Quand les vessies deviennent des lanternes

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Dans un pays qui, bien que berceau d’un espoir démocratique dans le monde arabe, a vécu pendant une décennie de braise dans le traumatisme d’une «révolution kidnappée» et les conséquences désastreuses d’un hold-up islamiste, la pire de ces conséquences, sans doute, fut l’absence d’une stratégie qui fait de la participation aux débats la seule modalité fructueuse d’expression publique.
Notre société, certes, a besoin d’une élite vigoureuse, mais aussi constructive, qui discute, critique, propose, contribue, innove. Car, pour résister à ce terrible défi de la nouvelle hiérarchisation du monde, nous avons besoin de toutes les idées. L’enjeu ultime, c’est de ne pas perdre la quête du sens de la raison dans une scène intellectuelle et médiatique qui n’en a pas. Malheureusement, le débat d’idées n’a plus bonne presse dans notre société. Ne parlons pas de ce défoulement incontrôlable qui a tôt fait de tourner à l’abjection, à la haine et aux sentiments tristes. L’heure est désormais à tous ceux qui adorent donner, en levant un index vertueux, des «leçons» dans tous les domaines aux Tunisiens. Ils se veulent dominants avec les «attributs» d’une arrogance qui leur permettraient de l’être. Certains les encouragent parce que, par calcul, ils espèrent prospérer sur des braises qu’il convient seulement d’attiser.
Cette situation a révélé, de façon aiguë, un point limite de l’errance d’une élite fragmentée et divisée. Ceux qui s’opposent au slogan «tout va très mal», veulent le changer en «tout va très bien» et vice-versa. C’est ainsi que l’on se retrouve prisonnier de la même sphère absolutiste. Car, si la liberté d’expression, principe fondamental et valeur cardinale dans les débats, n’est jamais un éloge exclusif, elle ne saurait être réduite également au blasphème et à la diatribe. Il s’agit d’une confrontation d’idées qui converge nécessairement vers la réconciliation. Les attitudes dogmatiques et unilatérales constituent en fait une forme de persécution et d’exclusion. Les événements ont démontré qu’ils sont tous à la recherche d’un rôle, n’importe quel rôle, estimant qu’il n’est pas de punition plus terrible pour eux que le comportement raisonnable et objectif. Même quand tout est clair et net, il se trouve toujours des démagogues qui prétendront sans vergogne qu’il suffirait d’un métaphorique écran de fumée, un redoutable camouflage à motivations fumeuses pour que les vessies deviennent des lanternes.
Certes, il est déjà arrivé par le passé que la relation entre les différents activistes sur la scène traverse des épisodes orageux. Mais la crise actuelle est plus longue que d’habitude et, surtout, personne ne semble avoir envie d’y mettre un terme.
Faute d’honnêteté intellectuelle et parce qu’elles récusent tout mécanisme d’organisation, d’arbitrage et de discipline, nos élites ont créé des marécages où peuvent prospérer en toute impunité les poisons. Détestable et détonnant cocktail, qu’il convient de condamner et de combattre sans relâche.
En tenant compte de cette situation, il est impératif de reformuler de nouveaux mécanismes pouvant protéger notre société du délire des égarés et des surenchères des opportunistes. Ce délire avait enfanté des voix tonnantes, mais ignorantes et inconscientes, des intrus sans-gêne et des vigiles improductifs tel un rocher à l’embouchure d’un fleuve qui ne se désaltère guère ni laisse le cours d’eau parvenir aux plantes.
Dire cette évidence vous exposera à une campagne de haine dans les médias et sur les réseaux sociaux. C’est qu’en ces temps troubles, l’abjection ne cesse de faire des progrès et que d’intolérables foutaises sont désormais inscrites dans le fameux lexique de la nouvelle «bien-pensance». Douloureux !  Mais il n’y a que la vérité qui blesse.

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