En Septembre 2004, un colloque à propos du tourisme et du développement durable dans le Jebel Bargou avait eu lieu. Un charmant petit hôtel avait été construit sur le piémont sud du Jebel, à proximité du monument des martyrs tués lors du combat épique du 13 Novembre 1954. Il a été question de promouvoir les produits locaux dont des pêches typiques et … tout s’est endormi ! Aussi, comme chaque année, nous vous proposons de venir faire de l’écotourisme dans le Bargou.
L’arrivée
D’où venez-vous ?
Du sud-est, du Sahel ? Alors vous vous êtes certainement arrêtés au pied de la magnifique citadelle byzantine de Ksar Lemsa. Puis vous êtes repartis vers le nord par une petite route pittoresque, bordée de bois de pins et de petits champs, vous avez peut-être remarqué une magnifique plantation de jeunes cerisiers et vous êtes enfin arrivés à Aïn Bou Saadia qui fait office de chef-lieu du Bargou.
Si vous venez du nord-est, de Tunis par exemple, vous avez eu le choix : vous avez fait l’école buissonnière et vous êtes passés à Oum El Abouab / La mère des portes / Seressi antique qui vaut bien la promenade par une route très agréable zigzagant entre des collines boisées. Elle vous conduit à Ksar Lemsa et vous arrivez au Bargou par l’entrée précédente nord-est, mais vous pouvez aussi avoir continué vers Robaa / Bargou et vous atteignez un croisement. A droite, une route mène à Bou Saadia. Quitte à nous répéter, elle, aussi, est charmante. Souvent étroite et sinueuse, bordée de pins ou de cultures envahies au printemps par des nappes sanglantes de coquelicots ou des tapis dorés de ravenelles. Les oueds qu’on coupe ou longe sont bordés de lauriers qui commencent à être saupoudrés de rose.
Le Jebel Bargou, qui est presque au centre de la Grande Dorsale tunisienne peut aussi être atteint par son extrémité sud-ouest. En venant de Oueslatia, on passera par Agger puis par le col de Foum El Afrit : la bouche du démon, qui garde un superbe pont de l’époque romaine. En venant de Bargou ou de Siliana, on passera à proximité d’un énorme puits romain encore très fréquenté : Aïn Zoukar, nous croyons.
Ces deux itinéraires passent à proximité des vestiges d’époque romaine de Vazi Sarra / Henchir Bez et de la grande maison forestière, d’époque coloniale, de Sodga. L’avantage de cette « entrée » est que vous parcourez tout le piémont Sud du Bargou. Vous allez successivement traverser les villages modernes construits par les habitants des Dechret (hameaux) montagnardes descendus à la rencontre des commodités de la civilisation dans le fond de la vallée. A votre gauche, les petites maisons, souvent en ruine, se blottissent à mi-pente : Dechra Behirine, Dechra Nechia, Dechra Ballouta, au-dessus de Bou Saadia et à l’extrémité nord-est du mont Dechra El Ghar.
Les habitants du Bargou semblent être une population autochtone, d’origine berbère, qui a fui les plaines romanisées pour se réfugier sur des sites montagnards, faciles à défendre, peut-être, lors des invasions hilaliennes en 1050-1060. Ces familles, ces petits clans, ont vécu en autarcie sur des monts riches en eau, en bois, en pierres à bâtir et en gibier, dans une région à l’écart des grands axes routiers. Leur vie n’a changé que vers la deuxième moitié d’un XXe siècle. Le combat de 1954 en est la preuve. Alors que la France a octroyé une autonomie politique interne à la Tunisie le 31 Juillet 1954, trois mois et demi après, des dizaines de combattants tunisiens sont encore retranchés dans le Jebel et continuent à lutter.
Le mont
Au printemps, vous serez sûrement surpris : l’air frais retentit de chants d’oiseaux, toutes les pentes couvertes de verdure ruissellent. Arrêtez-vous et allez voir les plantations de figuiers et de pêchers protégés des vents du nord par d’épaisses haies qui les dissimulent bien. Un tapis multicolore couvre les champs : le rouge des coquelicots se mêle au bleu des bouraches, au jaune des « marguerites », au blanc des camomilles. Les moineaux piaillent dans les cyprès : ils construisent leur nid, « protègent » leur femelle et défendent leur « espace vital ».
A Bou Saadia, évidemment vous irez visiter « l’hôtel ». Comme nous, vous regretterez qu’il ne soit pas fréquenté davantage. L’accueil y est aimable, les chambres immenses et la nourriture simple : de grands couscous, d’excellentes chorba et naturelles quasi « bio ». Après une visite au monument des martyrs, vous irez sûrement voir l’immense captage. La source et les rochers d’où elle jaillit ont été inclus dans un grand bâtiment doté de petites fenêtres. Il y règne une atmosphère de sanctuaire. Dans la pénombre fraîche, l’eau se décante pratiquement en silence et passe de bassin en bassin.
Dehors, les façades en ogive ont des allures « prestigieuses ». Un exutoire a été maçonné. Il est bordé de grands arbres qui ombragent une courte promenade équipée de bancs. On regrette que le débit de la source ait beaucoup diminué. Est-ce la pluviométrie qui y est faible, ces dernières années ? Est-ce à cause des énormes pompages des deux établissements de captage et de mise en bouteille de l’eau minérale, installés à chaque extrémité du mont ? Personne n’a pu, ou n’a voulu nous répondre !
Que faire au Bargou ?
Puisque vous êtes au Captage, allez vers le piémont sud. Vous découvrez qu’un « escalier » a été creusé dans le flanc du mont. Il mène à ce qu’il reste d’une grotte, autrefois souterraine, produite par des infiltrations d’eau.
Allez un peu plus loin visiter le « Borj de l’eau », doté d’une tour carrée à chaque angle : une maison « directoriale » où logeait, au début du siècle, le gérant de la Société de l’eau, alors privée. Quel dommage que l’on n’en fasse rien et qu’on la laisse se détériorer petit à petit faute d’entretien. Elle pourrait être une maison d’hôte, un gîte rural remarquable.
Ensuite, vous irez voir, au moins, une Dechra. La plus proche est celle, évidemment, de Bou Saadia. Vous pourrez aller, un peu plus loin, à la Dechra El Ghar. Tout le monde vous indiquera le chemin à suivre ou un gamin vous y conduira.
Un peu plus facilement, parce que dans le cadre du projet de tourisme durable, un itinéraire avait été aménagé, à partir du village d’El Fougra, construit, avec sa mosquée, au bord de la route, à l’extrémité sud-ouest du mont, on monte lentement entre des pins et parfois des oliviers centenaires au tronc énorme, vers Dechra Behirine, protégée par d’énormes haies de cactus, puis plus haut vers Aïn Rtiba et enfin Ras El Aïn. Les marcheurs aguerris peuvent grimper jusqu’au signal géodésique et au marabout de … Zehila Lella à plus de 1200 mètres ! Pour les affamés de marche en montagne, nous signalons qu’on peut parfaitement parcourir toute la crête du Jebel Bargou depuis le Kef Cerkouna (1115 mètres) au nord-est. Il surplombe Dechra El Ghar. On ira jusqu’au signal géodésique (1268 mètres), d’où on peut redescendre vers Dechra Ballouta et la vallée, ou on parcourra Kef Ahmar et on finit au marabout Zehila Lella. Une promenade d’une longue journée.
Pour les autres, les pistes en forêt, le pique-nique au bord d’un ruisseau, la vision d’un « bagour » : un bovin à demi-sauvage, l’observation d’un nid d’aigle royal, la visite des grottes des hirondelles de rochers, la dégustation d’un peu de miel local ou de beurre « fermier » seront des prétextes à revenir au Jebel Bargou.
Alix Martin