Le sujet de la peine de mort semble être un sujet délicat politiquement, en témoigne le report du lancement du débat national autour de cette question. Pourtant, de temps à autre, des politiciens s’expriment sur le sujet, allant jusqu’a créer la polémique.
Fin mai, et lors de la 13ème session ordinaire du Conseil des Droits de l’Homme à Genève, Samir Dilou, ministre de Droits de l’Homme et de la Justice Transitionnelle a déclaré que la question de l’abolition de la peine de mort devrait être l’objet d’un dialogue national, puisqu’il s’agit d’une question polémique vu sa référence religieuse et idéologique. Du coup, elle sera abordée lors de la prochaine session du Conseil en septembre. Deux jours après, Mustapha Ben Jaâfar, à l’occasion de la visite de Robert Badinter, membre de la Commission internationale contre la peine de mort, a annoncé : “L’abolition de la peine de mort sera discutée par les constituants qui vont trancher cette question en affirmant le droit à la vie dans un État démocratique”.
La référence religieuse :
un réel blocage ?
Ce n’est pas l’avis de Rached Ghannouchi qui n’a pas hésité à lancer lors de la célébration du 31ème anniversaire de la création d’Ennahdha, que «l’abolition de la peine de mort est contraire à la chariâa islamique».
Le débat sur la question s’annonce déjà compliqué car il ne s’agit pas de traiter le thème d’un point de vue éthique ou social mais surtout d’un point de vue politique, avec des calculs électoraux qui entrent en jeu.
En évoquant la question avec certains politiques, on sent qu’il y a une volonté d’esquiver l’ouverture du débat sur la scène publique. Pour cause, la référence religieuse qu’Ennahdha commence déjà à exploiter pour faire un blocage à toute tentative d’abolition de la peine de mort.
Selon Ajmi Ourimi, membre du bureau exécutif d’Ennahdha, le texte coranique a été clair en parlant du «talion» (kassas). En plus, il y a un consensus chez tous les «fouqaha» (les hommes de religion) sur le maintien de la peine de mort. Ce dernier va encore plus loin, en expliquant que l’objectif du talion n’est pas d’inciter à la mort, mais de préserver la vie. En effet, «en éliminant le tueur, on va peut-être sauver des personnes qui auraient pu être ses éventuelles victimes». Par ailleurs, M. Ourimi indique : «qu’il vaut mieux que le coupable reçoit son châtiment dans l’ici-bas que dans l’au delà où il n’échappera pas à la justice divine».
Cette position est étrange de la part d’Ennadhha dont les leaders ont été à plusieurs reprises, sauvés de l’application de la peine de mort, grâce justement au combat des organisations nationales et internationales pour la préservation du droit à la vie.
Faire prévaloir la culture de droits de l’homme
Samir Bettaieb, porte parole du parti Al Massar, estime pour sa part, que le mouvement islamiste fait un amalgame entre deux sphères que normalement il faut séparer : la religion et la politique. «Ennahdha doit se comporter en parti d’Etat et non en parti religieux».
Quant à la position de son parti, Bettaieb insiste sur l’attachement d’Al Massar à la culture universelle des droits de l’homme. «Nous sommes pour le droit à la vie. L’Etat ne doit pas s’ériger en meurtrier et puis, ce n’est pas ainsi qu’on va résoudre le problème de la criminalité, puisque toutes les études ont montré l’inefficacité de cette solution dans les pays qui appliquent la peine de mort».
Même position de la part du Parti Républicain : «Quand on exécute quelqu’un, la sentence est irréversible. Or, on a bien vu que dans certains cas, il s’avère, même après des années, que le coupable est innocent. Que faire alors pour remédier à l’erreur commise ?», s’interroge Néji Djelloul, membre du bureau politique. Il ajoute : «il faut toujours partir du principe que tout être humain est corrigible et que le droit à la vie est sacré».
Les partis progressistes tablent sur la construction d’un front au sein de la Constituante pour faire adopter l’abolition de la peine de mort. Ils comptent beaucoup sur le soutien de la société civile qui s’est déjà mobilisée pour cette cause.
Reste à savoir quand le débat sera finalement ouvert.
Hanène Zbiss