Présidentielle du 6 octobre : le dilemme !

Jamais la Tunisie n’est passée, durant toute son histoire contemporaine, par une situation politique aussi complexe et délicate : un processus électoral tendu dont l’issue reste ambiguë, une classe politique déchiquetée et une opposition anéantie, après que le président a accaparé toutes les prérogatives depuis le coup de force du 25 juillet 2021, une Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) intransigeante et jusqu’au-boutiste, une population indifférente à la chose politique, une société civile plus que jamais affaiblie et dans le collimateur du pouvoir… Tout semble porter à croire que les jours qui nous séparent du scrutin du 6 octobre seront des plus difficiles.
En effet, alors que les dés sont jetés, avec le coup d’envoi de la campagne électorale,  samedi 14 septembre, l’injonction adressée un jour auparavant, soit vendredi 13, par le Premier président du Tribunal administratif au président de l’ISIE, l’appelant à revenir sur sa décision d’exclure Mohamed Mondher Zenaïdi de la liste des candidats retenus pour l’élection présidentielle même si cela requiert la révision du calendrier électoral afin de le conformer à la décision  de l’assemblée plénière juridictionnelle du TA et garantir ainsi le principe de cohérence entre le pouvoir judiciaire et la loi électorale, vient jeter un pavé dans la mare.
Dans cette injonction qui vient de tomber comme un coup de massue sur la tête du Conseil de l’ISIE mais également sur la tête de tous les Tunisiens, le président du TA dit clairement que  » le prononcé du jugement du 29 août était clair et sans aucune ambiguïté sur l’approbation du dossier de candidature à la présidentielle du plaignant qui répond à toutes les conditions légales. L’Isie est donc dans l’obligation légale d’appliquer la décision de l’assemblée plénière juridictionnelle et d’inclure le candidat dans la liste définitive des candidats à la présidentielle » et d’ajouter que « l’instance est tenue d’accélérer l’exécution de la décision de l’Assemblée plénière du TA de manière à coller au calendrier électoral et, si nécessaire, le mettre à jour pour qu’il soit adapté à cette décision ».
Il s’agit ainsi d’un vrai dilemme pour l’Instance de Farouk Bouaskar, accusée par ses détracteurs de se livrer à un bras de fer avec l’Institution judiciaire en validant seulement trois candidats, à savoir Kaïs Saïed, Ayachi Zammel (en prison) et Zouhaier Maghzaoui.
Bien que l’ISIE n’ait pas encore réagi à cette injonction pouvant chambarder le processus électoral, des voix se sont élevées pour mettre en doute la décision du TA. Il s’agit du chroniqueur d’Attassia TV, Riadh Jrad, un défenseur farouche du processus du 25 juillet qui, à travers une publication Facebook, considère que le “Tribunal administratif a violé la loi et outrepassé toutes les règles de neutralité en acceptant la requête d’interprétation pour l’exécution d’un jugement”. (Rappelons que Mondher Zenaïdi s’est adressé à nouveau au TA suite au refus de l’ISIE d’appliquer une décision antérieure rendue en sa faveur le 29 août par l’Assemblée plénière juridictionnelle du Tribunal administratif).
Pour le chroniqueur, largement controversé, “les litiges électoraux sont particuliers et ne relèvent pas de l’assistance à l’exécution, car la Constitution a confié exclusivement à l’ISIE la mission de surveiller la bonne exécution des décisions”. Pis encore, Jrad est allé plus loin pour considérer que “la décision d’accorder une assistance à l’exécution est en dehors du cadre légal, contrevient à la Constitution et à ses dispositions, et son contenu est nul”.
Ainsi, selon tous les analystes, on est face à une impasse politique très dangereuse car ce “bras de fer juridique” entre l’ISIE et l’institution judiciaire risque de mettre en question la crédibilité du scrutin présidentiel prévu dans trois semaines. Les résultats de ce scrutin pourraient ne pas être approuvés ni acceptés par l’opposition et par une large frange de la société civile qui, par le biais du Réseau tunisien des droits et des libertés, a fait entendre sa voix, en organisant vendredi 13 septembre, une manifestation massive  pour protester contre le climat politique actuel et appeler à la préservation des droits et des libertés.
L’Instance des élections ne semble pas se préoccuper outre mesure de tout ce qui se dit autour de ce bras de fer, poursuit l’exécution de son processus sans  lâcher du lest. La campagne a démarré et les préparatifs de l’élection sont déjà mis en place.
Pour certains analystes, parmi les plus optimistes, rien ne va changer sauf si, par un heureux hasard, le Conseil de l’ISIE ne prenne une décision « courageuse« , celle de réviser sa copie, de revenir sur ses décisions et  de se plier au verdict du TA.
En attendant, personne ne peut prédire ce que les jours qui viennent réservent à notre pays.

Mohamed Ali Ben Sghaïer

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