Quand les plus compétents quittent l’Administration

 Aujourd’hui, le pauvre fonctionnaire est accusé de tous les maux. Il ne travaille pas, il est corrompu, incompétent, etc. On parle souvent d’une masse salariale excessivement importante, ce qui est vrai, mais jamais du salaire d’un fonctionnaire. Ainsi, et partant d’un diagnostic biaisé, la solution est de réduire l’effectif dans la fonction publique. Départ volontaire puis départ négocié, rien ne marche. Ce sont toujours les meilleurs qui partent et ils ont bien raison.

 Actuellement, le salaire net d’un très haut fonctionnaire (avec rang de directeur général) ne dépasse pas l’équivalent de 600 euros. C’est scandaleux et honteux, car ce même fonctionnaire peut facilement multiplier son salaire par dix avec les institutions internationales et la décision ne nécessite donc pas beaucoup de réflexion, vu la différence. Aujourd’hui, il faut certes maîtriser la masse salariale mais cette maîtrise ne doit pas se faire au prix de la qualité de notre Administration qui devrait rester la fierté de la Tunisie. Malheureusement, et eu égard au contexte, personne ne souhaite prendre des responsabilités dans l’Administration afin d’éviter les tracasseries. Pis encore, on recense déjà 20 mille départs de hauts fonctionnaires cette année et la tendance risque de s’accélérer dans les prochaines années. La dernière loi relative à la lutte contre l’enrichissement illicite qui considère la plupart des fonctionnaires comme des corrompus potentiels, ne pourrait qu’amplifier le phénomène des départs.

Le fonctionnaire doit pouvoir négocier son salaire
Il est toujours souhaitable de négocier dans la fonction publique comme ailleurs. Mais il faut définir des règles du jeu claires. On ne peut pas additionner des mesures générales, des mesures catégorielles et des effets de structure fixés indépendamment les uns des autres puis faire payer l’addition aux contribuables. Il faut raisonner dans l’enveloppe d’une masse, particulièrement dans le contexte actuel d’un prélèvement fiscal incontournable et d’un objectif de modération salariale imposé par la conjoncture actuelle.

 Le fonctionnaire doit être protégé et rassuré
La soi-disant campagne de « lutte contre la corruption » a fini par imposer l’immobilisme aux fonctionnaires et donc à l’Administration d’une manière générale. Pourquoi prendre une incitative quand vous n’êtes jamais gratifié mais risquez seulement d’être traîné en justice. La solution optimale est de rendre une page vierge et donc de ne rien faire. La preuve est que de nombreuses lois ne sont pas appliquées et ne seront jamais appliquées. A ce titre, la loi sur les PPP ne sera jamais appliquée car elle fait courir au fonctionnaire trop de risques, donc autant pour lui, ne pas s’engager. La même règle s’applique à la loi des énergies renouvelables et les exemples sont multiples. La lutte contre la corruption devrait plutôt se transformer en une lutte contre l’immobilisme, car si rien ne change bientôt, on aura détruit définitivement l’Administration.
En matière d’effectifs, il faut apprendre à redéployer. Une méthode de travail pourrait être de neutraliser un emploi vacant sur deux puis de décider, à un échelon plus élevé, soit d’un redéploiement, soit d’une suppression.
La rénovation de la gestion publique passe par des réformes de structure. Le ministère des Finances doit finir par bouger. L’immobilisme du « cœur » de l’Etat est un mauvais signal donné aux autres administrations.
De toute manière, une politique de recrutement, qu’elle soit dans le public ou dans le privé, doit reposer sur le critère de compétence et de mérite. L’Etat doit chercher à recruter des talents et seulement pour ses besoins. Pour cela, il va falloir changer de paradigme. Le monde a évolué et le bon sens serait d’ouvrir la voie à l’efficacité et à la compétitivité. La question de l’emploi public doit se poser selon deux logiques inter-reliées : celle de la recherche de l’efficience économique et celle de la remise en cause de la fonction traditionnelle de l’Etat. Plus précisément, s’interroger aujourd’hui sur l’emploi public doit conduire à identifier les transformations dans ce domaine engendrées à la fois par ces logiques économiques et par les dynamiques propres de notre pays.
Enfin, il est urgent de publier des données régulières et fiables sur les comptes publics (y compris sur le patrimoine de l’Etat), sur l’emploi public, sur les salaires publics, et multiplier les études de comparaisons internationales. Le « débat interdit » aujourd’hui, c’est le débat sur l’administration publique.

Mohamed Ben Naceur

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