La campagne lancée par les pouvoirs publics à partir du 15 avril et avant le début du mois de Ramadan contre les spéculateurs et les contrebandiers qui organisent la flambée des prix des denrées alimentaires et rançonnent les consommateurs, est opportune et spectaculaire. Le bilan est éloquent à travers l’ensemble du pays et notamment le Grand Tunis. A savoir 600 entrepôts de stockage de produits alimentaires perquisitionnés, 700 tonnes de denrées saisies, des centaines de procès-verbaux rédigés portant sur des infractions à la réglementation en vigueur. Pour le Grand Tunis, le bilan des saisies en six jours est évalué à plus de 5 millions de dinars.
L’impact aurait été immédiat sur 60 marchés de détail, en plus du marché de gros d’intérêt national de Bir Kassaâ : une détente généralisée sur les prix, estimée à 15-20% pour quelques jours.
C’est déjà ça, estiment les consommateurs. Mais qu’en sera-t-il après, pendant le Ramadan et durant le reste de l’année ? Il faut dire que depuis 2011, la perte d’autorité de l’Etat a provoqué une inflation croissante de l’ordre de 7,5% par an, alors que les prix des denrées alimentaires ont été multipliés par deux, voire trois entre 2010 et 2018.
Certes, les actions “coups de poing” sont utiles et nécessaires, mais insuffisantes pour résoudre la spéculation sur les marchés et la flambée des prix qui frappent en permanence les denrées alimentaires.
On ne peut pas résoudre une défaillance structurelle et récurrente par des actions conjoncturelles et sporadiques.
Certes, cela permet de remettre les pendules à l’heure, c’est-à-dire calmer les prix de façon partielle et provisoire, réprimer les fraudeurs et donner satisfaction, mais il faudrait finir par adopter des mesures durables.
Rappelons que notre pays a adopté, à l’exception de certains produits de base dont le prix est imposé par l’Etat (pâtes, pain, couscous…), le système libéral de liberté des prix.
En effet, c’est la confrontation entre l’offre et la demande des produits sur le marché qui engendre la fixation des prix.
Cela laisse le champ libre aux grossistes, gacharas et khadharas pour accaparer le large espace qui sépare producteurs agricoles et commerçants en détail des fruits et légumes, viandes blanches et rouges, poissons…
Les spéculateurs qui disposent de capitaux, de moyens de transport et d’entrepôts neutres et frigorifiques achètent à vil prix les récoltes sur pied, ou bien dès le ramassage des légumes et organisent à leur guise la mise sur le marché des denrées en leur possession.
Ils instaurent notamment la pénurie pour faire flamber les prix en fonction des circonstances : le Ramadan, l’Aïd, la saison estivale, le Mouled…
C’est le consommateur qui subit et souffre tandis que les pouvoirs publics laissent faire souvent mais réagissent parfois selon les circonstances politiques, les élections qui approchent par exemple.
L’Etat doit veiller au respect strict de la réglementation en vigueur pour protéger les consommateurs contre les abus, fraudes et excès des spéculateurs et des commerçants malhonnêtes.
Il y a des circuits de commercialisation officiels à respecter et des marges précises à ne pas dépasser pour les commerces de détail.
Il y a un plan directeur des marchés de gros, une étude adoptée par le ministère du Commerce et non mise en application à ce jour.
L’Administration doit renforcer de façon significative ses services de contrôle économique et de répression des fraudes.
On ne peut pas maîtriser les prix s’il n’y a que 600 contrôleurs de prix, y compris le personnel de bureau et quelques dizaines de voitures pour l’ensemble du territoire, alors qu’il y a des centaines de milliers de points de vente dans le pays. C’est dire que les effectifs doivent tripler.
L’Etat doit aider les producteurs agricoles à s’organiser pour prendre en main la commercialisation de leurs produits sous diverses formes : sociétés ou coopératives de services, mutuelles… acquisition de moyens de transport, location ou achat d’entrepôts, mais aussi approvisionnement en intrants pour les adhérents, grâce aux crédits bonifiés accordés par l’Etat.
La société civile sous forme d’associations de défense des consommateurs a un rôle vital à assumer avec l’aide de l’Etat, celui de sensibiliser les citoyens pour rationaliser leurs comportements d’avidité consommatrice, défendre leurs intérêts et promouvoir une culture anti-gaspillage.
Le ministère de l’Agriculture en coopération avec l’UTAP devrait créer une structure permanente de commercialisation des produits agricoles toute l’année, avec une trentaine de points de vente témoins, un par gouvernorat, avec dix pour le Grand Tunis, une structure à gérer par la direction commerciale de l’Office des terres domaniales qui commercialiserait les produits de ses fermes, renforcés par ceux des agriculteurs privés.
47