Les réseaux terroristes agissant sur la scène nationale et internationale savent manier l’image, le slogan et le verbe. C’est à se demander, dans ce cadre bien précis, comment agissent, aujourd’hui, les nébuleuses terroristes en ayant recours aux moyens de communications modernes, sans s’adonner à aucun enseignement scientifique ? Car, quand on parle de propagande, on évoque aussi l’endoctrinement, le recrutement via différents réseaux, et une série de mots d’ordre donnés aux adeptes afin de les engager dans l’action. On évoque peu ce processus, et nous pensons qu’en creusant en profondeur dans les véritables supports de ces réseaux terroristes, on pourrait parvenir à déceler les fondements mêmes de leurs propagandes agissantes.
La propagande en tant que support indispensable aux groupes terroristes
Sur un champ purement théorique, et comme en a fait preuve l’Allemagne hitlérienne, la propagande n’a rein à voir avec l’enseignement scientifique et académique. Selon la théorie goebbelsienne, l’effet préconisé par une propagande en temps de guerre vise : “la dislocation psychologique de l’adeversaire”. Et pour recruter les futurs candidats au terrorisme, il faut surtout faire jouer les sentiments et quasiment jamais la raison. Quant à la méthode, elle consiste à inventer une théorie spécieuse, en rapport avec de vieilles croyances générales, artificieusement édifiée sur des mensonges, répétée avec assurance, répandue par tous les moyens de publicité, résumée dans une formule simple et frappante, faite pour se graver facilement dans l’esprit des masses. Hitler, dans Mein Kampf, avait bien formulé les buts d’une propagande réussie : «…Il est absurde de donner à la propagande la diversité d’un enseignement scientifique. La faculté d’assimilation de la grande masse n’est que très restreinte, son entendement petit, par contre, son manque de mémoire est grand. Donc toute propagande efficace doit se limiter à des points fort peu nombreux et les faire valoir à coups de formules stéréotypées, aussi longtemps qu’il le faudra, pour que le dernier des auditeurs soit à même de saisir l’idée….Ainsi plus le contenu de l’exposé doit être ample, plus est nécessaire la justesse psychologique dans la détermination de la tactique. ».
En effet, la propagande doit recourir à tous les moyens pour toucher les sensibilités en leur adressant des discours en recourant souvent aux versets du Coran sortis de leurs contextes et plus souvent tronqués, amputés pour ne s’en tenir qu’à l’aspect préconisé d’avance. L’objectif étant le recrutement des adeptes, le leitmotiv étant tout simplement de désigner l’adversaire et maintenir l’éternel duel entre le bien et le mal. Il faut faire jouer l’imagination et faire appel à l’émotion et à l’instinct de défense. Pascal avait bien émis des réflexions là-dessus :«l e ton de voix impose aux plus sages, et change un discours et un poème de force. L’homme a eu bien raison d’allier ces deux puissances, quoique dans cette paix l’imagination ait bien amplement l’avantage ; car dans la guerre elle l’a bien plus entier : jamais la raison ne surmonte entièrement l’imagination, alors que l’imagination démonte souvent tout à fait la raison de son siège… l’imagination fait de tout : elle fait la beauté, la justice, et le bonheur, qui est le tout du monde. » (Pascal, pensées, pp. 67-69), Paris Gallimard.
La propagande est fondée sur des adaptations psychologiques. Persuader, c’est plaire plutôt que convaincre. Les conditions essentielles d’une propagande réussie doivent tenir compte de deux principaux facteurs :
-Ceux à qui on s’adresse doivent pouvoir l’entendre sans peine et avec plaisir ;
-Il faut qu’ils s’y sentent concernés, de telle sorte que l’amour-propre les portera plus à consacrer leur réflexion. L’appel aux sentiments est toujours plus fort que celui de la raison.
Terroristes : les mots-clés
De retour à la propagande terroriste, on voit qu’elle tient d’abord au niveau du recrutement des adeptes à un recours systématique à l’instinct de défense contre un péril imminent. Cette fixation va désigner ensuite les adversaires. Et pour frapper l’imagination, rien ne vaut une lecture biaisée de l’histoire, mais pas du Coran, car, aller vers un niveau hautement académique n’est certes pas l’apanage de ces groupes, qui se limitent tout au plus à une lecture superficielle du Coran. L’histoire telle qu’elle est lue par ces groupes, bien entendu dorée et glorieuse appelle à réédifier de nouveau cet empire musulman, et la notion d’Etat national ne doit avoir aucun sens pour eux.
Ainsi, les bannières soit politiques, ou armées doivent rappeler des épopées et des territoires infiniment illimités qui furent jadis et donc toute forme d’Etat qui ne se revendique pas de cet héritage doit être simplement apostasié. Les noms génériques de ces mouvements devait renvoyer à un ensemble continental, voire un empire : Al Qaïda dans la péninsule arabe, Etat islamique ou encore un rappel des fondements de la religion musulmane : les supporters de la Charia (Ansar al Charia), et les bras armés renvoient à des noms illustres de la conquête musulmane : la brigade (katiba) Okba Ibn Nafaa, le conquérant du Maghreb rebaptisé depuis islamique.
La propagande de ces groupes terroristes tient essentiellement à frapper l’imaginaire par un retour figé de l’histoire et une instrumentalisation qui n’accepte pas la critique. Cette sacralisation pèle- mêle de ce qui convient de nommer les supports affectifs des musulmans, appelle les adeptes et les futurs candidats à défendre cet héritage. On voit très bien le peu de recours aux dogmes de l’Islam, si ce n’est de faire valoir l’instinct de défense et surtout de surévaluer l’esprit de complot qui entoure ce projet combien sacré ! Les chefs de ces nébuleuses terroristes n’ont point besoin de fouiller dans le dogme, dans les textes, c’est-à-dire le Coran et la Sunna, il suffit de brandir le spectre du complot judéo-chrétien laïque et ses représentants pour annoncer ensuite la guerre dite « sainte ». Or, tout le monde sait comment la guerre sainte se déclare en Islam : c’est sous la menace aussi, mais elles sont autres. L’Islam permet la guerre sainte quand la menace est réelle sur la famille, le territoire, les frères de sang et de religion, à la terre et aux moyens de subsistance. Ils omettent sciemment de dire que l’ultime but du djihad et qui reçoit la gratification suprême en Islam serait l’aspiration de tout musulman à aller toujours plus loin dans le savoir sous toutes ses formes et non de faire la guerre. Car la plus grande guerre en Islam est celle menée contre l’ignorance, et ces nébuleuses et ces groupes n’en parlent guère, car à ce niveau, ils ne peuvent que donner des phrases vides, des versets hors contexte ou un hadith dit pour des cas bien précis. Cette fermeté qu’on remarque chez les terroristes tient tout simplement à ignorance et non à une connaissance approfondie. Ils parlent peu, ne s’aventurent jamais à expliquer des textes, et même dans leurs modes de communications on assiste plutôt à une déclaration de guerre et non à une explication appuyée par des arguments qui tirent ses forces des dogmes fondateurs de l’Islam.
Il est facile d’apostasier autrui, mais il est très difficile de le convaincre par les arguments scientifiques et religieux, car leurs niveau d’instruction et leurs connaissances religieuses sont médiocres. Tuer est plus facile que d’instruire !
Les « taghouts »,apostasier, tuer et décapiter
C’est alors que le terrorisme passe au deuxième stade qui est de désigner les ennemis de leurs prétendus projets qui tiennent à un Etat sans frontière et dont il faut combattre les boucliers de ce régime national et nationaliste : armée et police et tous les hommes politiques qui portent atteinte à ce projet d’Etat relégué au rang du sacré.
La propagande des réseaux terroristes désigne d’abord les ennemis jurés contre leurs projets d’érection de ce prétendu Etat. On a vu en Tunisie qu’ils ont commencé d’abord à apostasier certains politiques qu’ils ont qualifiés de kouffars. Il est très facile de passer au jugement de valeur et de pénétrer dans la pensée des autres pour savoir s’il est un bon musulman ou simplement un apostat. Ce jugement va appeler à l’action de l’élimination physique et non par le débat d’idée comme le stipule bien l’Islam, et même s’il reste sur ses positions, tuer quelqu’un est un acte majeur que la religion musulmane avait bien précisé les conditions. Les premiers crimes du terrorisme en Tunisie furent deux éminents politiciens : Chokri Belaïd et Mohammed Brahmi. Plutôt des actes d’intimidation pour faire peur à toute la classe politique.
Après avoir reçu les armes et les munitions et assis des bases arrières et des cellules parsemées un peu partout, les groupes terroristes sont passé au deuxième stade : s’attaquer aux boucliers de l’Etat : l’armée et les forces de sécurité. L’attentat du Bardo est une nouvelle étape dans une stratégie bien établie qui consiste à « disloquer l’Etat », créer l’anarchie pour mieux se positionner et arracher ensuite des territoires. Ce scénario réalisé en Irak et en partie en Syrie fait rêver les autres groupes ; d’où la cadence accélérée d’alliance avec Daech.
Conclusion
Toute la propagande menée par les groupes terroristes n’a pour but que d’asseoir un régime politique qui se donne une teinte sacrée, de forme religieuse certes, mais bâtie au fond sur une lecture subversive de l’Histoire. Car il faut bien le rappeler à ces terroristes, toutes les expériences humaines ne peuvent être sacralisées, le fameuse « terre d’Islam » est une philosophie de cohabitation et non un système de gouvernance qui a prouvé par le passé ses limites. Or, à ce débat académique, ils ne sont guère en mesure de consacrer réflexion et de fournir des réponses, il leur est plus simple de décapiter par une faiblesse et une faillite d’arguments. Démasquer la propagande des réseaux terroristes, reviendrait en quelque sorte à montrer la force de l’Islam face à ces nouveaux barbares qui ne peuvent affronter un argument contre un argument !