Quel nouveau rôle à l’Etat face aux révolutions et à la perte  de l’espoir ! (2)

L’éclatement du modèle fordiste et les crises économiques à répétition dès le début des années 1970 ont été à l’origine d’importantes critiques vis-à-vis de l’Etat et des performances de l’interventionnisme économique dans les pays capitalistes. Les analyses keynésiennes du maître de Cambridge et du nécessaire recours à l’Etat dans la régulation de l’ordre capitaliste seront particulièrement visées. Ces critiques seront à l’origine d’un retour en force des bannis d’hier, et plus particulièrement du maître de Chicago, Milton Friedman, qui prendra sa revanche sur Keynes après une traversée du désert de plusieurs décennies. C’est le temps de la contre-révolution et du retour de la main invisible du marché après des décennies d’interventionnisme étatique.
Cette contre-révolution néo-libérale dans le champ économique trouvera dans la victoire des partis conservateurs et l’arrivée de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne et de Ronald Reagan aux Etats-Unis, ses principaux alliés pour opérer un changement radical des choix de politique économique. Ce nouveau contexte politique et économique sera à l’origine de l’émergence d’un nouveau consensus néo-libéral dans les choix de politique économique et dans le recul de l’Etat en faveur du marché dans le fonctionnement des économies capitalistes. Le rôle de l’Etat sera limité à la portion congrue et à la correction des imperfections du marché. Ce consensus contribuera à la libéralisation des politiques publiques et au recul de l’Etat, ce qui permettra une plus grande ouverture des marchés et une plus grande intégration des économies nationales dans la globalisation.
Or, ce consensus néolibéral et les années de la globalisation heureuse vont connaître leur éclipse et une forte remise en cause avec les années de crise 2008 et 2009. Les politiques néolibérales vont reculer drastiquement, donnant une nouvelle jeunesse au maître de Cambridge avec un retour au keynésianisme et à l’interventionnisme étatique dans l’élaboration des politiques publiques dans tous les pays pour faire face au risque de chute du système capitaliste. Les Etats vont jouer un rôle majeur dans le sauvetage des banques et des grandes institutions financières internationales à travers des politiques de relance budgétaire et des politiques monétaires expansionnistes.
Mais, une fois la crise passée et avec le recul du syndrome de la faillite du système global, on a assisté au retour des politiques néolibérales sur le devant de la scène. La question de l’Etat et de son rôle dans l’économie sera alors prisonnière de controverses interminables entre les défenseurs de l’Etat et ses pourfendeurs.
Mais, en dépit de ces tentatives de revenir à des versions passéistes de l’Etat et totalement dépassées et peu pertinentes par rapport à l’évolution des économies et des transformations radicales globales, on assiste à des tentatives de renouveler la conception de l’Etat, de ses rôles et de ses fonctions. De mon point de vue, l’Etat doit assurer quatre fonctions essentielles afin de sortir des grandes crises, de contribuer à une meilleure maîtrise sociale des grandes transformations, et de contribuer à renouveler l’espérance collective. Ces fonctions fondamentales de l’Etat ne se limitent pas aux pays développés mais concernent également les pays en développement.
La première des fonctions stratégiques concerne les grands projets de sociétés et les visions stratégiques de l’avenir. Ainsi, les Etats se doivent d’élaborer, de définir et de favoriser une grande mobilisation sociale autour de ces projets d’avenir. Lors des périodes de crise et et de perte de confiance, les sociétés ont un besoin de vision et de grands projets que seuls les Etats sont capables de produire à travers notamment les grandes institutions de prospectives et les centres de recherche. Ainsi, c’est l’Etat qui possède dans nos sociétés le monopole légitime de production des grands projets d’avenir et l’aptitude à favoriser la formation d’alliances larges ou de blocs historiques autour de ces projets.
La seconde fonction fondamentale de l’Etat dans nos sociétés modernes concerne le domaine social et la nécessité de mettre fin à la montée des inégalités, de la pauvreté et de la marginalisation sociale. De ce point de vue, l’Etat est le seul garant des solidarités sociales. Sa fonction stratégique consiste à veiller à la reconstruction du contrat social afin de rétablir la confiance envers les institutions modernes et de reconstruire leur légitimité mise à mal par les crises à répétition.
La quatrième question essentielle du nouveau rôle de l’Etat concerne les questions économiques, la nécessité de relancer l’investissement et l’ouverture de perspectives pour les entreprises en réduisant la bureaucratie, et la nécessité de mettre en place les principales réformes capables d’accélérer l’investissement et de renforcer la transformation structurelle de l’économie.
Enfin l’action de l’Etat concerne les grandes transitions comme la transition climatique ou la transformation numérique qui exigent une importante intervention de l’Etat afin d’accélérer ces transitions et maîtriser les grands défis qu’ils posent devant les sociétés modernes.
En définitive, nos sociétés connaissent aujourd’hui une ère de grandes transformations et de transitions sans précédent qui sont à l’origine de peurs et d’angoisses dans toutes les sociétés. Ces peurs et ces inquiétudes face à l’avenir sont au cœur de la montée des courants populistes et de cette défiance face à des élites incapables de rassurer leurs sociétés. Ces temps inquiets et agités exigent un renouvellement du rôle de l’Etat et son retour afin qu’il soit capable de reconstruire le contrat social et de fonder une nouvelle espérance collective porteuse de confiance dans l’avenir.       

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