Soukeina Bouraoui, professeur de droit et directrice de Cawtar, nous donne des éclairages sur cette première édition du Prix Lysistrata. Entretien.
Pourquoi un prix Lysistrata ?
Il faut rappeler tout d’abord que l’objectif essentiel de CAWTAR est de rendre visibles les femmes arabes dans leur région, en l’occurrence la Méditerranée et même au-delà. Nous avons co-fondé le Prix Lysistrata avec Med 21 pour le règlement pacifique des conflits et par la médiation en Méditerranée, car comme chacun le sait, la Méditerranée est une région de très grande civilisation mais aussi de très grands conflits de toutes sortes, que ce soit de guerre, politiques ou sociaux ou encore de compétition et ce, depuis Carthage et Rome. Toute la région, même au-delà de la Méditerranée, est en période de pré-conflit, de post-conflit ou de conflit. Notre volonté est d’instaurer un dialogue de paix et de tolérance, d’ouverture et d’acceptation de l’autre, et ce n’est pas facile par ces temps difficiles et je crois que les femmes ont le talent de savoir négocier et favoriser la paix à la guerre et aux conflits. D’où le choix de nommer le prix Lysistrata. En référence à Lysistrata, la femme qui, par la paix et l’intelligence dans la négociation, a pu mettre fin à des conflits entre tribus, pour les mettre autour de la table des négociations et trouver une issue à leurs conflits et elle a réussi. Lysistrata est la femme par laquelle la paix arrive et elle représente donc le symbole de la paix.
Le Prix Lysistrata réaffirmerait-il l’importance de la médiation et du règlement pacifique des différends et des conflits ?
La médiation est un processus de communication. Le règlement pacifique par la médiation concerne tous les conflits, entre pays, entre régions, entre tribus ou même à petite échelle, à travers des personnes ou des associations civiles. La médiation est une science qui s’enseigne et qui se pratique et grâce à des médiateurs, de nombreux conflits ont pris fin et ont laissé la place à la paix. Dans le monde méditerranéen, nombreuses aussi sont les personnes qui œuvrent pour la paix et dont la mission de médiation et de négociation a permis aux parties en conflit de s’écouter et de raisonner, dans un autre langage que celui de la rivalité et de la guerre. Un médiateur est un tiers qui devrait être forcément neutre et qui doit rapprocher les points de vue et amener les parties à trouver un accord. Ce n’est ni un juge ni un arbitre. La médiation n’est pas non plus une forme alternative à la sanction pénale. Ceci dit, il faudrait que les protagonistes des conflits aient la conscience de faire appel aux médiateurs.
Pour donner à ce prix plus de profondeur, nous nous sommes associés au Programme MED 21, une association qui a déjà dans son palmarès, plusieurs prix qui récompensent des personnes physiques ou morales ayant contribué au renforcement de la coopération méditerranéenne dans différents domaines. Le but essentiel de tout cela est la diplomatie culturelle. En même temps, au niveau de CAWTAR, nous avons déjà lancé des formations pour des associations dans les régions intérieures sur le règlement pacifique des conflits, car ces associations sont amenées à être médiatrices de conflits. Celles-ci ont besoin de renforcement de leur capacité, y compris dans le règlement pacifique de conflits. Ces conflits ne concernent pas la guerre proprement dite, mais sont en rapport avec l’acceptation de l’autre, la tolérance et l’ouverture à la citoyenneté et la place à donner au dialogue. Cela contribue fortement à la fondation de la paix sociale. Il faut rappeler qu’il existe toujours des conflits entre tribus dans les régions intérieures du pays. En même temps, il est vrai qu’en Tunisie, on n’en parle pas beaucoup.
Créer un prix pour la médiation à ce moment précis, voudrait-il dire qu’aujourd’hui, nous avons plus besoin de la médiation qu’avant ?
Oui, beaucoup plus. Aujourd’hui, nous avons besoin encore plus de la médiation, car avec la démocratisation, avec les médias et les réseaux sociaux, les conflits se multiplient. Les occasions de conflits sont plus nombreuses. Plus il y a cette extériorisation de la parole et cette liberté d’expression, plus le besoin de la paix sociale est ressenti. Cela part d’un conflit d’héritage entre frères, jusqu’au conflit historique entre Israël et la Palestine. Les médias et la presse pourront jouer un rôle très important à l’occasion de cet événement pour médiatiser encore plus le rôle du médiateur et mettre en relief ces actions, dont l’impact est conséquent dans l’accomplissement de la paix sociale.
Grâce à ce Prix Lysistrata, nous allons rendre hommage à des personnes dont le rapport avec la paix est étroit. Les lauréats de ce prix ont certainement contribué à la préservation du patrimoine d’un pays, ou ont mis fin à des conflits et plaidé pour la cause de la paix à travers même des appels à la force spirituelle et à la raison.
Propos recueillis par Najah Jaouadi