Quatre mois après le coup de force du 25 juillet : Saïed de plus en plus isolé

Les signaux sont au rouge et les perspectives sans horizons. La flamme du 25 juillet est en train de s’éteindre, ainsi que l’aura de Kaïs Saïed (recul dans les sondages). En quatre mois, le président a dilapidé tous les atouts politiques et juridiques dont il disposait pour remettre le pays sur le bon chemin et inscrire son nom dans l’histoire, comme étant celui qui a donné un coup d’arrêt à la décennie noire des imposteurs du « printemps arabe » et à la démocratie des faux dévots. La Tunisie marche désormais à reculons vers l’inconnu et le compte à rebours de la fin du 25 juillet a probablement commencé.

 La déception est quasi générale, aussi bien dans le camp de ses partisans que dans celui de ceux qui soutiennent (encore) les mesures du 25 juillet, en particulier le maintien du gel du Parlement en attendant sa dissolution. Le cercle des opposants à Kaïs Saïed est en train de s’élargir, chaque jour un peu plus, et celui de ses fidèles soutiens se rétrécir. Le dernier en date, le mouvement Echaâb qui a été débouté pour l’article 38 dont il était le principal initiateur avant son adoption par d’autres blocs parlementaires. Cet article a été purement et simplement abandonné par le président qui l’a qualifié de « loi trompeuse, une vente de chimères aux Tunisiens », alors qu’il l’a lui-même, faut-il le rappeler, ratifié et ordonné sa publication au JORT. Des partisans de Kaïs Saïed n’ont pas non plus caché leur désaccord et ont exhorté le président à respecter ses engagements, y compris ceux qui ont été pris avant le 25 juillet dont la loi 38 portant sur le recrutement de dix mille chômeurs de longue date. La grosse ceinture politique et populaire qui a protégé le coup de force du 25 juillet 2021, malgré ses déraillements constitutionnels, est donc en train de s’effriter. Kaïs Saïed est sur le point de tout fausser et de faire rater aux Tunisiens une occasion historique de délivrer l’Etat de la chape de plomb de l’organisation des Frères musulmans, malgré tous les pouvoirs qu’il détient et le soutien des jeunes, des syndicalistes, d’une grande partie des élites, de la société civile et des hommes d’affaires, dont il bénéficie. Non seulement les dirigeants d’Ennahdha et des partis alliés n’ont pas été inquiétés après le 25 juillet pour les préjudices qu’ils ont causés à la Tunisie et au peuple tunisien – en opposition à la première revendication des Tunisiens soutenant les mesures du 25 juillet –, mais aussi ils reviennent même en force pour réclamer le retour de l’ARP et à l’avant-25 juillet dans des mouvements de protestations de plus en plus importants et dans le cadre d’un lobbying très offensif à l’étranger. Rached Ghannouchi, aussi, bouge. Il n’a pas cessé de communiquer, unilatéralement, avec l’opinion nationale et internationale au moyen de communiqués qu’il publie au nom de l’ARP, dont les activités sont gelées en vertu du décret présidentiel du 25 juillet 2021, sans même consulter les députés. Et la semaine dernière, il a été jusqu’à déclarer publiquement que « le Parlement va reprendre ses travaux, bon gré mal gré », défiant à nouveau Kaïs Saïed et l’institution qu’il représente. C’est-à-dire que les choses bougent, évoluent, mais dans le sens inverse du 25 juillet. De sérieuses actions sont menées à l’intérieur du pays et à l’étranger pour revenir en arrière, à l’avant-25 juillet, et rétablir les institutions telles qu’elles étaient gérées par Ennahdha et ses affidés. Résultat peut-être pas direct mais la Tunisie a été exclue du Sommet mondial de la démocratie convoqué par le président américain Joe Biden (Moncef Marzouki et Sihem Badi y seraient conviés, selon certaines sources fiables) et des députés « gelés » d’Ennahdha et de Qalb Tounes siègent à l’Union interparlementaire pour y dénoncer les mesures du 25 juillet voulues par la majorité des Tunisiens et le président de la République. Le tout sans que Kaïs Saïed bouge le petit doigt pour les arrêter et sans qu’il se décide à communiquer avec les Tunisiens et à dialoguer avec les élites, les partis politiques et la Centrale syndicale qui le soutiennent. Il fait l’autiste, n’en fait qu’à sa tête et décide seul.

Les aides financières, c’est fini !
Face à l’opacité de la situation, Abir Moussi, la présidente du PDL, a fini par l’accuser de protéger les Ikhwanes et, dit-elle, « son frère Nawfel qui en fait partie ». Moussi a crié à qui veut bien l’entendre que « le frère du président est un membre du réseau dont fait partie l’Union des ulémas installée à Tunis » et elle n’a eu de cesse de réclamer la fermeture du siège de cette antenne d’Al Qaradhaoui où sont enseignés des programmes fondamentalistes basés sur la charia, à l’antipode des programmes enseignés dans les institutions publiques tunisiennes. Les partisans de Kaïs Saïed également, ont demandé à « leur idole » de fermer cette antenne. Il n’en fit rien. Les erreurs et les hésitations de Kaïs Saïed s’accumulent et les certitudes d’un très proche revirement de situation se renforcent, d’autant que la tension sociale gronde dans la quasi-totalité des régions. Les pressions étrangères de leur côté ne baissent pas, bien au contraire, sans que Kaïs Saïed ne leur oppose une feuille de route, ni un deadline aux mesures exceptionnelles ni un traitement radical du « danger imminent » pour lequel il a gelé les travaux de l’ARP. Parallèlement, l’économie ne décolle pas et les déficits de tout genre (financiers, commerciaux) se creusent inexorablement (le trésor de l’Etat a besoin de 9 MD pour boucler l’année 2021 et 20MD pour budgétiser 2022), sans la moindre perspective de trouver des fonds de quelque origine que ce soit. Ni les amis, ni les frères, ni les partenaires ni les proches voisins n’ont, visiblement, l’intention d’apporter l’aide conséquente que certains d’entre eux ont promise antérieurement. Les tensions géopolitiques dans la région du Maghreb, au Proche et au Moyen-Orient ainsi qu’au niveau international, pèseraient, selon des analystes, de tout leur poids sur toute possibilité de négociations ou d’ententes bilatérales. Dans ce climat morose sans perspectives et chargé d’inquiétudes, le président garde le silence sur l’essentiel, sur ce qu’il compte faire dans l’avenir proche, sur son projet politique (la démocratie de base), qui serait en train d’être mis sur pied en catimini par quelques privilégiés parmi ses partisans, sur le sort de la Constitution de 2014 et celui de la loi électorale. Le décret présidentiel du 22 septembre 2021, qui n’a jamais fait l’unanimité et qui est désormais critiqué par une grande majorité, fait l’objet de 15 recours judiciaires, Le passage à l’après-25 juillet, les Tunisiens le veulent réfléchi et conçu dans le cadre de la participation de toutes les compétences nationales intègres et d’un consensus national très large. Sans des verdicts judiciaires et des condamnations fermes des auteurs des assassinats politiques, des attentats terroristes, de l’envoi des jeunes dans les foyers de tension et du terrorisme, rien ne sera réglé en Tunisie et aucune issue ne sera possible.  Un chiffre appelé à croître si Kaïs Saïed continue d’ignorer les appels à communiquer et à dialoguer. Personne ne sait ce qui se passe au palais de Carthage ni au palais de la Kasbah. Aucun Tunisien n’a la moindre idée de ce que fait ou veut faire Kaïs Saïed. Sa première ministre, également, est invisible et muette. Ses quelques brèves apparitions ont lieu à l’étranger lors de visites officielles. La dernière en date est celle qui l’a amenée à Alger pour quelques heures, au cours de laquelle elle a rencontré le président Abdelamjid Tebboune et le premier ministre algérien, mais dont il ne sortira rien, dans les médias tunisiens et algériens.

Craintes d’affrontements entre les citoyens
Dans ce contexte d’agitation, des certitudes se font de plus en plus insistantes : les protestations sociales vont augmenter parce qu’il n’y a pas d’alternatives au chômage, à la cherté de la vie, aux problèmes des déchets, aux accords syndicaux signés et non appliqués, à la faillite des caisses de l’Etat, à la dette publique. Le dialogue numérique avec les jeunes n’aura pas lieu parce que les réformes politiques qui décideront de l’avenir des Tunisiens doivent rassembler toutes les forces vives autour de la table d’un dialogue national. Les adversaires politiques de Kaïs Saïed mis au chômage parlementaire technique avec les décisions du 25 juillet préparent leur retour en force, ce qui fait craindre des tensions, voire des confrontations entre les citoyens eux-mêmes, les uns étant contre le retour en arrière (à l’avant-25 juillet) et les autres pour. Finalement, l’attitude de Kaïs Saïed est en train de compliquer la situation et préparer le terrain à un déchirement, à des affrontements entre les citoyens, peut-être à une guerre civile si les commandes du terrorisme sont actionnées de l’intérieur ou de l’extérieur de la Tunisie. Les entreprises citoyennes chères au président ne vont pas résoudre les problèmes à court terme. L’article 80 ne lui donne pas les prérogatives pour lancer de grandes réformes économiques ou politiques. Le passage à l’après-25 juillet, les Tunisiens le veulent réfléchi et conçu dans le cadre de la participation de toutes les compétences nationales intègres et d’un consensus national très large. Il s’agit d’amender, dans les plus brefs délais, la loi électorale et de convoquer, au moins, des élections législatives anticipées. C’est là une demande désormais générale. Le 25 juillet était une occasion espérée par la majorité des Tunisiens pour rebattre les cartes avec d’autres acteurs politiques en vue de permettre l’émergence d’une nouvelle classe politique qui prendra en charge la construction d’une nouvelle Tunisie sur des bases plus saines et plus propres. Cela n’a pas été le cas. Le temps, à présent, presse et Kaïs Saïed est appelé à activer la cadence de la reddition des comptes, surtout politiques. Sans des verdicts judiciaires et des condamnations fermes des auteurs des assassinats politiques, des attentats terroristes, de l’envoi des jeunes dans les foyers de tension et du terrorisme, rien ne sera réglé en Tunisie et aucune issue ne sera possible. Le temps presse alors que la situation actuelle est propice à l’anarchie : un président de la République affaibli, des partis politiques marginalisés et une Centrale syndicale (Ugtt) menacée également d’affaiblissement et de division sous l’effet d’une bataille juridique sournoise autour de l’amendement d’un article (le 20) de son règlement intérieur. La Tunisie est en manque grave d’un arbitre sage et influent, d’un président de la République rassembleur.

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