Prix Nobel de la paix :Une fierté et une responsabilité

L’octroi du prix Nobel au quartet en charge du dialogue national en Tunisie est un évènement majeur, non seulement pour les quatre organisations, mais également pour notre pays et pour tous les Tunisiens. C’est d’ailleurs de cette manière que les Tunisiens ont ressenti cette distinction. Ils ne cessent d’exprimer leur fierté d’avoir pu avoir ce prix qui exprime la reconnaissance de cette prestigieuse institution à l’expérience tunisienne dans sa sortie de l’autoritarisme et de construction d’un nouveau contrat social démocratique et ouvert. Cette fierté nous a permis de sortir du désenchantement, de l’inquiétude et parfois même du désespoir devant les difficultés de cette transition et particulièrement, face à l’émergence de l’ogre terroriste et de l’avènement de la violence politique sur la place publique.
Cette fierté faut-il le rappeler est nouvelle. En effet, durant les années d’autoritarisme, c’est plutôt le sentiment de honte qui prévalait devant les pratiques anachroniques du régime déchu en termes de liberté, de népotisme ou de corruption. Depuis la Révolution, les choses ont changé de manière radicale et c’est plutôt le sentiment de fierté qui prévaut car la Tunisie a ouvert la voie de la transition démocratique pour une région qui s’est toujours enfermée dans un autoritarisme et dans des structures politiques d’un autre âge. La Révolution tunisienne a encouragé les révolutions démocratiques dans une région qui espérait leur échapper et poursuivre son enfermement dans son exception et son éloignement de l’universel des Droits de l’Homme et de la démocratie.
Ce prix est venu consacrer cette rupture dans la tradition politique par les Tunisiens et ouvrir une nouvelle voie où la démocratie et les libertés vont devenir la norme dans la gestion du politique. L’octroi de ce prix vient aussi saluer la capacité de notre pays à gérer de manière pacifique les difficultés de la transition et éviter les dérives que les autres pays du printemps arabe sont en train de traverser avec leurs lots de guerre, de violence, de larmes et de désolation. L’Académie Nobel a tenu aussi à honorer les quatre organisations de la société civile qui ont su gérer avec beaucoup de doigté la crise de 2013 et éviter à notre pays une dérive majeure dans le processus de transition démocratique. Mais cette reconnaissance va au-delà de ces organisations pour reconnaître le rôle de la société civile tunisienne d’une manière générale pour défendre la société devant les dérives autoritaires du régime déchu et dans la sauvegarde du processus de transition démocratique et dans la défense des libertés après la Révolution.
Les Tunisiens ont exprimé leur fierté de manière forte dans la presse et sur les réseaux sociaux. Mais, il faut souligner que cette fierté s’est accompagnée d’un sentiment de responsabilité, comme si les choses ne seront plus comme avant et que nous nous sommes dit qu’il fallait sortir de notre désenchantement pour poursuivre dans la voie de la transition démocratique pour ancrer l’universel des Droits de l’Homme dans notre système politique et dans nos pratiques politiques et sociales.
A ce niveau, même si nous avons fait de réels progrès, beaucoup reste à achever et à différents niveaux. Le premier niveau est d’ordre politique et concerne la construction d’une démocratie apaisée et civile. Pour cela, il faut d’abord exclure la violence et notamment le terrorisme du champ politique. Il faut également finaliser l’installation de toutes les instances et les institutions démocratiques. Mais, il est impératif aussi d’instaurer la culture de la différence, du respect de l’autre et de la recherche de consensus pour échapper à l’exclusion qui génère la violence et nourrit les haines. Au contraire, la démocratisation apaisée ne ferait que renforcer la démocratie, le dialogue et un vivre en commun pluriel et respectueux de l’autre.
Une autre responsabilité relève du domaine économique et concerne la mise en place d’une nouvelle dynamique de croissance pour sortir de la crise des modèles de développement basés sur les rentes dont celle de la main d’œuvre à faible coût. Nous devons favoriser l’émergence d’une nouveau modèle de développement qui s’appuie sur une insertion dans des secteurs plus intensifs en nouvelles technologies et capables d’offrir de nouvelles perspectives pour les nouvelles générations.
Mais, l’enjeu le plus important reste dans le domaine social et concerne l’ouverture de nouvelles perspectives à des générations entières de jeunes et particulièrement de jeunes diplômés qui ne trouvent pas de possibilités d’embauche après leurs études. Cette question sociale est au cœur des difficultés de la transition car ce sont ces jeunes désœuvrés et sans emploi qui constituent la chair à canon des groupes djihadistes et la violence inouïe qui traverse nos sociétés depuis le déclenchement des printemps arabes. Il est temps de réfléchir sur de nouvelles réponses qui permettront d’offrir de nouvelles expériences historiques aux générations 2.0.
En définitive, l’octroi du prix Nobel de la paix pour les quatre organisations en charge du dialogue national a été un motif de fierté pour tous les Tunisiens. A nous d’apprécier cette fierté et surtout d’en faire un devoir et une responsabilité qui nous inviteront à faire plus pour écrire une vraie success story de la tradition démocratique dans notre région.

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