Quand le capitalisme éternue, le monde s’enrhume

Par Nouri Zorgati

De tous temps, l’économie subit des crises. Ainsi pendant l’ère préindustrielle, l’augmentation de la production favorisait l’augmentation de la population ce qui entraînait l’augmentation des besoins alimentaires. L’augmentation des besoins alimentaires nécessitait de cultiver des terres additionnelles moins productives que les terres déjà cultivées. Ainsi l‘augmentation arithmétique des ressources alimentaires était confrontée à la progression géométrique de la population conduisant à la détérioration du niveau de vie. La famine, les épidémies et les guerres aidant, la population est décimée. Les survivants, moins nombreux, retrouvaient un niveau de vie meilleur. Mais avec la prospérité retrouvée, la population augmentait  de nouveau entraînant la détérioration du niveau de vie. Le cycle recommence suivant la loi malthusienne qui constate l’incompatibilité entre l’amélioration du niveau de vie et l’augmentation de la population.

 

Les crises, maladies de l’économie

Avec les progrès techniques et la révolution verte, l’étau alimentaire malthusien se desserre. La progression simultanée de la population et de la production devient possible, permettant même un accroissement fulgurant de la population mondiale qui passe de prés de 500 millions de personnes au début du 15e siècle, à 700 millions au début du 18e siècle et à 7 milliards au début du 21e siècle.

Cependant les économies se trouvent de plus en plus souvent en crise. Il ne s’agit pas là d’un état habituel ni d’une situation exceptionnelle de l’économie. En effet l’activité économique est une activité humaine et sociale, elle est donc soumise à d’innombrables aléas. Certains aléas sont d’ordre naturel, tels que la sécheresse, les inondations, les séismes, les épidémies, d’autres sont d’ordre humain résultant des comportements individuels ou collectifs tels que la prise de risque démesurée, le laisser-aller, les luttes d’influence, les guerres. L’économie est donc une activité aléatoire et comme pour toute activité aléatoire, le risque zéro n’existe pas et les incidents de parcours sont probables. Ces incidents donnent lieu à des crises plus ou moins prévisibles, plus ou moins graves  qui sont à l’origine des fluctuations économiques. À l’origine les crises économiques résultaient principalement de facteurs extérieurs indépendants de l’activité économique. Les crises financières ont fait ensuite leur apparition sous plusieurs formes. Les crises des dettes souveraines résultent du surendettement des gouvernements à la suite de l’excès  des dépenses publiques qui mettaient l’État en situation de défaut. Les crises inflationnistes sont  marquées par une forte augmentation des prix à la consommation. Les crises monétaires résultent d’une dépréciation importante du taux de change de la monnaie. Les crises bancaires sont consécutives à l’endettement excessif des particuliers ou des entreprises entraînant  leur insolvabilité et la faillite des banques.

Les crises étant les maladies de l’économie, elles doivent être traitées comme les maladies des êtres vivants par la prévention, le diagnostic et la thérapie. La science économique étant une science sociale et non une science exacte, elle ne peut prétendre éradiquer toutes les crises, tout comme il est illusoire de prétendre que les sciences médicales peuvent éradiquer toutes les maladies des êtres vivants.  

 

Le libéralisme et l’émergence du capitalisme

Les tenants du libéralisme donnent la priorité à la liberté individuelle et prônent le laisser-faire et le laisser-aller en vertu du dogme de l’efficience absolue du marché. Ils prétendent que le marché se régule de lui-même sans le recours à l’intervention publique après des perturbations exogènes et passagères. Cependant, le capital possédant des propriétés d’accumulation, il se révèle être un facteur-clé dominateur dans l’économie. Il donne à ses détenteurs un ascendant sur l’ensemble des autres facteurs de production, c’est-à-dire le travail, la terre, les matières premières et le progrès technique.

Cette propriété d’accumulation est à l’origine de l’émergence du capitalisme au 17e siècle. Les progrès techniques  engendrés par les révolutions industrielles ont consacré définitivement la prééminence du capital. En effet la 1ére révolution industrielle  déclenchée au milieu du 18e siècle autour de l’invention de la  machine à vapeur, a renforcé la mécanisation de l’économie, métamorphosé l’industrie textile, la construction mécanique, le pompage et le transport ferroviaire et maritime. Elle a entraîné le passage des emplois du monde rural à l’industrie et engendré la constitution du prolétariat, réservoir de main-d’œuvre partagée entre le travail à un salaire de subsistance et le chômage. La 2e révolution industrielle réalisée au début du 19e siècle autour de l’invention de l’électricité, a conduit à travers la mise au point des moteurs, à l’essor des véhicules et des appareils électroménagers, préfigurant par là même la société de consommation. Enfin la 3e révolution industrielle, la révolution numérique, démarrée au 20e siècle au cours des années 1970, par l’invention d’Internet et l’explosion des nouvelles technologies de l’information et des communications (NTIC) à partir des progrès de l’électronique, a bouleversé les processus de production.

 

Les dégâts du capitalisme financier

Aucune activité économique n’est désormais possible sans une mécanisation de plus en plus poussée. L’évolution des processus de production vers des modes de plus en plus capitalistiques est devenue irréversible. Nul ne peut aujourd’hui prétendre sérieusement revenir à des méthodes de production manuelles synonymes de régression et de renoncement au progrès technique, atout majeur pour la croissance et l’emploi.

Toutefois, le capitalisme a conduit depuis son apparition à des crises répétées de plus en plus aiguës en raison des injustices causées par la domination du capital sur l’économie. Pourtant rien ne prouve que les crises économiques ne puissent être évitées ou tout au moins amorties sans l’attitude de laisser-faire et de laisser-aller des autorités en vertu du dogme libéral de la prétendue infaillibilité du marché, commettant ainsi le délit de non assistance  à  économie en danger.

Sous la pression des luttes sociales, des mesures de régulation de l’économie ont été adoptées pour réduire les inégalités et mettre des garde-fous à la toute puissance du capital. C’est ainsi qu’ont été mises en place, même dans les pays les plus attachés au libéralisme, des lois antitrust, des réglementations pour le contrôle de la concurrence, des lois antidumping, des lois sur le droit social et la protection du travail. Des législations ont été introduites sur la gestion prudentielle de la monnaie et du crédit  portant interdiction de l’usure et maîtrise de la sécurité financière. Cependant ces mesures ont été souvent abandonnées avec le retour du libéralisme et le laisser-faire et le laisser-aller des autorités des pays avancés sous la pression des lobbys financiers.

Ainsi les crises financières qui ont jalonné l’histoire depuis l’émergence du capitalisme, devenaient de plus en plus nombreuses et dévastatrices. Parmi ces crises, deux ont été particulièrement violentes. Déclenchées dans les pays avancés dominants, elles se sont propagées au monde entier. Il s’agit d’abord de la grande dépression de 1929 avec son cortège de faillites, de chômage et de misère. Il s’agit ensuite de la grande récession de2008 dont les dégâts perdurent encore. Cette crise était impensable au 21e siècle. Non pas que toute crise soit exclue, tant il y en aura toujours. Mais il était incroyable que les autorités monétaires des pays avancés laissent utiliser par une minorité, les progrès technologiques prodigieux réalisés dans le domaine de l’ingénierie financière, pour accaparer les richesses, déposséder les populations et mettre l’économie mondiale à terre. Malgré les apparences, un pays politiquement démocratique et dans lequel le capital est maître absolu, n’est pas démocratique car la démocratie est une et indivisible. Elle ne peut pas être  politique sans être économique, social, culturelle, régionale. Seule l’économie de marché démocratique et solidaire permet de répondre aux aspirations de mieux être dans le cadre d’un développement économique et social durable.

À suivre

nzorgati@gmail.com

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