Nous vous avions promis de revenir bientôt dans la région de Fortuna. « Chose promise, chose due ! ». La nature y est encore très belle, presque « naturelle » les champs ne sont pas aspergés d’herbicide, de fongicide, d’insecticide et autres poisons qui attaquent même les hommes ! En ce moment la nature y est en fête.
La promenade
Maintenant vous connaissez la route. Après un café matinal à Menzel Bou Zelfa, on prend la direction de Menzel Témime. On escalade calmement le Jebel Sidi Abderrahmane aux pentes boisées. Déjà les premières tourterelles migratrices, appelées tourterelles des bois, s’y installent. Elles arrivent par petits groupes. Les plus pressées s’accouplent aussitôt et se mettent à couver dans un nid très sommaire. Une grande partie des autres ira en Europe.
Ces bois de pins et d’eucalyptus, à droite de la route, fournissent de nombreux emplacements de pique-nique, calmes et ombragés ainsi que de multiples itinéraires de randonnées aussi bien à pied qu’à V.T.T.. Vous dirai-je – mais vous le savez déjà ! – qu’en hiver, les bécasses s’y remisent volontiers, à la grande joie des chasseurs.
Un peu plus loin, on descend en laissant le barrage sur l’Oued Chiba. Sa retenue d’eau attire souvent des oiseaux d’eau et quelques busards des roseaux. Vous savez : ceux qui se « choisissent » de façon curieuse. Le mâle, en vol, laisse tomber une proie à portée d’une femelle qui, en l’attrapant au vol, signifie au mâle qu’elle l’accepte comme compagnon !
Un peu plus loin, bien avant le bourg d’Oum Douil, une petite route, à gauche, mène au village de Fortuna. On y laisse son véhicule et on part à la recherche des vestiges situés dans un rayon de 1 à 1,5 kilomètre tout autour du village.
On commence par jouir du paysage. Ici, et maintenant, la campagne est fleurie. A l’ombre, les derniers oxalis offrent leurs petites trompettes d’un jaune acide près des soucis orangés tardifs. Un peu partout, les houppettes mauves des « chardons marie » garnissent les talus au bord des chemins. Les merles tout noirs profitent de la proximité du village pour vous narguer et des vols de moineaux querelleurs peuplent les eucalyptus voisins. Les ravenelles jaunes commencent à envahir les champs de céréales encore vertes, au désespoir des paysans.
Chemin faisant, en se dirigeant vers le sud du village, on découvre le hanout : tombeau rupestre berbère, situé au lieu-dit Zitoun Bou rouag ou Bit El Mel, on croise des nappes de grandes marguerites jaune vif, des buissons de calycotomes aux fleurs d’or et des mourons dont le bleu roi concurrence celui des bourraches.
Puis, on revient vers le nord-est pour trouver le hanout de l’Oued Enhal. Il est taillé à la façon d’un puits dans un banc rocheux. Dans son toit, une ouverture quadrangulaire a été ouverte sans doute postérieurement. On en profite pour découvrir aux endroits humides des « boutons d’or » et des « gouttes de sang » : celles d’Adonis mourant, dit la légende ! Bien cachées parce que très recherchées, les pousses tendres des fenouils et les « Cardons » de la saison, suggèrent des couscous délicieux.
A quelques centaines de mètres, se dresse le « Rocher bleu » : « El hajra ezzarga », le « menhir » de Fortuna. C’est une excroissance naturelle que l’oxydation de la roche a colorée. De nombreuses traces de polissage sur le rocher révèlent qu’il a été fréquenté à l’époque néolithique. Regardez bien, la mauve : la « khoubbiza » déploie ses trompettes d’un rose indien vif, presque violet dans l’herbe épaisse.
En se dirigeant vers le mont, on rejoint le hanout et les faux « menhirs » de « Demnet Erramla » appelé aussi « Demnet El Karoui ». Comme la hajra ezzarga, ces excroissances rocheuses ont probablement été l’objet d’un culte préhistorique. Voilà les quatre sites de l’ensemble voisin du village de Fortuna.
Le hameau d’Errouiguet
Une piste carrossable relie Fortuna au hameau d’Errouiguet mais nous avons décidé de parcourir à pied ces deux kilomètres, vers le nord-est. Chemin faisant, des buissons de lentisque aux baies rouges, s’envolent parfois un « verdier » au plumage vert clair ou quelques chardonnerets au bonnet rouge, blanc et noir. Ils recherchent de petites graines en particulier celles des chardons cardères qui servaient naguère à lustrer les « chéchia » neuves. Des friches incultes, où les bancs de roches sont à fleur de terre, montent les hampes aux « étoiles » blanches des asphodèles et les hantes ombelles jaunes des férules.
A Proximité de la zaouïa de Sidi Ali Bou Rouiguet, on découvre un premier « Hanout » bien conservé. Un peu plus loin, dans un banc rocheux, au lieu-dit « Abada » deux « haouanet » curieux ont été creusés : l’un est pourvu d’un couloir d’entrée, l’autre doté de marches précédant le couloir d’accès.
Là-bas, devant nous, les derniers contreforts du Jebel Sidi Abderrahmane sont tapissés de calycotomes aux fleurs d’or et de cistes aux fleurettes dont les pétales mauves sont fripés, comme mal « repassés ». A leur pied, s’épanouissent les trompettes roses ou tricolores de divers « liserons ».
Les papillons sont nombreux. Les blanches piérides du chou « volettent » de ci, de là. Elles semblent des fleurs ailées. Le « vulcain » aux ailes tâchées de noir et de rouge et le grand « machaon » multicolore, reconnaissable aux petites « queues » à l’arrière de ses ailes, attirent le regard. Tout ici éclot, s’épanouit et vit.
Un peu plus loin, au lieu-dit « Dar Ayed », s’ouvre un autre « Hanout » dont l’entrée précédée d’un couloir et la chambre sépulcrale sont presque entièrement remblayées. Tant pis, on peut continuer vers Kef El Ahmar qui se trouve à 2 kilomètres au nord-ouest de Rouiguet. D’une anfractuosité, s’enfuit une genette.
On guette dans le ciel, au-dessus du mont, un rapace aux ailes blanches bordées de noir à l’arrière : un élanion blanc ou la silhouette claire tavelée de points gris : un faucon lanier. Ils se sédentarisent dans la région depuis quelque temps. Là-bas, une pie grièche monte la garde à proximité du buisson où elle a « empalé » ses proies : sauterelles et scarabées, sur des épines.
Kef El Ahmar est un escarpement rocheux de couleur rougeâtre au pied duquel ont été découverts des outils préhistoriques de l’industrie atérienne typiquement nord-africaine. En amont de cette industrie, dans un niveau de terre grisâtre, des pièces en silex datent de l’Ibéromaurusien : de la fin de l’époque paléolithique. En surface, des silex reflètent une industrie néolithique. Des hommes ont vécu là durant des millénaires !
A partir de Fortuna, à deux kilomètres vers le sud, on peut aller découvrir le site d’Henchir Eddalia. A pied, c’est un régal. Les alouettes, souvent confondues avec le cochevis huppé, s’élèvent à la verticale et lancent leurs trilles « suraiguës ». Le long du chemin, les fleurettes blanches des nigelles de Damas, présentées comme une panacée par les guérisseurs locaux et les corolles mauves de certaines « marguerites » qui ont l’odeur et le goût du chocolat se mêlent aux plants de « rouquettes » à la saveur acidulée. Là, un groupe de minuscules « points » roses. Ce sont les plants d’une salade très appréciée : la mâche ou doucette.
Henchir Eddalia est un bourg berbéro-romain « vierge ». On y découvre une enceinte fortifiée sans doute préromaine. Des installations hydrauliques et des vestiges d’édifices publics se devinent encore parmi les pierres et les herbes. A quelques pas, une nécropole d’époque romaine est l’objet de fouilles clandestines.
En cheminant parmi les fleurs, en faisant voler, ici une petite sauterelle aux ailes écarlates, là un papillon « argus » aux ailes azur ou citron bordées d’orangé, en faisant fuir prestement un petit lézard gris ou en mettant à l’essor une minuscule fauvette à tête noire, bercée par le bourdonnement des abeilles et les chants d’oiseaux, on se promet de revenir.
A.M