Par Dr Souhir Lahiani
Alors que le nombre de féminicides augmente en Tunisie, une réalité douloureuse qui réclame une attention urgente (le rapport annuel présenté par les associations «Aswat Nissa» et «Femme et citoyenneté au Kef» révèle une tendance inquiétante avec 25 cas enregistrés en 2023, contre 23 en 2022), nous ne devons pas oublier le nombre de femmes qui excellent dans tous les domaines. Il est inadmissible de les tuer ou de les harceler alors qu’elles brillent à tous les niveaux. Ces femmes, par leur talent, leur détermination et leur travail acharné, illuminent les échelons les plus variés, que ce soit dans les domaines de la politique, de la science, de l’art, de l’éducation ou de l’entreprise.
Il est tout simplement inacceptable que ces femmes, qui contribuent de manière significative à l’avancement et à la richesse de notre société, soient victimes de violence ou de harcèlement. Leur lumière ne devrait pas être obscurcie par la menace de la violence ou l’ombre du harcèlement. Au contraire, elles devraient être soutenues, encouragées et protégées, afin qu’elles puissent continuer à inspirer et à guider les générations futures.
La Tunisie est un pays d’avant-garde en matière de droits des femmes et ce, depuis les premières années de la décolonisation. Les femmes y sont souvent décrites comme des actrices de premier plan aux niveaux politique et économique. Nombreuses sont les figures politiques et de résistantes face à la dictature de Ben Ali, président déchu par la révolte populaire de 2011, ou les femmes à la tête d’entreprises prospères. Nombreuses également sont les avocates, les écrivaines, les journalistes ou les femmes militantes féministes qui ont porté des enjeux de dignité à la tête des institutions nées du changement politique de la dernière décennie, telles que l’Instance vérité et dignité.
Les femmes écrivaines ont souvent été en première ligne lors des mouvements révolutionnaires, qu’ils soient politiques, sociaux ou culturels. Comme le certifie Angela Davis : « Le succès ou l’échec d’une révolution peut toujours se mesurer au degré selon lequel le statut de la femme s’en est trouvé rapidement modifié dans une direction progressive. »
En effet, l’influence et l’impact des femmes écrivaines dans la société fournissent une perspective significative sur le succès de celle-ci. Elles ont une capacité à façonner les opinions, à susciter le débat et à inspirer le changement.
Le CREDIF célèbre les écrits féminins tunisiens
Depuis sa création en 1995, le Prix Zoubeida Bchir a illuminé de façon remarquable le panorama littéraire tunisien, récompensant les voix féminines qui ont enrichi le dialogue culturel et social du pays.
162 lauréates ont été honorées pour leurs contributions exceptionnelles de 1995 à 2023, selon la directrice du centre, Mme Soraya Belkahia.
En tant qu’institution publique, le CREDIF a été fondé en 1990 sous l’égide du ministère de la Femme, de la Famille, de l’Enfance et des Seniors, avec une mission claire et déterminée : renforcer les droits des femmes tunisiennes et promouvoir l’égalité entre les sexes. À travers ses quatre piliers stratégiques – la recherche, la formation, la communication et la documentation – le CREDIF a été à l’avant-garde de la lutte pour l’autonomisation des femmes.
Chaque année, depuis près de trois décennies, le CREDIF a orchestré la cérémonie de remise du Prix Zoubeida Bchir, un événement qui célèbre non seulement les réalisations individuelles des écrivaines tunisiennes, mais aussi le pouvoir collectif de la littérature féminine. En 2023, cette tradition s’est poursuivie avec éclat, alors que le CREDIF honorait Aïcha Ibrahim, une figure emblématique de la littérature tunisienne, reconnue à la fois pour ses talents d’écrivaine francophone et de peintre.
À travers ces célébrations annuelles, le CREDIF réaffirme son engagement envers la diversité et l’inclusion, offrant une plateforme essentielle pour les voix féminines dans le paysage culturel tunisien. Ces efforts continus sont non seulement une reconnaissance des réalisations passées, mais aussi un pas vers un avenir où l’égalité des sexes est une réalité concrète.
Un acquis de la femme tunisienne
Le Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme (CREDIF) a créé en 1995, en collaboration avec le Club Tahar Haddad, le prix « Zoubeida Bchir » afin d’honorer la première poétesse tunisienne qui a publié son premier recueil intitulé « Nostalgie » en 1968.
Ce prix est décerné le 8 mars de chaque année, date de la célébration de la Journée internationale de la femme. Les écrivaines et les chercheurs tunisiens distingués sont honorés lors de cet évènement culturel renouvelé.
Plus qu’une simple récompense, le prix «Zoubeida Bchir» est devenu un pilier incontournable dans le paysage intellectuel tunisien, un symbole de l’engagement en faveur de la reconnaissance et de la valorisation des femmes dans les domaines scientifiques et littéraires. Son objectif est multiple : mettre en lumière les productions remarquables des femmes, encourager la recherche scientifique sur la condition féminine et les études de genre et contribuer à la préservation d’une partie essentielle du patrimoine culturel national.
Zoubeida Bchir : la poétesse pionnière en Tunisie
Quelle est l’identité de cette remarquable poétesse ? Zoubeida Bchir, née en 1938 et décédée le 21 août 2011, s’inscrit parmi les figures prééminentes de la poésie des années 1960. Son influence a été décisive dans le façonnement d’un nouveau style poétique. Elle est reconnue comme une pionnière de la poésie en Tunisie et elle occupe une place singulière dans le monde arabe en raison de la noblesse de son langage, de sa sensibilité et de son profond sentiment.
Zoubeida Bchir est la première femme tunisienne à avoir publié un recueil de poésie en 1968, intitulé «Hanine» (Nostalgie). En 2002, elle a également publié un autre recueil intitulé «Ala», ainsi qu’une nouvelle intitulée «Refrain mélancolique», honorée en 1958 par le Premier Prix de Radio France Internationale (RFI) à Paris.
Son héritage est perpétué à travers le «Prix Zoubeida Bchir des écrits féminins», créé en 1995 en collaboration avec le club Tahar Haddad et le Centre de recherche, d’études, de documentation et d’information sur la femme (CREDIF).
En plus de son œuvre littéraire, Zoubeida Bchir s’est distinguée par ses émissions culturelles diffusées sur les ondes de la Radio tunisienne et par la publication de poèmes dans diverses revues de l’époque, contribuant ainsi à enrichir la scène littéraire tunisienne.
Et comme en témoigne Abdeljalil Bouguerra*, «écrire sur la femme… écrire sur la Tunisie. Il suffisait de relire certaines biographies afin de s’arrêter sur l’apport de la femme tunisienne au niveau des luttes sociale et nationale, que ce soit à l’intérieur des partis politiques et syndicaux, ou bien de manière indépendante, à l’instar des biographies de Bchira Ben Mrad, Radhia Haddod, Gladys Adda, Hamida Ben Mrad… et beaucoup d’autres encore à citer ».
En reconnaissant et en célébrant les réalisations des femmes tunisiennes dans tous les domaines, nous leur rendons hommage et nous nous engageons à créer un avenir où leur contribution est pleinement valorisée et respectée.
Au fil des décennies, la Tunisie a continué à progresser dans la promotion des droits des femmes, avec l’adoption de lois supplémentaires et l’introduction de politiques visant à renforcer l’égalité des sexes. Cependant, malgré ces progrès, des défis persistent encore en matière de discrimination et de violence à l’égard des femmes, et des efforts supplémentaires sont nécessaires pour parvenir à une véritable égalité des sexes dans tous les aspects de la société tunisienne.
Nous devons collectivement nous engager à créer un environnement où toutes les femmes, sans exception, peuvent s’épanouir librement et en toute sécurité. Cela implique de lutter activement contre les attitudes et les comportements qui perpétuent la violence et le harcèlement à l’égard des femmes, ainsi que de mettre en place des mécanismes efficaces pour soutenir les victimes et poursuivre les auteurs de tels actes.
*Note bibliographique : Noureddine Bettaieb : Femmes et Lumières, présentation de Abdejalil Bougherra, traduction Faiza Messaoudi, Khraief Editions, 2023.
Les lauréates du prix « Zoubeida Bchir 2023 »
– Prix de la création littéraire en langue arabe : Najet Eddahen
– Prix de la création littéraire en langue française : Ferial Simnouli
– Prix de la recherche scientifique en langue arabe : Lamia Taktak
– Prix de la recherche scientifique en langue française : Alia Nakhli
– Prix de la recherche scientifique portant sur la femme : Noura Arfaoui.