Depuis le 30 juin, les protestations favorables à l’ex. Président islamiste, Mohammed Morsi, n’ont cessé de s’intensifier, notamment après la candidature du Maréchal Abdel Fattah Al-Sissi à la présidentielle. Le début du scrutin pour les Egyptiens de l’étranger s’avère plus qu’électrique et dénote d’une tension grandisante. Mise au point.
L'élection présidentielle en Égypte se prépare dans un climat qui n’est pas très serein. Cette force politique importante, représentée par le courant islamiste, est devenue largement et légalement isolée, voire exclue de la scène politique», nous a affirmé Issandr Amrani, analyste politique marocain à International Crisis Group (ICG) au Caire.
Un suspense peu palpitant
La situation pré-électorale en Égypte ne s’avère pas des plus palpitantes. Certaines parties rapportent les faits d’un point de vue pessimiste, tandis que d’autres estiment que la phase pré-électorale se déroule dans des conditions favorables en Égypte et même en dehors du pays. «Les électeurs égyptiens résidant à l’étranger ont commencé l’opération de vote (depuis la semaine dernière). Tout se passe dans les règles de l’art. Nous n’avons pas constaté, à l’étranger, notamment en Tunisie, des dysfonctionnements au niveau des procédures ou des demandes», nous a affirmé Ibrahim Walid, diplomate égyptien en Tunisie.
Dans ce contexte, le ministre des Affaires étrangères, Nabil Fahmy, s’est dit fier de la participation massive des Égyptiens à l’étranger au processus électoral (soit plus de 170.000 personnes), la qualifiant de volonté inhabituelle et de détermination à construire un régime démocratique et moderne.
Pour d’autres, le principe même des élections s’oriente vers une bipolarisation. «Ce qui est assez choquant aujourd’hui, c’est que les élections égyptiennes se préparent avec seulement deux candidats en lice, tandis qu’en 2005 par exemple, sous le régime de Mubarak, une vingtaine de candidats sont entrés en concurrence», s’est étonné Amrani.
L’élection présidentielle en Égypte oppose aujourd’hui le puissant Maréchal, Abdel Fattah Al-Sissi, au candidat dit «révolutionnaire de gauche», Hamdine Sabahi. Mais le premier est donné ultra favori.
Connus pour leur humour, même dans les situations les plus difficiles, les jeunes égyptiens ont organisé une campagne électronique sur twitter. Des tweets ont circulé sur le réseau social autour d’une nouvelle campagne électorale «égyptienne» de la star américaine Kevin Spacey.
Dans le même temps, les jeunes et moins jeunes pro-Morsi ont organisé des manifestations rejetant la candidature d’Al-Sissi à la présidentielle et réclamant la libération des membres de la confrérie.
Amrani rapporte des chiffres qui circulent : 20 % de la population active politiquement sont pro-Morsi, tandis que 30% sont pro Al-Sissi. Tandis que 50% de la population sont «indécis». Certains voient en Al-Sissi une chance de stabilisation du pays
Un autre scénario s’avère possible, estime Amrani «Aujourd’hui, nous voyons à travers les médias, mais également à travers les pancartes scandées par les manifestations, des signes de violences et de haine», ajoutant que l’avenir du pays serait difficile si les acteurs ne prennent pas des mesures urgentes «de pacification», en concertation avec des intellectuels de tous bords.
Différentes formes d’expression se sont développées après la «révolution du 25 janvier 2011» en Égypte. L’ « alliance pour soutenir la légitimité » a investi la rue. Ces manifestations se sont accompagnées de condamnations à mort collectives. « Contrairement à ce qui s’est passé en Tunisie, l’Égypte n’a connu, ni un dialogue politique élargi entre les forces du pays, ni un consensus national pour mettre fin au conflit entre pro-Morsi et pro-Al Sissi. Toutefois, on considère que le pays s’oriente également vers une bipolarisation».
Frères musulmans VS frères «militaires» ?
La Libye serait-elle une autre Égypte? Des médias égyptiens et étrangers, mais aussi tunisiens, ont affirmé, au vu des évènements récents en Libye, que ce pays pourrait évoluer vers un scénario à l’égyptienne.
La semaine dernière, le Général Haftar avait lancé une offensive contre des groupes islamistes radicaux à Benghazi, dans l’Est du pays, entrainant la mort de 79 personnes. Les autorités libyennes ont qualifié cette offensive de tentative de «coup d’État militaire.»
Al-Sissi a affirmé son soutien au Général libyen Khalifa Haftar. L’Égypte a décidé, dans ce cadre, de renforcer militairement sa présence tout au long de la frontière avec la Libye.
Dans le même temps, le ministre égyptien des Affaires étrangères a souligné la volonté de son pays de fournir toutes les formes possibles de soutien pour le gouvernement libyen pour l’aider à «appliquer la loi» et maintenir «l’ordre public» en Libye. A suivre.
Chaïmae Bouazzaoui
Qu’en dit la presse francophone ?
Égypte, une campagne à haut risque
Dans quelques jours et précisément les 26 et 27 mai 2014, les Égyptiens seront appelés aux urnes pour élire leur président et ce, onze mois après le renversement par l’armée de l’ex-chef de l’État proche des Frères musulmans, l’islamiste Mohammed Morsi. Depuis, la tension dans le pays est maximale, une chasse aux partisans de Morsi et autres extrémistes est lancée, pugilats, prison et peine capitale pleuvent. L’élection opposera deux candidats, le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, ex-maréchal et ministre de la Défense et Hamdine Sabahi, opposant et politicien de gauche.
David contre Goliath ?
La rivalité entre ces deux personnages politiques évoque « le combat de David contre Goliath », comme le relève un article sur RFI.fr signé par Alexandre Buccianti. «L’ex-maréchal dispose d’une popularité écrasante dans les milieux laïcs, chrétiens et salafistes. Les bourgeois comme les classes défavorisées voient en lui «l’homme fort» qui pourra restaurer la sécurité et relancer l’économie. Mais Sabahi est convaincu qu’il peut créer la surprise comme il l’avait fait lors de la présidentielle de 2012 quand il avait frisé la qualification au second tour, alors qu’il était donné hors compétition par les sondages. Sabahi peut surtout compter sur les jeunes et les révolutionnaires qui voient en lui l’homme du «vrai changement».»
Al Sissi est vu par une grande majorité d’Égyptiens comme l’homme qui a écarté l’islamisme du pays, un sauveur de la nation, un militaire expérimenté, qui apportera la stabilité que le pays attend depuis la révolution. Sabahi, arrivé troisième lors de la présidentielle en 2012 avec 20 % des voix, est pourtant le seul à s’opposer à Abdel Fattah-Al-Sissi après le renoncement des candidats Mortada Mansour, avocat et président d’un club de football, et de Bouthaina Kamel, animatrice télé. Il était une des premières personnalités politiques à rejoindre la contestation quand la révolution a éclaté le 25 janvier 2011. Un article du journal France 24, signé Assiya Hamza, confirme d’ailleurs ce rapport de force défavorable au candidat socialiste nassérien, Hamdine Sabahi en titrant le 22 avril, Égypte : Hamdine Sabahi, vrai challengeur ou faire-valoir d’Al-Sissi ? La journaliste souligne les propos de Gilles Képel, spécialiste du Moyen-Orient et auteur de Passions arabes, «l’issue des élections ne laisse guère de doute. La candidature de M. Sabahi est davantage une candidature de témoignage qu’un véritable challenge. Personne n’imagine que M. Sissi pourrait ne pas être élu».
Élection ou plébiscite ?
Alors que l’échéance de fin mai approche, l’élection présidentielle prend une réelle tournure de plébiscite en faveur de l’ex-maréchal Al-Sissi. Les sondages le créditent de scores atteignant des sommets. L’opposition dénonce l’accaparement des moyens publics et privés afin de faire la promotion d’un seul candidat, voire la censure d’une partie de la contestation. Cela fait dire à plusieurs observateurs à quel point l’événement, crucial pour les cinq ans à venir, peut emboîter le pas des résultats que l’on a pu voir en Algérie.
Viennent alors les sondages. Tous prédisent une victoire du «nouveau pharaon d’Égypte», comme le surnomment une frange de la population et des commentateurs politiques. Encore récemment, début mai, un sondage de l’Institut égyptien Baseera créditait l’ancien chef de l’armée de 72 % des sondages, ce qui signifierait donc une absence de second tour. Un élément jouerait en la défaveur du candidat de gauche, son soutien aux islamistes pendant le mandat qui s’est terminé en juillet 2013 comme le souligne toujours Libération.
Concernant les éléments qui troublent la campagne, la polémique suscitée par l’interdiction, jusqu’aux termes du scrutin, de l’humoriste Bassem Youcef qui s’est moqué de l’euphorie entourant la candidature de l’ancien chef de l’armée.
Censures, sondages et signatures plus que favorables au candidat Al-Sissi poussent certains observateurs à qualifier l’élection «d’arnaque». C’est ce que l’on relève dans un article de Courrier International daté du 12 mai 2014. «En Égypte, la victoire du maréchal Al-Sissi en tant que sauveur providentiel de la nation ne sera qu’une nouvelle illustration des blocages de la vie politique. C’est ce que suggère en tout cas l’enchaînement répressif, depuis [les brutalités contre les rassemblements islamistes sur la place] Rabiya Al-Adawiya jusqu’à l’exclusion totale des Frères musulmans du jeu politique, en passant par les condamnations à mort [de centaines de membres de la confrérie].»
Une campagne à haut risque
En campagne officielle depuis le 3 mai 2014, les deux candidats adoptent une stratégie diamétralement différente dans une situation bouillonnante. L’ex-militaire s’illustre par des réunions à huis clos avec ses partisans, des entrevues et, comme le souligne le journal Métro de Montréal «le Général à la retraite de 59 ans a surtout fait campagne par des entrevues et des réunions à huis clos avec ses partisans». Dernièrement, par crainte pour sa sécurité dans le sud du pays, il a organisé un meeting par vidéoconférence dans un rassemblement populaire organisé par ses partisans à Assiut. Le papier souligne une présence «invisible» contrairement à son rival Hamdeen Sabahi qui a «adopté le comportement opposé: il a parcouru le pays, rencontré des travailleurs d’usine, des agriculteurs et des groupes de jeunes militants». Dernier exemple de risques, dans la nuit de samedi à dimanche, lors d’un meeting d’Al-Sissi au Caire, un engin enfoui derrière un chapiteau a explosé. Aucune victime n’est à déplorer.
M. Al-Sissi revendique le choix de la stabilité qui ne sacrifiera pas les libertés. Le pays, qui se remet d’une double crise après le renversement de Moubarak puis l’éviction du président islamiste élu, Mohammed Morsi, peut-il s’assurer un retour au calme sans retrouver les voies de la concorde nationale ?
Loris Guillaume