Bloquée depuis maintenant plus de sept ans, la Tunisie n’aura de chance de sortir de ce guet-apens que lorsque la confiance sera restaurée, l’autorité de l’Etat rétablie et la loi appliquée sans parcimonie. Alors qu’on est au bord du précipice, il ne nous reste qu’une seule chance pour éviter le pire, celle qui consiste à faire un pas en arrière, à reconnaître nos erreurs qui nous ont conduits à une voie sans issue et à assumer nos responsabilités pour pouvoir sauver le pays de ce tsunami qui risque d’emporter avec lui nos institutions, notre économie et le vivre-ensemble dans une société qui a impérativement besoin d’un compromis, non le fait accompli d’une quelconque partie, pour avancer.
Restaurer la confiance dans le contexte actuel exige indubitablement du courage, une capacité de sortir d’un discours dogmatique et idéologique qui a montré son extrême nuisance, une volonté de mettre sur la table des alternatives crédibles et un engagement sincère de préserver la paix sociale dans un pays qui ne supporte plus les tensions et les revendications anarchiques qui n’ont aucun lien avec la sphère réelle.
Manifestement, sur le plan politique, les élections municipales du 6 mai dernier ont donné un avertissement à la classe politique qui n’a pas su et pu être en phase avec les exigences de l’étape et les attentes des Tunisiens. Ces derniers ont choisi soit de bouder les urnes, soit d’accorder leurs voix à de nouvelles figures qui seraient plus aptes à conduire le changement et à faire sortir le pays du cercle vicieux dans lequel il n’a cessé de se débattre.
Ce message clair ne semble pas pour autant bousculer notre classe politique ni susciter chez elle un profond questionnement à un an et demi des prochaines législatives et présidentielle. Avant même qu’elles ne tirent les enseignements de ce scrutin, nos forces politiques et sociales sont revenues à de vieilles antiennes. Atteintes par une sorte de myopie, elles croient, dur comme fer, qu’il suffit de changer l’équipe gouvernementale pour provoquer un choc utile, tout résoudre et sauver le pays de tous les dangers qui le guettent.
Après l’épisode de Carthage 1 de 2016 qui s’est soldé par la formation de ce qu’il est advenu d’appeler un gouvernement d’union nationale et la rédaction d’une feuille de route qui a été, dès la distribution des postes de responsabilités, jetée aux orties, l’on s’apprête au cours des prochains jours à reproduire le même scénario, mais en plus mauvais.
L’exercice périlleux qui a réuni depuis plus d’un mois les experts autoproclamés de certains partis politiques et des organisations nationales, est en train d’enfanter une autre feuille de route, Carthage 2, qui résumera les caprices et l’insoutenable légèreté de ces acteurs incapables de voir la réalité en face, d’établir le bon diagnostic d’une situation complexe et difficile et encore moins d’administrer les bonnes thérapeutiques. Au moment où toutes les réformes sont connues, leur mise en route est soit engagée, soit bloquée par ceux-là mêmes qui ont juré de débarrasser le pays d’une équipe gouvernementale incapable, et la Tunisie court plus que jamais le risque de la banqueroute, on continue d’improviser et de vouloir tout chambouler, en proposant au final des mesurettes pondues à la sauvette.
Dans cet exercice, tout le monde cherche à imposer ses conditions, ses vues et son expertise pour remplacer un modèle qui a atteint, il est vrai, ses limites, non pas par un autre bien conçu et réfléchi, mais par un tour de passe -passe qui n’augure rien de bon. Ce qui est étonnant dans tout cela, est l’acceptation par tous ceux qui ont pris la peine de discuter ce document de voir le gouvernement se transformer en un simple exécutant de directives et de choix rédigés dans l’improvisation, l’approximation et l’absence de toute neutralité. Par ce biais, on passera d’un type de gouvernement décrié pour son incapacité à un autre type qui n’assumera aucune responsabilité dans le mandat qui lui est confié. Un gouvernement qui n’est pas redevable, comme le stipule la Constitution du pays, à l’Assemblée des représentants du peuple, mais plutôt à des parties dont chacune cherche un intérêt particulier. Un gouvernement qu’on finira par lâcher rapidement, par condamner au même sort de tous ceux qui l’ont précédé, et auquel on retirera toute confiance. n