenue de la Présidentielle de 2024 à laquelle Kaïs Saïed, même s’il semble être parti en campagne, ne s’est toujours pas porté candidat. Il lui incombe toutefois d’user de ce laps de temps pour apaiser le climat politique et instaurer les conditions favorables au bon déroulement de ce scrutin, c’est-à-dire un bon taux de participation qui donne de la crédibilité au président élu, quel qu’il soit. Pour ce faire, il est impératif de retirer l’épine du pied qui empêche le pays d’avancer à un rythme plus soutenu, afin de clore au plus vite les dossiers judiciaires qui plombent la vie politique et d’apporter les amendements qui s’imposent au décret-loi 54 pour faire revenir la confiance et l’envie de rester au pays.

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