Quatre pleureuses et un enterrement

Pour ceux pour lesquels l’attente devenait insupportable, le décret présidentiel du 22 septembre devrait, à défaut de les ravir, mettre un terme à leur calvaire : à part quelques principes, la Constitution de 2014 est jetée définitivement aux orties. Son enterrement sans faste et sans cortège ne pourra émouvoir que ceux qui se sont gobergés à son ombre : prébendes, sinécure, pots de vins, et j’en passe, ont engraissé une classe politique dont la cupidité n’a d’égal que sa nullité.

Quoi qu’on pense de la personne du président, de son style et même de ses méthodes, on ne peut contourner une vérité massue : une écrasante majorité de Tunisiens exècre la Constitution de 2014 et vomit la classe politique qui a émergé depuis 2011.

Je suis intimement persuadé que le 25 juillet était un geste salvateur sans lequel nous risquions de sombrer dans le chaos souhaité par des vendus.

Livré à une armée de sangsues et de vipères, l’Etat national, fruit de 50 ans de sacrifices de dirigeants et de fonctionnaires dévoués se disloquait sous notre regard impuissant.

Ne serait-ce que pour cela, je considère que Kaïs Saïed a été à la hauteur de ses responsabilités de chef d’Etat, n’en déplaise aux pleureuses qui depuis des mois déversent abondamment leurs larmes de crocodile sur la démocratie confisquée.

Ces professionnels de la larme facile me rappellent les pleureuses qu’on loue jusqu’à nos jours en Afrique ou en Asie pour hurler et se rouler par terre lors des funérailles ; en Côte-d’Ivoire, c’est même une corporation prospère qui propose dans des catalogues des prestations allant des pleurs discrets aux lamentations hystériques.

Chez nous, nous avons le malheur de les voir tous les jours à l’œuvre, le visage plein de larmes se traîner de studios radios aux plateaux télé gémissant sur la perte d’une Constitution idéale. Si une pénurie apparaît à Abidjan, nos pleureuses professionnelles peuvent être appelées à la rescousse tant leurs talents de crieuses de mort sont indiscutables ; à cela s’ajoute qu’elles sont encore plus performantes à l’étranger et qu’elles adorent exhiber leur chagrin en dehors des frontières nationales.

L’hypocrisie parmi notre « crasse politique » est certes immense, mais à ce point, on confine à la virtuosité : depuis un certain 14 janvier, nous avons entamé une descente aux enfers dont les instigateurs sont connus et qui sont les mêmes dont nous entendons les gémissements et les bêlements aujourd’hui. Il est vrai qu’ils étaient si proches du but : faire de nous tous un troupeau dont les maîtres se trouvent au Qatar ou en Turquie. Après plus de 10 ans d’un minutieux travail de démolition de tous les fondamentaux de cette vieille et noble nation, ce ramassis de traîtres était sur le point de nous asséner le coup de grâce et de nous ravaler au stade de loqueteux et d’ignorants.

Quant à la démocratie à la tunisienne que le monde nous envie, laissez-moi rire : un Parlement peuplé de délinquants et de contrebandiers, transformé en ring pour détraqués et complexés qui se défoulent impunément sur la gent féminine, et des partis politiques, à quelques exceptions près, repaires d’opportunistes avides et corrompus qui tendent leur sébile à des donateurs étrangers occultes.

Ennahdha a su jouer habilement de l’état de putréfaction de cette classe politique nauséabonde. Ses déboires ces jours-ci et le sauve-qui-peut de ses adeptes doivent être salués comme la défaite historique d’un mouvement idéologique sectaire qui n’a semé que la division et la haine dans le cœur de nos concitoyens.

Si comme il s’y engage, le Président désormais en charge provisoirement tant de l’Exécutif que du Législatif prend soin de préserver les libertés individuelles et collectives, il continuera à jouir de la confiance de la majorité des Tunisiens.

Nous avoir débarrassés d’un système politique détestable et avoir stoppé la métastase islamiste n’est pas rien, mais la tâche qui attend le Président Saïed est encore particulièrement ardue : remettre l’économie en marche, regagner la confiance des bailleurs de fonds et des investisseurs ne se feront pas à coups de discours enflammés et de slogans séduisants. Restaurer la confiance sera bien plus complexe que verrouiller le Parlement et couper les vivres aux députés. S’entourer de patriotes compétents, écouter les sages que compte ce pays, être attentif aux attentes de nos partenaires étrangers afin de mettre en place une gouvernance satisfaisante est indispensable si le président souhaite réussir son pari et redonner à une Tunisie blafarde des couleurs et de l’espoir.

*Avocat et éditorialiste

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