Pour mettre en place un nouveau code d’investissement simple, cohérent et efficace, il s’avère nécessaire d’accompagner ce texte important et, du reste, très attendu, d’une série de réformes aussi importantes qu’imbriquées touchant respectivement le Code de la douane, la loi bancaire, le Code de change, la réforme fiscale et de l’Administration.
Avec le parachèvement du projet de Code d’investissement qui, devrait être adopté par l’Assemblée des Représentants du Peuple d’ici octobre prochain et entrer en vigueur le 1er janvier 2016, cette condition semble difficilement réalisable. Paradoxalement, ce texte, objet d’une large consultation institutionnelle et sectorielle, ne trouve pas encore un consensus parfois au sein même du gouvernement. Certains reprochent à cette réforme son caractère trop libéral et redoutent les risques qui pèsent sur des pans entiers de l’économie tunisienne par leur ouverture brusque sur la concurrence extérieure.
L’actuelle mouture, présentée fin mai dernier en conseil des ministres, devrait subir quelques menues modifications et attendre deux ou trois ans pour produire l’effet escompté ; le temps que prendra le parachèvement des autres réformes censées conférer à l’architecture envisagée cohérence, globalité et efficacité. Résultat : il peut y avoir un décalage entre l’esprit de ce texte et son aspect opérationnel.
En effet, théoriquement, le nouveau projet d’inspiration libérale ( il comporte 25 articles seulement), permettra d’ouvrir de grandes brèches à l’investissement notamment dans certains secteurs des services, de l’industrie et du commerce, jadis soumis au régime de l’autorisation et du cahier des charges, conférera transparence et rapidité aux procédures administratives et introduira de nouveaux instruments de gouvernance de l’investissement.
Dans la pratique, de nombreux experts expriment certaines réserves se rapportant à l’applicabilité des dispositions contenues dans ce projet, à la question des autorisations à accorder aux investisseurs et, enfin, à la suppression des incitations. Bien plus, beaucoup reste à faire pour aboutir à un texte consensuel et faire les bons arbitrages qui permettent de lever toutes les barrières qui handicapent jusqu’ici l’acte d’investir. Un code d’investissement est-il suffisant pour impulser l’investissement en Tunisie, est l’autre question qui taraude pas mal d’opérateurs qui invoquent l’importance d’autres facteurs comme la sécurité et les tensions sociales dans l’attractivité d’un site et la décision d’investir.
Il faut préciser d’emblée que ce projet, en gestation depuis 2012, figure parmi les priorités des cent premiers jours du gouvernement Essid et les cinq dossiers prioritaires que le ministère du Développement, de l’investissement et de la coopération internationale s’est engagé à finaliser au cours de cette période. L’objectif recherché est double, faire le marketing de la Tunisie et lancer un message positif de confiance aux investisseurs nationaux et internationaux. Pour cette raison évidente, on a pris le soin de préparer un projet qu’on s’est empressé de qualifier, à la fois simple, attractif et présentant des ouvertures intéressantes à l’investisseur.
Urgences
Le premier point focal de ce premier projet consiste en les garanties qu’il offre en matière de simplicité, d’ouverture et de cohérence. Vient ensuite, la mise en place de mécanismes de gouvernance de l’investissement. Enfin, ce nouveau texte fait de la réussite du processus de transition démocratique et du renforcement de la stabilité et de la sécurité un atout pour renforcer l’attractivité du site tunisien.
La mise en place d’un nouveau code d’investissement revêt, en outre, une grande urgence au regard de l’attentisme et de l’incertitude qui ont longtemps prévalu chez les opérateurs économiques, du déclin continu et inquiétant de l’investissement privé et de l’inadéquation du code en vigueur en date de 1993 avec le contexte actuel que connait le pays.
En témoigne, la part de l’investissement dans le PIB qui est passée de 25% en 2010 à moins 20% actuellement (au Maroc 30%).
L’autre diagnostic sévère, qu’avancent les experts, concerne le Code de 1993 qui a atteint ses limites avec des incitations inefficaces et coûteuses et dont l’impact sur le développement régional et l’emploi est marginal. 2% seulement des emplois sont créés grâce aux incitations, ce qui se traduit par un coût de 30 mille dinars pour chaque emploi crée. Les incitations fiscales, au titre de l’investissement, sont estimées à 1,1 milliard de dinars par an, représentant 9% des recettes fiscales et 6% du budget de l’Etat. Quant aux incitations financières accordées annuellement en vertu de l’ancien code, elles atteignent 306 millions de dinars.
Partant de cet état des lieux, le nouveau projet de code se propose d’apporter de grands changements qualitatifs à l’effet de faciliter l’acte d’investissement et de consacrer le principe de gouvernance des avantages qu’accorde l’Etat aux promoteurs dont les projets cadrent avec les priorités fixées dans les stratégies de développement.
Un calendrier de cinq ans
Le projet de Code d’investissement introduit le principe de la séparation du cadre règlementaire de l’investissement et de la politique publique en matière de promotion de l’investissement. Parallèlement, deux institutions seront mises en place, à savoir respectivement l’autorité tunisienne d’investissement (TIF) et le fonds tunisien de l’investissement, pour gérer la politique de promotion des investissements.
Le projet de code d’investissement détermine trois règles d’accès aux marchés qui sont la liberté d’investissement, l’accès à la propriété et la possibilité de recrutement du tiers des cadres étrangers. Le principe d’ouverture sera opéré de manière progressive dans la mesure où certains secteurs sensibles resteront assujettis soit à l’autorisation, soit au cahier des charges.
Néanmoins, la suppression de toutes les autorisations du Code et la réduction de leur nombre pendant les cinq années à venir est envisagée selon un calendrier que chaque ministère est appelé à établir.
Ce processus ne pourra être entamé significativement que, si les orientations du plan stratégique 2016-2020 ne soient arrêtées, qu’un compromis trouvé entre les différents ordres professionnels et que des arbitrages soient effectués entre les différents secteurs.
D’une manière générale, la dichotomie entre l’on et l’offshore n’aurai plus aucun sens. Un taux d’impôt unique sur les sociétés sera adopté. Un taux uniforme de 15% sera adopté sur les sociétés, ce taux restera à 35% pour certains secteurs comme les télécommunications, les hydrocarbures et le secteur financier.
Il apparait ainsi que la volonté d’ouverture déclarée dans le texte trouve à la sortie des barrières normatives et, reste subordonnée à la capacité de certains départements d’établir un calendrier clair et astreignant pour libéraliser certains secteurs d’activités.
L’abandon des incitations est-elle la bonne formule à l’heure où le pays cherche à stimuler l’investissement ? Même si les avis ne sont pas partagés à ce sujet, l’Etat entend à travers le Code de 2015 mieux les répartir en leur conférant une plus grande efficience. Conformément à cette vision, la rationalisation des avantages implique leur ciblage vers des objectifs stratégiques à l’instar du développement régional, la création d’emplois, l’exportation…
TIA : un interlocuteur unique
Pour gérer ces avantages, le projet du code prévoit la création de mécanismes. Le premier est la mise en place de l’autorité tunisienne d’investissement (TIA), qui jouera le rôle d’interlocuteur unique des investisseurs. Outre les missions d’accompagnement, de constitution et d’octroi des subventions qui lui reviennent de droit, l’autorité tunisienne d’investissement intervient en matière de proposition des grandes réformes, de gestion des grands projets et de gestion des primes et subventions.
Le deuxième mécanisme qui sera créé est d’ordre financier. Un fonds tunisien de l’investissement est prévu. Il sera une sorte de fonds souverain et le résultat direct de la fusion des principaux fonds de trésor existants. En d’autres termes, l’Etat mettra des ressources à disposition d’opérateurs financiers agrées pour accorder directement des primes à l’investisseur, favoriser des opérations de participation au capital et accorder des garanties aux projets qui sont en phase avec les priorités de développement fixées notamment dans le plan stratégique 2016-2020.
En somme on a actuellement un projet qui contient des orientations ambitieuses, des dispositions qui libèrent l’investissement et définissent les droits et les obligations de chaque partie, la question qui se pose consiste à savoir si ce cadre est en phase avec la réalité de l’entreprise en Tunisie et lui apporte les réponses tant attendues ?