Quand Fœnnkinos livre un roman « sérieux »

Nous terminons notre tour des prix littéraires de l’année avec Charlotte de David Foenkinos pour lequel il a obtenu le Renaudot et le Goncourt des Lycéens. Il est le grand vainqueur de la saison littéraire. Avec un roman assez détestable.

Grave. Pour donner d’entrée de jeu plus de solennité́ à son texte, David Foenkinos résume son livre en trois lignes qui tiennent lieu d’avertissement:

Ce roman s’inspire de la vie de Charlotte Salomon. Une peintre allemande assassinée à 26 ans, alors qu’elle était enceinte. Ma principale source est son œuvre autobiographique : Vie ? ou théâtre?”

Dans Charlotte, le romancier retrace l’existence tragique de cette artiste à l’œuvre poignante, née dans une famille juive allemande aisée mais meurtrie par une série de deuils, de son enfance à sa mort à Auschwitz, en 1943. Dans ce récit, le “je” fait parfois irruption, celui de l’écrivain qui raconte sa découverte de Charlotte Salomon et met en scène son enquête dans les rues de Berlin ou dans le sud de la France où la jeune femme s’était réfugiée en 1939.

Le souci

La fausse simplicité de l’écriture, mais sa vraie naïveté. Le roman prend la forme d’un poème en prose, avec une succession de phrases courtes. Procédé que Foenkinos prend soin de justifier avec emphase : “C’était une sensation physique, une oppression. J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne.” Soit. Plus gênant, alors que le style se veut sobre, les effets sont appuyés, parfois à grand renfort d’italiques, pour surligner une fulgurance, ou de références à Walter Benjamin et Aby Warburg en gage de sérieux.

Cela donne lieu au mieux à un lyrisme hyperconvenu du genre : “elle est belle, avec de longs cheveux noirs comme des promesses” ; au pire à une légèreté problématique, comme lorsque Foenkinos expédie en quelques mots la conférence de Wannsee où s’est décidée la solution finale. Sans compter les formules maladroites, voire douteuses, tel ce “j’étais un pays occupé” afin de décrire sa fascination pour l’œuvre de Charlotte Salomon. Plutôt malvenu.

Le symptôme

Celui d’une maladie assez répandue : “le roman de la maturité”. Habitué des bluettes, l’auteur de La Délicatesse veut prouver qu’il est capable d’autre chose. Tout son plan com est d’ailleurs centré sur ce changement de registre, censé surprendre. Si l’on ne met pas en doute la sincérité du projet, on peut penser qu’en s’emparant d’un sujet aussi tragique que la Shoah, Foenkinos cherche à s’acheter un “brevet de profondeur”, pour reprendre une expression de l’écrivain Yannick Haenel. Avant lui, Mazarine Pingeot ou Alexandre Jardin, par exemple, ont, eux aussi, tenté de gagner une respectabilité en abordant cette page de l’histoire. Mais comme le rappelait l’historienne Annette Wieviorka que nous avions interrogée sur le traitement romanesque de la Shoah, “sans travail littéraire, ni travail historique, le résultat est inconsistant.”

«Charlotte» est un roman qui, au sens littéral, ne mène nulle part. Foenkinos, bon élève, visite tous les lieux. L’appartement de Charlotte Salomon. L’école de Charlotte Salomon. Pourquoi faire ? Pour s’étonner d’être «là, à presque un siècle d’écart de [s] on héroïne». Attention: vertige temporel. Foenkinos, c’est le touriste d’Abbey Road.

«Tu te rends compte, Gisèle ?

John Lennon a traversé cette rue !

Et maintenant moi aussi, je la traverse !»

Il invente le roman touristique.

«Charlotte», ou le Salomon-tour.

Autre possibilité : il avait des notes de frais à justifier. Et des pages à remplir. Même quand il trouve quelque chose, Foenkinos n’en tire rien. Il va à Villefranche-sur-Mer. Voir la résidence où Charlotte Salomon a tenté de se cacher des nazis. Il fait une découverte.

« Certains savent qui a dénoncé Charlotte Salomon

Comme on pouvait s’y attendre, il «reste stupéfait».

Va-t-il enfin faire autre chose qu’être obsédé par «Charlotte»? J’y pense souvent depuis. Aurais-je dû poursuivre l’enquête? Trouver le fils ou la fille de celui ou de celle qui a dénoncé ? Dans quel but ? Est-ce vraiment si important ? Disons que ça aurait pu l’être. Mais il ne faudrait pas que l’obsession dépasse le stade de la posture. Il ne faudrait pas que ça devienne du travail. A la longue, on se pose une question. Pourquoi tient-il tant à nous parler de Charlotte Salomon ? Pourquoi romancer sa vie, lui prêter des pensées ? Si c’est pour en faire un des personnages les plus creux du roman français? Une sainte vitreuse qui ne sait jamais quoi dire ?

Une peintre dont on ne voit jamais la peinture ? Pourquoi dire qu’elle «dévore Goethe, Hesse, Remarque, Nietzsche»? Si c’est pour ne rien dire de ce que Charlotte Salomon a trouvé chez eux ?

Charlotte Salomon, on l’a dit, est morte à Auschwitz en 1943. Foenkinos semble considérer que ça le dispense de tenir un propos. Ce qui finit par donner une impression désagréable. David Foenkinos veut faire son grand roman. Les noms d’écrivains, la peinture : ça fait culturel. Et la Shoah, ça fait sérieux. De la Shoah, comme du reste, Foenkinos n’a rien à dire. On croit simplement deviner qu’il n’aime pas les nazis. «En janvier 1933, la haine accède au pouvoir.» Comme dirait Indiana Jones: «Nazis. I hate these guys.» Et nous pouvons ne pas aimer ce roman.

Editeur : Gallimard

Collection : Blanche

Langue : Français

224 pages

F.B.

 

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