Quand on perd sa légitimité…

Tous les Tunisiens sont accrochés à la page facebook de la présidence de la République et au moindre fil menant à des informations ou plutôt à des indiscrétions sur ce qui se prépare au palais de Carthage pour les jours à venir. Toute l’attention est braquée sur la question de savoir qui et quand sera nommé nouveau patron de la Kasbah. Qui et quand seront désignés comme nouveaux ministres ? Quand sera annoncée la feuille de route et quelles seront ses orientations ?  Mais Kaïs Saïed semble avoir la tête ailleurs. Un mois est déjà passé sans qu’aucune réponse claire et officielle tombe dans les oreilles des Tunisiens, curieux et impatients de voir où vont les mener les décisions du 25 juillet dernier, après le gel de l’ARP et la levée de l’immunité des députés. A la dernière minute du deadline constitutionnel, lundi soir, Kaïs Saïed décide de prolonger l’Etat d’exception et démontre, sans la moindre équivoque, qu’il n’est pas du tout pressé de céder ses nouveaux pouvoirs exceptionnels en laissant ouverte cette période d’exception jusqu’à nouvel ordre. Tout récemment, il avait demandé aux Tunisiens «d’être patients parce que la tâche n’est pas aisée, elle est même rude». Déclarer la guerre aux mafias de la politique, des finances, du commerce, simultanément ! Il faut le faire.

Nombreux, bien sûr, sont ceux qui ont crié au scandale et averti des risques de retour de la dictature, dont des partisans d’Ennahdha que Rached Ghannouchi a vite assagis en prenant deux décisions inédites : la première en menaçant de sanctionner tout partisan qui se hasarderait à porter atteinte à la réputation du président Kaïs Saïed —une nouveauté inédite également— et la seconde en décidant de dissoudre le bureau exécutif de son parti, promettant de le remplacer par une équipe plus restreinte et plus jeune. La volte-face de Ghannouchi, critiqué par beaucoup de ses partisans, est immorale aux yeux de ceux qui se remémorent encore le degré d’inanité qui pesait sur les rapports conflictuels entre Saïed et Ghannouchi d’avant le 25 juillet 2021. Mais Ghannouchi n’en a cure parce qu’il doit sauver sa vie politique et peut-être sa liberté avant son honneur. Kaïs Saïed est menacé de mort par les islamistes. Le président de la République l’a déclaré lui-même aux Tunisiens et au monde entier. On est bien tenté de le démentir comme les deux précédentes fois, celles du pain et de l’enveloppe empoisonnés, dont les enquêtes n’ont abouti à rien de concret. Mais cette fois, les choses ont évolué et les rapports de force ont changé de camp. Kaïs Saïed est le seul maître à bord ; il a réussi un coup de maître en écartant les islamistes du pouvoir et en s’appropriant «les armes» qu’ils avaient entre les mains et qui leur permettaient de prendre le pays en otage, en l’occurrence les services de renseignements. Cette fois, contrairement à l’affaire Brahmi, les alertes ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd ou d’un «vendu», elles ont directement été remises au président Kaïs Saïed. Un loup solitaire a été arrêté qui préparait une opération kamikaze pour assassiner le Président, selon ses aveux. L’accusation est gravissime. Ghannouchi en est conscient et, en tacticien, il plie l’échine jusqu’au passage de la tempête. S’en sortira-t-il sans préjudices ? L’avenir le dira. Pour le moment, les Tunisiens sont aux aguets, ils ne tolèreront aucun privilège, surtout pour les dirigeants islamistes qui ont perdu toute leur crédibilité et qui sont accusés d’être responsables de tous leurs malheurs, notamment d’avoir permis l’installation du terrorisme sur le territoire tunisien et sa propagation depuis 2011.

Aujourd’hui encore, c’est avec des attentats terroristes et des assassinats que les islamistes radicaux —leurs bras armés seraient en état d’alerte aux frontières tuniso-libyennes— veulent laver l’honneur de leurs frères, soi-disant modérés d’Ennahdha, qui ont été chassés du pouvoir en juillet dernier, pour la seconde fois en dix ans (2013, chute de la Troïka) après qu’ils ont prétendu apporter dans leurs bagages la démocratie occidentale sous le label du Printemps arabe. Les événements dans le monde arabe depuis 2011 ont démontré que les islamistes s’imposent par la violence et soudoient les populations avec la corruption. Les Tunisiens ont vécu amèrement cette expérience qu’ils ont payée de la vie de leurs enfants martyrs et en voyant leur pays s’embourber dans la pauvreté, la violence et l’allégeance à des pays étrangers.

L’Islam est la principale religion des Tunisiens, il faudrait s’en tenir à cela. Mais ce n’est ni la religion musulmane ni les islamistes qui vont instaurer la démocratie, car le Coran, qui est la constitution de l’Islam, a ses principes, ses règles, ses codes, ses permissions et ses interdits que rien ni personne n’a le droit de changer, fut-elle une ponctuation. Pour preuve : l’égalité dans l’héritage, pourquoi n’a-t-elle pas été adoptée en temps de processus démocratique ? Adapter l’Islam à un mode de vie actuel est une liberté que chacun est en droit de prendre, mais de là à prétendre que l’Islam pose les jalons d’un régime démocratique du type occidental basé sur les libertés individuelles et collectives et sur les droits de l’homme dans leur sens moderne et universel du terme, c’est induire en erreur les non-musulmans et les musulmans qui ne connaissent pas cette religion.

Ceci dit, les nahdhaouis devraient tenter de se refaire une crédibilité en cessant déjà de se prendre pour les garants de la démocratie, parce qu’ils ne le sont pas, et en cédant pacifiquement le pouvoir. Ils ont échoué dans leur gestion du pays, c’est un constat unanime qui leur a fait perdre leur légitimité électorale. La démocratie, ce ne sont pas que des élections, quand on échoue, on démissionne.

Ils doivent donc admettre leur échec et partir. Sinon, ils ne jouiront jamais de la paix qu’ils souhaitent trouver en Tunisie et encore moins de la base arrière aux terroristes qu’ils veulent instaurer dans notre pays pour garantir leur maintien au pouvoir. Les nahdhaouis qui ont fait du tort au pays et aux Tunisiens devront payer leurs forfaits, en commençant déjà par écarter la menace terroriste.

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