Le tabou est brisé

La question des prisons a été, durant les dernières décennies, au centre des préoccupations de quelques organisations de défense des droits humains et de soutien des prisonniers politiques. Des rapports ont été publiés en dépit de l'absence de liberté. Ces derniers ont permis d'attirer l'attention sur l'état des prisons en Tunisie et de soulever d'importantes questions relatives au système pénitentiaire et à la justice. En dehors du CSDHLF et du CICR et de quelques rares exceptions, les visites des prisons n’étaient pas autorisées aux ONG de défense des droits humains. Après le 14 janvier 2011 et à la suite des mutineries qui ont éclaté dans certaines prisons et les incendies qui en ont résulté, on a pris conscience de l'urgence de la réforme et de la réhabilitation des prisons. Les mouvements de grève de la faim et le décès de deux salafistes ont abondé dans le même sens. Avec l'aide d'ONG internationales, les ministères de la Justice et des Droits de l'Homme sont appelés à mettre en place des projets de réforme en conformité avec les principes internationaux. Aussi cette question est-elle prise en charge également par la société civile qui est enfin autorisée à visiter les prisons. C'est dans cette nouvelle dynamique qu'un colloque international a été organisé par le ministère de la Justice et celui des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle avec le concours d'ONG internationales et d'experts, les 19 et 20 janvier derniers, à Tunis, autour du "système pénitentiaire tunisien : réalités et perspectives". Cette rencontre, qui a réuni toutes les parties concernées a été l'occasion de discuter des questions relatives au système pénitentiaire telles que les conditions des détenus, les peines alternatives, le recrutement, la formation et les conditions de travail du personnel pénitentiaire, l'infrastructure des prisons, les soins médicaux, les activités récréatives, la surcharge des pavillons, l'application des sanctions et mesures, la prise en charge psychologique des détenus, le travail rémunéré en prison, la formation professionnelle des détenus, l'éducation des jeunes détenus, la sécurité, les procédures de contrôle, les cellules d'isolement, l'insertion sociale des détenus libérés, etc. Autant de questions posées ayant pour objectif d'humaniser les prisons tunisiennes et de préparer le détenu à une réinsertion sociale sans difficulté. Car il s'agit bien de revoir notre conception de la prison. Certes il s'agit de protéger la société contre la violence et toutes sortes de délits commis et qui touchent à la sécurité des citoyens. Mais la prison, qui sanctionne en privant le détenu de sa liberté, ne doit, en aucun cas, le spolier de ses droits en tant que citoyen : droits à la sécurité, à la santé, à un traitement humain, à l'éducation, aux loisirs, à la formation, au travail et à un salaire pouvant subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille… Pour ce faire, une réforme urgente s'impose, comme l'a montré le directeur de l'administration pénitentiaire Habib Sboui, dans son intervention dévoilant objectivement toutes les carences des 28 prisons du pays. La réalité de nos prisons est alarmante avec leur manque de moyens, leur surcharge (estimée à 125%), la violence qui s'y exerce, les carences en matière de soins médicaux, d’espace vital, de formation, de loisirs, etc. Si bien que nos prisons ne peuvent jouer leur rôle social. D’où l’élévation importante du taux de récidive (45%). Le nombre des prisonniers en Tunisie avoisine les 21.000. Notre pays compte 185 détenus pour 100.000 habitants. Chiffres jugés élevés et qui s’expliquent également par le nombre important de prisonniers en attente d'être jugés. La lenteur des procédures judiciaires, la non-application des peines alternatives pour les courtes peines et les petits délits comme le travail d'intérêt social, la libération conditionnelle, etc. se comptent parmi les causes de la surcharge des cellules, l'exiguïté des lieux et l’insuffisance et la mauvaise qualité de la nourriture qui ne coûte à l’administration pénitentiaire que 1.600 millimes par jour ! Les moyens budgétaires manquent certes, mais les possibilités de financement existent comme celle d'ouvrir la prison aux investissements extérieurs. Les solutions existent pour améliorer les conditions des détenus afin qu’ils ne s’adonnent plus à l’automutilation, ni à la violence qui rend encore plus insupportable la cohabitation. Comme il est important d’améliorer les conditions de travail des agents de surveillance, dont le nombre est déplorable. La volonté politique existe bel et bien, car la plupart de ceux qui sont aujourd’hui aux commandes de l'État sont d'anciens prisonniers politiques qui ont vécu les affres du système pénitentiaire. Ils ne peuvent, par conséquent, demeurer indifférents à toutes ces souffrances et à cette lente déshumanisation des détenus dont la plupart sont appelés un jour à reprendre leur vie normale. En guise de conclusion, il me revient sans cesse à l’esprit cette belle phrase de Victor Hugo : «Fermez les prisons. Ouvrez des écoles.»

Noura Borsali

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