Rencontre des journalistes avec Mehmet Akarca au siège de la direction Générale Turque de la Presse et de l’Information (BYEGM) sis à Ankara
Avec un taux de croissance qui ne cesse de grimper, la Turquie, première puissance économique du Moyen-Orient et 7e d’Europe, affiche aujourd’hui des indicateurs de croissance qui dépassent de loin certaines puissances mondiales. Pour 2017, la Turquie a enregistré un taux de croissance de 5,5%, un chiffre qui devrait progresser dans les mêmes proportions jusqu’à 2020.
Les négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, entamées en 2005, sont gelées et n’ont pas encore abouti, chose qui pousserait les autorités turques à tourner relativement le dos à un partenaire stratégique que constituent les vingt huit pays membres de l’UE. La Turquie semble même abandonner cette ambition et s’investit à chercher des alternatives dans l’objectif de conquérir de nouveaux champs, de nouveaux espaces.
D’ores et déjà bien implantée dans les différents pays du continent africain à travers des milliers de PME et avec un chiffre d’affaires de 20 milliards de dollars d’échanges commerciaux, la Turquie donne l’impression d’être aujourd’hui déterminée à renforcer sa présence dans la région et spécifiquement dans les pays d’Afrique du nord à savoir la Tunisie, l’Algérie et le Maroc avec pour objectif déclaré un chiffre d’affaires de 30 milliards de dollars dans un futur proche sur l’ensemble du continent.
Une opération marketing avec une série de visites de lieux et de rencontres avec de hauts responsables turcs vient d’être organisée au profit de représentants de médias tunisiens, algériens et marocains. Une véritable opération séduction menée dans certaines institutions gouvernementales et des ONG turques.
Il s’agit d’un programme ciblant les pays de l’Afrique du nord, organisé par la Direction Générale Turque de la Presse et de l’Information (BYEGM) en collaboration avec l’Agence turque pour la Coopération et la Coordination (TIKA). L’objectif était, selon les organisateurs et les interlocuteurs turcs, d’étudier les possibilités de coopération sur tous les plans d’autant que leur pays partage les mêmes valeurs, les mêmes notions et la même histoire avec l’ensemble des pays de la région.
Mehmet Akarca, directeur général de la presse et de l’information auprès du premier ministère turc: « nous faisons tous face à des défis majeurs et communs »
« Vous nous ressemblez beaucoup et sur tous les plans » lancent-t-ils à chaque occasion. Il s’agit d’une tentative de changer les idées reçues et de redorer l’image de la Turquie dans les pays en question particulièrement la Tunisie, où l’opinion publique semble être plus que jamais en rage contre l’inondation du marché national par les produits turcs, provoquant ainsi un déficit commercial abyssal.
Pour Mehmet Akarca, directeur général de la presse et de l’information auprès du premier ministère turc, il est grand temps de penser à renforcer les relations dans les deux sens et sur tous les volets notamment en matière de lutte contre le terrorisme. « Nous faisons face à des défis sécuritaires majeurs et communs » a-t-il lancé.
En ce qui concerne l’ingérence de la Turquie dans les affaires internes des pays de la région et son présumée implication dans la crise libyenne et syrienne, Onur Ozçeri, directeur général des affaires politiques bilatérales de la Turquie avec les pays d’Afrique du nord, au sein du ministère turc des Affaires étrangères, a assuré que son pays s’abstient d’intervenir dans les affaires internes des autres pays et prend en considération leurs choix. « Il n’est pas dans l’intérêt de la Turquie ni du monde arabe que la région soit aussi mouvementée … Ceci est une ligne rouge qu’on ne doit, en aucun cas, dépasser ». Selon lui, la Turquie veille à entretenir une politique étrangère multidisciplinaire et multipolaire et à garder une certaine impartialité par rapport à plusieurs affaires internes des pays frères et amis. « Nous ne sommes pas derrière un certain groupe ou parti politique ou autre dans n’importe quel pays. Ce qu’on reproche à la Turquie, quant au soutien qu’elle apporte à tel ou tel parti en Tunisie ou autre, ne sont que des spéculations. On n’est derrière aucun parti, bien au contraire, nous veillons à coopérer avec toutes les parties et nous sommes ouverts à toute proposition de collaboration »a-t-il précisé.
Dans ce même ordre d’idées, le vice-président chargé des Affaires étrangères au sein du Parti de la justice et du développement Afif Demirkiran, qui recevait également la délégation au siège du parti à Ankara, a nié le fait qu’il y ait des relations extraordinaires entre le parti de Rached Ghannouchi et celui d’Erdogan. D’après lui, l’AKP souhaite établir d’excellentes relations avec les différentes parties politiques indépendamment de leurs idéologies et orientations et ce en laissant grandes ouvertes ses portes aux différentes initiatives de coopération. « C’est à eux de prendre généralement les initiatives et nous ne dirons pas non » a-t-il précisé.
Déficit commercial, quelles solutions?
Quant à la problématique liée au déficit commercial de la Tunisie avec la Turquie, qui n’a jamais atteint des seuils aussi abyssales(-1482,2 MDT), le directeur général des affaires politiques bilatérales de la Turquie avec les pays d’Afrique du nord s’est montré conscient de l’ampleur de cette question.
Selon lui, la visite du ministre tunisien des Affaires étrangères en Turquie en juin 2017 et la réunion du Conseil de partenariat tuniso-turc tenue au mois de juillet dernier ont permis d’examiner profondément la question du déséquilibre de la balance commerciale. Il affirme que son pays est disposé à trouver des solutions appropriées pour compenser ce déséquilibre et renforcer les investissements turcs en Tunisie.
La deuxième session du Conseil supérieur de la coopération stratégique au niveau des chefs de gouvernement des deux pays au début de l’année 2018 à Ankara devrait selon ses dires résoudre cette question une bonne fois pour toute.
A droite, Onur Ozçeri, directeur général des affaires politiques bilatérales de la Turquie avec les pays d’Afrique du nord: « les mesures prises par la Tunisie doivent être en accord avec la partie Turque »
Il a toutefois affirmé que la révision de l’accord de libre échanges entre la Tunisie et la Turquie datant de 2005, ne doit être en aucun cas faite d’une manière unilatérale, soit uniquement du coté tunisien. « Nous sommes conscients des difficultés auxquelles fait face l’économie tunisienne… Cependant, les mesures qui seront prises par la partie tunisienne doivent être en accord avec la partie turque. » a-t-il lancé.
Selon lui, la Turquie cherche à augmenter les échanges avec la Tunisie et non pas le contraire. « On œuvrera à augmenter l’importation à partir de la Tunisie. Toutefois, nous ne souhaitons pas qu’il y ait une baisse en termes d’échanges commerciaux dans les deux sens. Nous veillons à ce que les accords que nous concluons avec la Tunisie ou n’importe quel autre pays soient de type gagnant / gagnant, à savoir bénéfiques pour les deux parties à moyen et à long terme. Des accords avantageux au profit d’une seule partie ne peuvent pas en tous cas persister.» a-t-il ajouté.
La Tunisie 6ème partenaire africain de la Turquie
Dans ce même ordre d’idées, Fuat Tosyali, vice-président de l’Office des relations économiques étrangères (DEIK), a précisé que la Tunisie constitue pour la Turquie le 6ème partenaire en Afrique. Le coût total des investissements entrepris par les compagnies turques en Tunisie s’élève actuellement à 210 millions de dollars. Un chiffre qui devrait être revu à la hausse notamment avec l’expansion des possibilités de collaboration et de partenariat dans l’ensemble des secteurs notamment l’agriculture, la santé, la formation professionnelle. Le patronat turc a exprimé sa vive volonté d’encourager les investisseurs turcs à investir davantage en Tunisie notamment dans le domaine des constructions de grande envergure. Toutefois il faut qu’il ait des garanties à la partie turque notamment la mise en place d’un climat d’investissement rassurant.
A gauche Fuat Tosyali, vice-président de l’Office des relations économiques étrangères (DEIK): « Oui pour l’augmentation des investissements turcs en Tunisie mais il faut qu’il ait un climat d’investissement rassurant
Quelle coopération dans le domaine de la presse ?
Pour Faruk Tokat, directeur de la publication des informations internationales de l’Agence Anadolu (AA) qui recevait les journalistes au siège de l’agence, renforcer le niveau de coopération avec les pays du grand Maghreb est désormais une priorité. D’ailleurs, l’AA qui est désormais en concurrence avec les toutes premières agences de presse mondiales vient de conclure des conventions de partenariat avec l’agence de presse marocaine (MAP) et l’agence Tunis Afrique Presse (TAP). Pour lui, la Tunisie, représente une destination attrayante en termes d’emplacement stratégique et des performances et du coût de la main d’œuvre, chose qui a poussé l’AA à y implanter son tout premier bureau d’émission du bulletin d’informations en langue française. Répondant à la question portant sur la nature de la relation du bureau de l’AA en Tunisie et le mouvement islamiste Ennahdha, le responsable a nié le fait que l’appartenance à un mouvement islamiste soit un critère dans le processus de recrutement des employés. « Ces accusations n’ont aucun fondement. Sur 28 personnes avec qui nous collaborons en Tunisie, il y a uniquement 3 nahdhaouis. Les articles et news que nous produisons dans notre bureau régional ne doivent être en aucun cas influencés par les orientations et les idéologies de leurs auteurs. Ceci est strictement inadmissible » a-t-il lancé.
Une visite effectuée au prestigieux siège du géant groupe médiatique turc Turkuvaz, a permis de chercher les possibilités de collaboration entre les médias turcs et maghrébins. Orhan Sali, responsable au sein du groupe médiatique en question explique que le groupe qui compte 7 médias et 2500 employés dont 1000 rédacteurs, a déjà des correspondants dans les pays du grand Maghreb et s’intéresse aux événements qui secouent la région d’un moment à l’autre. Quant au degré de liberté d’expression et de presse dont jouissent les journalistes en Turquie, le responsable explique que les professionnels du métier doivent se conformer à certaines règles déontologiques et faire preuve de responsabilité. Autrement dit, il y a des lignes rouges à ne pas dépasser notamment quand il s’agit d’une question liée à l’ordre public. « Les arrestations des journalistes surviennent dans les pays les plus démocratiques du monde une fois que la sécurité de l’Etat est en jeu »a-t-il lancé.
Sur le plan social et humanitaire, des visites effectuées dans les sièges de l’Agence turque pour la Coopération et la Coordination (TIKA) et de la direction turque de la Gestion des Catastrophes Naturelles et des Situations d’Urgences (AFAD), ont permis de mettre en relief la disposition de la Turquie à collaborer avec la Tunisie afin de soutenir l’essor de ses programmes de développement notamment en matière de santé, d’enseignement, et d’infrastructure.
Ali Maskan vice-président de la TIKA: « notre collaboration avec la Tunisie date de plusieurs années et nous souhaitons la renforcer davantage »
D’ailleurs la TIKA collaborait activement, selon son vice président Ali Maskan avec les autorités tunisiennes depuis des années soit avant l’ouverture de son bureau local à Tunis au début de l’année en cours.
Par notre envoyée spéciale Hajer Ben Hassen