Que vaut le dernier Houellebecq ?

Doit-on encore présenter Michel Houellebecq, la star des plateaux TV et des radios, un jour poète, un soir cinéaste, une nuit romancier, un matin (glauque, forcément) lugubre visionnaire avec «Soumission», adulé par les uns, vilipendé par les autres ? Essayons de surprendre néanmoins… et de comprendre ce qui sous-tend l’expression et la sensibilité de l’écrivain Michel Houellebecq.

Bien sûr, avec les attentats qui ont frappé Charlie Hebdo et l’épicerie juive Hyper Casher, il est dérisoire aujourd’hui de parler du succès d’un livre. Dans Soumission, Houellebecq image que la France de 2022 était dirigée par un président musulman, Mohammed Ben Abbès. Ses anciens propos sur l’islam avaient fait polémique. La démarche et surtout le style, dépouillé voire « clinique » de cet auteur d›une vingtaine de romans dont les incontournables Les Particules élémentaires, Plateforme, La Carte et le territoire et, aujourd’hui, Soumission.

Thème de Soumission

Rappelons en préambule et sans aucune volonté polémiste que Soumission renvoie clairement à SUBMISSION titre du film du néerlandais Theo Van Gogh, arrière petit neveu de Vincent, assassiné en 2004 par un musulman fanatique. On est dans le contexte…mais traité ici en douceur par Michel Houellebecq.

L’auteur part du postulat selon lequel les deux grands partis politiques, de gauche comme de droite, qui structurent la vie politique française depuis plus de 60 ans sont en pleine décomposition et totalement discrédités. Seul le Front national, sondages à l’appui, émerge largement et semble devoir l’emporter à l’élection présidentielle de 2022, suite à un deuxième mandat calamiteux de François Hollande.

Le FN arrive en tête au premier tour devant le PS mais est battu par le candidat d’un nouveau parti, Les Frères Musulmans, grâce à l’alliance de l’UMPS, uni au sein d’un Front républicain de circonstance. «Tout sauf le FN», tel est le mot d’ordre. Mohamed Ben Abbes est donc le nouveau président de la République de la France,  islamiste modéré «comme un bon vieil épicier tunisien». Il va d’ailleurs constituer un gouvernement avec les socialistes, leur abandonnant les portefeuilles, à ses yeux non stratégiques.

Il n’en sera pas de même pour l’éducation, le statut des femmes, le principe de laïcité … Tout ceci sera balayé ; mais laissons au lecteur la liberté de découvrir lui-même le sort réservé aux Françaises, aux jeunes enfants, à l’économie feu libérale dans un pays complètement islamisé. Nous sommes devant un processus insidieux, inexorable, irréversible, car découlant d’un pouvoir non pas de contrainte mais de séduction. Le narrateur, lui même, succombera aux charmes de la polygamie et d’une chaire universitaire retrouvée. D’ailleurs, toute la France se couche.

Le thème sur lequel est présenté le contenu de l’ouvrage est l’arrivée au pouvoir par les urnes d’un parti islamiste en France suite à un second tour avec le Front national. Un parti islamiste soutenu par l’ensemble des forces républicaines traditionnelles, dont le but secret est de détruire la France pour la dissoudre dans l’Europe.

La polygamie est rétablie. Les aides sociales baissent de 85%. L’enseignement devient confessionnel. La gauche ne trouve rien à redire. La droite non plus. François Bayrou en profite pour se faire nommer Premier ministre. Le tout après une période de campagnes émaillées de violences urbaines qui sont passées sous silence par les médias français à l’exception des sites de partage vidéo russes.  Ici, l’Islam est ramené à une vision certes pas extrémiste, mais en tous cas fortement réactionnaire.

Houellebecq, a force d’être populaire, serait-il devenu banal, dans l’air du temps? Ne va-t-on trouver qu’à part une plume facile à lire, l’habituel contenu des bas de forums complotistes et/ou nationalistes dans le livre d’un écrivain ? Y voir une vague photocopie de ce qu’on peut lire à longueur de colonnes dans Causeur, Le Figaro et autres manifestations de Zemmourismes médiatiques vues et revues ?

Et le secours semble ne pas pouvoir venir du narrateur. Celui-ci n’est pas différent de la plupart de ses précédents héros houellebecquiens : homme entre deux âges, en proie aux affres du trop peu sexuel, revenu de tout sans être allé nulle part, vivant dans un monde confortable mais morne. Soumis en quelque sorte aux temps. Avec pour seul engagement réel sa jouissance sexuelle. Et son travail, qui fera découvrir à beaucoup de lecteurs Huysmans, dont il n’arrive pas pourtant à partager la mystique chrétienne.

La soumission du narrateur : c’est là l’une des clefs du roman, une de celles aussi du titre, qui expliquent en quelque sorte un parcours qui, surprenant au premier abord, se révèle linéaire finalement passant d’une bienveillance pour un universitaire réac d’extrême-droite à une conversion à une version tout aussi réactionnaire de l’islam.

Bilan

On pourrait hâtivement qualifier ce dernier roman de Michel Houellebecq de Sciences Po-fiction. Son background (arrière-plan en futur vieux français) en est l’élection d’un musulman, Mohammed Ben Abbès, à la présidence de la République et ses conséquences sur la vie politique, intellectuelle et philosophico-religieuse de la France.

En tant que lecteur, j’ai simplement pris un certain plaisir à lire ce roman, il pousse à la réflexion… ce qui n’est déjà pas si mal.

Farouk Bahri

Soumission

Michel Houellebecq

Broché: 320 pages

Editeur : FLAMMARION (7 janvier 2015)

Langue : Français

 

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