Présidentielle: Les défis sécuritaires selon Marzouki et Caïd Essebsi

Le second tour des élections présidentielles a commencé le 9 décembre dernier, alors que les mots d’ordre et les consignes de vote sont attendus et donnés aussi bien par les partis politiques que par les ex-candidats à la présidentielle. Tout le monde se précipite dans cette course fiévreuse pour siéger au Palais de Carthage. Alors que chaque candidat compte sur les éventuelles alliances entre partis, mais aussi avec des personnalités politiques éminentes, le poste de président de la République est devenu plus symbolique sur le plan de l’image personnelle, beaucoup plus que le reflet d’un véritable pouvoir de l’exécutif. En effet, certains prétendent que le président et selon la Constitution tunisienne n’a réellement que 10% de pouvoir réel comparé aux prérogatives du chef du gouvernement et ses ministres. Il n’en est pas moins vrai que ce faible pouvoir aura une importance primordiale dans la vie quotidienne des Tunisiens, car il est tout simplement le garant de la sécurité nationale du pays étant donné qu’il préside l’instance de la Sécurité nationale et qu’il est également le commandant suprême des forces armées.

Les deux candidats proposent-ils une nouvelle vision pour notre sécurité nationale et une réforme tant attendue de l’armée nationale ?

 

La Tunisie s’engage dans la dernière ligne droite dans l’établissement de la démocratie

Alors que la Tunisie s’engage dans un véritable processus démocratique, les défis sécuritaires aujourd’hui et dans un futur proche sont incommensurables. Les derniers affrontements en Libye menacent au plus haut nos frontières. Les milices pro-islamistes de «Fajr Libya» qui contrôlent le point de passage Ras-Jedir et l’armée libyenne sous le commandement de Khalifa Haftar s’enlisent dans une confrontation sanguinaire étant donné l’absence de toute amorce de dialogue ou de consensus politique. Quant à nos forces de sécurité et à notre armée nationale elles ont  élevé leur degré d’alerte. Car si les affrontements tournent mal, les civils afflueront par centaines de milliers pour se réfugier en Tunisie. Avec plus d’un million de Libyens qui vivent en permanence en Tunisie et plus de 500.000 qui circulent par intermittence, on imagine la mobilisation sécuritaire qui doit se faire tout au long de la frontière, sans compter la surveillance dans les villes et les campagnes. C’est un lourd fardeau sécuritaire, certes, mais aussi économique vu le poids que pèse cette population sur les caisses de compensation, sans compter les problèmes liés à l’économie parallèle et la contrebande qui grèvent les caisses de l’État.

D’autre part, la frontière nord algéro-tunisienne n’est pas moins à l’abri des menaces sécuritaires. Car en effet et depuis maintenant plus de deux ans les attaques terroristes sont quasiment concentrées dans cette zone.

En dépit d’une coopération de plus en plus renforcée avec l’Algérie, la nébuleuse terroriste a pris pied dans les villages et montagnes proches des frontières. On imagine l’immense effort déployé par nos forces sécuritaires et armées afin de sécuriser le pays, particulièrement dans cette conjoncture délicate d’une élection survenant dans un monde arabe en ébullition et déchiré par les conflits.

 

Moncef Marzouki présente-t-il une vision nouvelle pour notre sécurité ?

À la tête de la présidence depuis maintenant trois ans consécutifs, ses détracteurs déplorent un bilan négatif. Durant 2011-2014, le terrorisme a sévi de façon spectaculaire. Alors qu’il se présente à nouveau pour briguer un mandat de 5 ans, quelle nouvelle vision Marzouki a-t-il de la sécurité des Tunisiens et quels sont les moyens qu’il mettra en œuvre afin d’y parvenir ?

Des déclarations données par Marzouki dans les différents meetings on ne retrouve quasiment aucune trace d’une vision ou d’un programme susceptible de mettre sur pied un véritable plan sécuritaire pour la Tunisie. Quoiqu’il préside l’instance pour la «Sécurité nationale», il ne semble pas capable d’entrevoir les différentes facettes de ce concept lourd de conséquences, car il n’est vu qu’à travers un angle policier et militaire. D’autre part, s’attarder à brandir le spectre du retour de l’ancien régime ne rassure aucunement les Tunisiens. Ce constat n’est guère un jugement de valeur, mais nous nous appuyons surtout sur le discours du candidat qui doit, à notre sens, donner un véritable programme lui-même issu d’une vision stratégique qui engloberait une parfaite connaissance des enjeux stratégiques régionaux, continentaux et internationaux actuels.

Or, l’ensemble de ces discours se tournent vers des accusations consistant à faire craindre un spectre du passé et à se vanter perpétuellement de son propre passé : une certaine mégalomanie qui n’avance en rien le dossier sécuritaire, première préoccupation des Tunisiens.

Parler d’équipements, de budget, de recrutement en hommes ne résout aucunement le problème si aujourd’hui une décision d’envergure n’est pas prise pour réformer fondamentalement notre vision pour la sécurité nationale. Le débat de Marzouki est un débat de personnes et non de programmes pour le pays. On aurait tant aimé voir un candidat, qui a connu durant son mandat une montée spectaculaire du terrorisme, assumer pleinement ses responsabilités et son rôle de commandant suprême de l’armée et nous donner sa nouvelle vision (en prenant en compte l’avis des acteurs et des conseillers apolitiques) et proposer à notre armée de nouvelles vocations en lui fournissant toutes les compétences et les prérogatives afin d’assurer la sécurité du pays.

 

Béji Caïd Essbsi propose-t-il une vision nouvelle pour notre sécurité nationale ?

De par son passé d’homme d’État ayant brigué plusieurs postes ministériels sous Bourguiba, Béji Caïd Essbsi peut se targuer d’une grande expérience. En effet, celle-ci est importante dans la mesure où la politique étrangère et la direction du ministère de la Défense sous la double casquette de commandant en chef des forces armées ainsi que de superviseur de l’instance pour la sécurité nationale, lui procurent un large éventail d’actions.

Ce candidat à la présidence de la Tunisie propose-t-il un nouveau crédo pour l’armée et une vision  novatrice et globale dans une conception nouvelle de la sécurité nationale ?

À quel genre d’armée pouvons-nous aspirer dans ce climat de terrorisme et de conflits régionaux ?

Jusqu’à présent, Caïd Essebsi a été pris aussi dans les obligations électorales et les tournées- marathon et, de fait, il n’a exposé aucune vision stratégique concernant la sécurité nationale. Il a évoqué vaguement son intention de restituer à l’État son prestige sans fournir les détails de son programme pour y parvenir. Nous pensons que l’urgence de la détérioration de la situation sécuritaire à nos frontières doit pousser le candidat à clarifier sa vision pour les Tunisiens et adopter une réforme profonde non pas de forme, mais plutôt de fond. Autrement dit, la sécurité nationale qui est aujourd’hui une conception erronée chez la présidence peut-elle être appréhendée de façon globale et si c’est le cas pourquoi  ne le voit-on pas dans le programme du candidat ?

 Il est grand temps d’affirmer haut et fort qu’une réforme structurelle, qui incombe à la présidence de la République, doit se faire au plus vite. La sécurité nationale devrait occuper plus d’espace dans le programme du candidat et on ne voit actuellement pas les signes forts d’une vision-programme.

 

Repositionner le débat sur les prérogatives réelles de la présidence

Le débat entre les deux candidats demeure malheureusement faussé par de nombreuses questions qui semblent pertinentes à première vue : combattre la marginalité, œuvrer pour le travail des jeunes, redresser l’économie… mais les deux candidats oublient que ces questions ne sont réellement pas de leurs ressorts.

De ces questions auxquelles les deux candidats n’ont pu apporter des réponses claires et qui sont de leur ressort (si l’un d’entre les deux est élu) :

Comment changer la doctrine de l’armée face aux menaces intérieures et aux conflits à nos frontières ?

L’armée de métier ne serait-elle pas l’avenir de la Tunisie face à notre armée régulière et classique ?

Et enfin quand verrons-nous une conception non erronée, mais réelle et profonde de la notion de sécurité nationale et quel programme doit-il être mis en place au plus vite pour inclure tous les acteurs dans cette notion ?

 

Fayçal Chérif

 

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