Le prêt du FMI est quasiment dans la poche du gouvernement Bouden. La confirmation de la décision du groupe d’experts du FMI par son Conseil exécutif est attendue pour le mois de décembre prochain. On a ainsi ouvert, pour nous, la porte des financements étrangers après une longue période de disette et de privations que nous ne devons qu’à nous-mêmes, à nos erreurs, à notre manque de sérieux. La porte ainsi ouverte donne toutefois sur un couloir sombre et c’est à Bouden et son gouvernement de trouver l’interrupteur et de faire jaillir la lumière qui devra éclairer le tunnel dans lequel les Tunisiens sont amassés et confinés depuis des années.
Le but de cette métaphore est de dire simplement que tout commence maintenant, une fois la première tranche du petit crédit du FMI (1,9 milliard de dollars sur 4 ans), par rapport aux réels besoins financiers du pays (4 à 5 milliards de dollars d’ici à la fin de l’année en cours seulement) décaissée en janvier 2023. Bouden et ses ministres se sont engagés à mettre à exécution progressivement, dès cette année, toute une série de réformes économiques et sociales à l’effet de remettre en marche et de manière durable l’économie nationale. La levée progressive de la compensation sur les carburants en est un exemple. Le gouvernement s’est engagé parce qu’il n’a pas d’autres choix. Le pays est en panne, surendetté, dévalorisé par les agences internationales de notation et ces réformes sont la condition sine qua non pour acquérir l’argent du FMI et pouvoir accéder à d’autres sources de financements auprès des créanciers internationaux et des pays frères et amis.
La course vers l’endettement n’est, donc, pas finie, elle est même appelée à s’accélérer, vu les besoins financiers colossaux et urgents de la Tunisie. Autant dire que ce crédit est une goutte dans l’océan de la dette publique, mais sans elle, le robinet restera fermé.
Le gouvernement s’est engagé à changer le modèle de gouvernance, et le FMI de l’avoir à l’œil et de scruter ses moindres faits et gestes pour décider de l’opportunité de poursuivre le décaissement progressif des trois tranches du crédit ou de les stopper. Bouden contrainte ? Sans doute. Capable d’aller jusqu’au bout ? Rien n’est moins sûr. Les chantiers qu’elle doit ouvrir avec l’arrivée du prêt du FMI sont colossaux et dangereux pour un pays au bord de l’explosion sociale.
Bouden a besoin de partenaires solides pour lancer concrètement l’opération assainissement et restructuration des entreprises publiques, la redistribution des subventions à la consommation, l’élargissement de l’assiette fiscale et l’intégration fiscale de l’économie parallèle qui atteint des proportions inimaginables (52%), pour ne citer que ces exemples. Des chantiers à lancer dès 2023. En tête de liste de ces partenaires, l’Ugtt. Et c’est là où le bât blesse.
Pour la Centrale syndicale, il n’y a pas de doute que la situation de blocage du pays nécessite des réformes sans tabous, y compris celles des entreprises publiques et de la compensation, mais leur coût social sera fatal. Il reste que la position de l’Ugtt ne dépasse pas les déclarations médiatiques de son Secrétaire général Noureddine Taboubi. Il n’est pas question de se lancer dans l’aventure et de porter la patate chaude quand les syndicats sectoriels sont plus forts que jamais et menacent de bloquer le pays. Le refus est également exprimé par les partis d’opposition et même par des partis partisans de Kaïs Saïed et candidats aux élections législatives du 17 décembre prochain, comme le Mouvement Achaâb.
Sans l’accord préalable de l’Ugtt, comment Bouden compte-t-elle appliquer ses décisions ? A quoi joue-t-elle, sachant que les syndicalistes répètent à l’envi qu’ils ignorent le contenu du plan de réformes ? Doit-on céder au complotisme pour trouver des bribes de réponses ?
Les responsables de l’Ugtt auraient-ils donné un accord tacite pour débloquer le prêt du FMI ? Sinon, il faut croire que Bouden a décidé de se faire harakiri. Le silence de l’Exécutif devient insupportable. Jusqu’à quand les dirigeants politiques vont-ils laisser l’inquiétude des Tunisiens grossir sans broncher ? N’ont-ils pas encore conscience de son ampleur ? Les nuits d’affrontements entre les jeunes des quartiers populaires et les forces de l’ordre ont repris leur cours, depuis quelques jours, à la Cité Ettadhamen (Tunis) et à Bizerte, exactement comme à l’époque où Ennahdha était au pouvoir, quelques mois avant le putsch du 25 juillet 2021. Des affrontements violents aux cocktails Molotov qui n’apparaissent que la nuit.
Il y a une unanimité autour du fait que le prêt du FMI ne résoudra pas les problèmes de la Tunisie, comme il y a unanimité autour des réformes qui ne datent pas d’aujourd’hui. Le problème est dans la stratégie du gouvernement pour traduire ces réformes en réalisations, sans provoquer l’explosion sociale. Bouden ne pourra pas faire un seul pas sans l’aval de l’Ugtt et de l’Utica et sans que les Tunisiens ne soient informés des sacrifices qu’ils auront à consentir et des bénéfices qu’ils en tireront et dans quels délais.
Maintenant que l’obstacle du FMI a été franchi, il faut passer à la vitesse supérieure, celle du concret. Bouden et sa diplomatie devront aller frapper aux portes des créanciers et des Etats amis pour obtenir des financements nécessaires à la concrétisation du plan de réformes et à la remise en marche de l’économie nationale. Il n’est plus permis de s’endetter pour payer les salaires. Les Tunisiens ont besoin de voir des réalisations à l’échelle du pays et de percevoir des changements positifs dans leur vie. Il incombe, sans plus tarder, à Bouden de tendre enfin la main à Noureddine Taboubi et à Samir Majoul pour mener à terme le plan de réformes sous leurs conseils et les recommandations des spécialistes et des experts.
Bouden est appelée à rassembler tout ce beau monde pour faire avancer les choses, sinon elle fera comme les chefs de gouvernement qui l’ont précédée : faillir aux engagements internationaux de la Tunisie et accentuer sa décrédibilisation.