Quelle chance pour un pacte interpartisan ?

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La rupture entre l’Exécutif et une grande partie de la classe politique, l’opposition en l’occurrence, actée depuis le 25 juillet 2021, perdure. Toutes les tentatives de rapprochement par les soutiens du 25 juillet ont échoué. L’inflexibilité de Kaïs Saïed, déterminé à assainir le paysage politique et la sphère économique des acteurs des dérives qui ont impacté la décennie post-révolution, pèse lourdement sur le climat général. Les partis d’opposition refusent de jeter l’éponge mais, murés en rangs dispersés, ils n’arrivent toujours pas à peser sur la balance de la popularité qui penche encore et toujours du côté du président Kaïs Saïed. Le PDL, dont la présidente purge une peine d’emprisonnement pour des propos incriminés par le décret 54, semble avoir tiré la leçon : il franchit le pas en proposant aux autres formations politiques un pacte de rassemblement pour faire le contrepoids avec le locataire de Carthage avec l’espoir de séduire enfin une bonne partie de l’opinion publique.
Rupture politique, mais pas que. Retrait médiatique, également. L’effacement, pour ne pas dire le profil bas, des médias nationaux dans la scène politique est tel que les activités des opposants, activistes, groupes de pression civils, ne sont relayées que par des chaînes étrangères. Récemment, France 24 (chaîne publique française) évoquait avec un invité tunisien l’existence d’une « pétition » invitant, ou exhortant, Kaïs Saïed à se désister de la présidence de la République et de son deuxième mandat validé par plus de deux millions d’électeurs au premier tour de l’élection présidentielle de 2024.
Elaborée par un nombre d’activistes, personnalités politiques et intellectuelles, et autres artistes, la pétition demande au président Kaïs Saïed de se retirer « immédiatement » de sa fonction, mettant en garde contre « le danger d’effondrement (de l’Etat, ndlr) à cause du climat de peur qui plombe le paysage politique ». La pétition est lancée concomitamment au démarrage du procès relatif à l’affaire dite du « complot » dans laquelle sont détenus essentiellement des responsables de partis politiques de premier plan, principaux adversaires politiques de Kaïs Saïed depuis le coup de force du 25 juillet 2021 que ces derniers qualifient de coup d’Etat. La pétition appelle à renouer le dialogue entre les différents partis politiques et avec la société civile en vue de faire front au climat de peur inhérent au « procès de façade » que les autorités politiques ont concocté de manière arbitraire pour écarter les adversaires politiques de Kaïs Saïed, selon les pétitionnaires et leurs alliés. Il ne fait aucun doute que le climat politique général est vicié et pèse comme un lourd fardeau depuis que l’affaire du « complot » a éclaté en février 2023 et que les premières arrestations ont touché des figures de l’opposition éclaboussant l’image d’un pays renommé pour avoir entamé une transition démocratique. Une transition larvée. Après deux années agitées, marquées par un bras de fer entre Carthage et l’opposition et par une élection présidentielle en 2024 qui a sonné le glas d’une classe politique désorientée, le procès de l’affaire du complot a débuté dans des conditions controversées par les détenus, les avocats de la défense et les familles des détenus qui refusent « un procès à distance » et revendiquent la présence physique des détenus dans le tribunal. Selon les autorités judiciaires, la formule « à distance » est tout à fait légale, en vigueur dans nombre de pays démocratiques et ne contrevient pas aux droits des détenus à un procès équitable. Les détenus, leurs avocats et leurs proches exigent, quant à eux, de bénéficier du droit aux lumières, aux caméras et à la proximité des nombreux médias locaux et étrangers sans oublier les représentants de plusieurs chancelleries européennes.
Le climat de peur et de colère a été instauré également par le décret 54, une épée de Damoclès sur la liberté de parole, et surtout par sa dérive autoritaire qui a fait reculer les libertés. Promulgué le 13 septembre 2022, le décret-loi n°2022-54 avait pour objectif de lutter contre les infractions liées aux systèmes d’information et de communication, avec une promesse qu’il ne toucherait pas aux journalistes. Ils sont pourtant nombreux à en faire les frais, passant par la case prison à la faveur d’un durcissement de l’application du décret-loi qui a changé la donne. Les politiques ne sont pas en reste, la présidente du PDL, Abir Moussi, purge une peine d’emprisonnement suite à une plainte de l’Isie. Une deuxième plainte de la même Instance supérieure indépendante des élections visant Moussi est en cours d’examen judiciaire.
Ce climat de tension pousse certaines parties à tenter des initiatives d’apaisement, de rapprochement ou de rassemblement. Toutes n’ont pas abouti. La dernière vient du Parti Destourin Libre (PDL), une initiative élaborée de manière unilatérale que les autres formations politiques ont précédemment ignorée. L’initiative est de nouveau relancée sous une forme plus collégiale. Le PDL invite tous les partis qui seraient intéressés, ainsi que les représentants de la société civile, à étudier ensemble un projet de pacte dont l’objectif serait de sortir le pays de l’impasse. « Les principes fondamentaux de ce pacte à l’allure d’un manifeste posent les bases d’un projet politique et de société sur lequel s’accordent toutes les forces vives de la nation », selon des dirigeants du parti. Autrement dit : un régime politique, un Etat civil et l’alternance pacifique au pouvoir comme principales balises du pacte.
Des premiers contacts ont été pris avec quelques formations politiques mais, d’après les dirigeants du PDL, l’hésitation est de mise (Mouvement pour la Justice, Harakat Al Haq), quand ce n’est pas le refus catégorique (Parti unifié des patriotes démocrates, Al Watad).
Le PDL qui, dès sa création, a fait cavalier seul refusant toute alliance et qui fait aujourd’hui un virage à 180 degrés, est à l’offensive pour approcher le maximum de formations politiques qui ne rebutent plus une alliance avec le parti paria, controversé, estampillé RCD par ses nombreux adversaires et critiques.
Quelle chance a-t-il de faire bouger aujourd’hui les lignes du rapprochement interpartisan ? L’avenir proche le dira.

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