Quelle configuration pour le nouveau gouvernement ?

Alors que les spéculations battent leur plein sur la composition du prochain gouvernement,  M Habib Essid  a préféré travailler presque à huis clos pour échapper à toutes les interférences et à toutes  les pressions.

Le marathon de consultations  engagé depuis une semaine avec les partis politiques pour élaborer un programme consensuel comportant la vision, des uns et des autres,  sur les axes de l’action qui devrait être engagée pour la prochaine étape et aussi   la question épineuse de la répartition des portefeuilles ministériels.

Une équipe restreinte ou élargie ?

Pour voir plus claire,  une équipe restreinte tourne  autour d’une vingtaine de ministères et un cabinet élargi suppose la présence  entre 40 et 50 ministres et secrétaires d’État.

Les coûts, l’efficacité, la coordination et la cohésion ne sont pas du tout les mêmes, il en est de même  pour  les chances de réussite.

Certes,  l’administration assume un rôle déterminant dans l’échec ou la réussite de l’action gouvernementale, cependant le degré d’affirmation de la volonté politique exprimée à travers un encadrement étroit des fonctionnaires par des ministres omniprésents qui sont au parfum de leurs dossiers,  les suivent  de près et veillent à leur exécution sont pour beaucoup dans la réussite ou l’échec des missions confiées aux ministres et secrétaires d’État.

Une équipe gouvernementale restreinte éviterait l’éparpillement des responsabilités et permettrait une meilleure coordination.  Elle serait moins couteuse également quand on connaît les frais de fonctionnement d’un département. Une telle hypothèse ne permettrait pas, cependant,  aux ministres d’avoir le temps d’examiner de près tous les dossiers et de prendre les bonnes décisions en parfaite connaissance de cause.

C’est probablement pour cette raison qu’il semble qu’un compromis raisonnable a été retenu par le chef du gouvernement de former un cabinet de 23 ministères et 12 secrétariats d’État soit un gouvernement de 35 membres.

Ainsi le pouvoir exécutif ne sera pas dilué entre 50 responsables par exemple ni concentré entre 20 ministres seulement.

A ce propos,  compte tenu des expériences antérieures qui ont provoqué parfois des frictions entre le ministre et le secrétaire d’État chargé de l’assister, il y a avantage à fixer avec précision les prérogatives  de chacun pour éviter tout conflit de compétence et, partant, tout blocage.

Quelle restructuration ?

Elle dépendra du programme qui sera adopté par le nouveau gouvernement.   Plusieurs ministères connaitront  des modifications dans leurs configurations par rapport au gouvernement de Mehdi Jomâa.

C’est ainsi que pour des raisons objectives,  le ministère des Finances sera dissocié du  ministère du Développement pour des raisons logiqus. Les Finances c’est un ministère horizontal appelé à faire des arbitrages entre tous les ministères, y compris celui du Développement. On ne peut être juge et parti à la fois. Le ministère des Finances avec la réforme fiscale, la gestion du Budget et la tutelle de la Douane a un plan de charge qui ne supporte par l’adjonction d’autres missions.

Un secrétariat d’État charge du développement régional devrait voir le jour dans le cadre du ministère du Développement à l’effet de mettre l’accent sur une des revendications principales de la Révolution.

Compte tenu de la dégradation avancée de l’état de l’environnement depuis quatre ans,  il faudrait promouvoir le secrétariat d’État au rang de ministère de l’Environnement et le détacher du ministère de l’Agriculture.

En effet à travers les engrais chimiques et les pesticides, l’agriculture pollue l’environnement,  donc il n’y a pas lieu de les associer dans un même département.

Les activités artisanales étant beaucoup plus liées au secteur touristique,  il y a lieu de rattacher ce secteur au ministère du Tourisme et non au ministère du Commerce.

Compte tenu des préoccupations soulevées par les uns et les autres à propos propos des questions énergétiques et la crise qui sévit dans le Bassin minier de Gafsa, un secrétariat d’État chargé des Mines et de l’Energie s’impose. Peut-être même un ministère à part entière.

Il n’est pas irrationnel de constituer un super  ministère de l’Éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique,  quitte à charger un secrétaire d’État chargé de gérer le département de l’Éducation.

Le niveau de qualité à préserver tout au long du cycle de l’enseignement, la priorité a adopter au niveau de l’employabilité des profils à former ainsi que la synergie  à favoriser  entre la recherche, le monde du travail et l’université pourraient être entamés enfin dans le cadre de réformes à concevoir.

un gouvernement d’union nationale ou une coalition?

Il est évident que compte tenu de la pluralité du paysage politique dans notre pays,  avec l’émergence de plusieurs nouveaux partis et en raison de la répartition des sièges à l’ARP entre les différentes tendances, que le mouvement Nidaa Tounès ne peut gouverner tout seul.

Cela signifie qu’il est obligé de partager le pouvoir avec d’autres partis outre son choix délibéré  de disposer d’une majorité stable et confortable à l’assemblée pour permettre au gouvernement de M Habib Essid de bénéficier d’un vote de confiance généreux lors de son investiture. Cela tient aussi à la nécessité de faire adopter, sans fioritures ni tergiversations, les textes de lois qu’il sera amené à présenter à l’ARP durant les cinq ans à venir.

Nidaa Tounès cherche plutôt à constituer une coalition de gouvernement, efficace pour donner toutes les chances de succès au premier gouvernement de la deuxième République en y associant Afaq Tounès, l’UPL et Ennahdha outre des personnalités indépendantes sollicitées pour leurs compétences.

Il faut dire qu’avec ces partis un accord sur le programme d’action semble avoir été trouvé.

Ce ne sera pas à proprement parler un gouvernement d’union nationale parce que des organisations nationales aussi puissantes que l’UGTT, l’UTICA et l’UTAP n’y participent pas. Des paris   représentés à l’ARP comme le Front populaire ne semblent pas prêts pour y participer vu les divergences fondamentales qui existent sur  les programmes d’action et les coalitions.

D’autres  partis gravement laminés  aux élections législatives n’auront sûrement pas la possibilité d’avoir des ministres ou des secrétaires d’État. Ils pourront, le cas échéant,  s’aligner aux rangs de l’opposition.

Cependant le mouvement Ennahdha a exprimé sa disposition  à participer au prochain gouvernement en faisant prévaloir l’idée de la nécessité de former un gouvernement d’union nationale capable d’engager des réformes et de gérer un contexte difficile.

Un programme commun

Habib Essid a entamé son marathon de consultations avec les partis politiques à travers  des négociations qui ont porté sur la définition d’une plate-forme minimale de programme d’action commun à élaborer pour constituer le gouvernement et obtenir le vote de confiance de l’ARP.

Ce programme étant vaste et réalisable à long terme, il s’agit d’obtenir u accord sur les priorités et les urgences afin de répondre avec diligence aux attentes les plus pressantes.

Il faut dire que certains poids lourds de la société civile, même s’ils ne sont pas directement concernés par les postes de ministres sont des partenaires incontournables du gouvernement et ont leur mot à dire dans la définition des priorités du gouvernement. C’est ainsi que  l’UGTT donne la priorité à l’augmentation des salaires alors que l’UTICA réclame les incitations à l’investissement.

L’UGTT s’oppose de façon farouche à tout licenciement dans le secteur  public et à toute privatisation des sociétés publiques.

C’est à ce niveau  que réside la discordance  entre Nidaa Tounès et le Front populaire. Cependant la relance de l’investissement et du processus de croissance économique sont des dénominateurs communs.

Il y a quand même une unanimité à considérer que la lutte contre le terrorisme comme  une priorité pour tous y compris la lutte contre le contrebande et l’inflation galopante qui a détérioré le pouvoir d’achat des classes moyennes et défavorisées.

Le problème de l’emploi est une priorité pour tous mais comment le faire, à quel prix et dans quelles conditions ?  là est la question !

 

Les ministres susceptibles d’être maintenus

Hédi Larbi, ministre de l’Équipement,  qui a assumé un rôle distinctif lors de l’organisation du Forum international de l’investissement “Investir en Tunisie : start-up de la démocratie” organisé en septembre 2014 à Tunis,  pourrait être reconduit. Cela nonobstant le fait  que lors de son petit mandant, l’état des routes dans notre pays s’est dégradé rapidement sans que l’on constate une amélioration quelconque malgré les financements accordés par la BAD et autres institutions pour la construction de routes. Peut-être que cela lui permettra d’entamer les grands projets d’infrastructures qui n’ont pas été réalisés en 2014.

Kamel Bennaceur, ministre de l’Industrie , de l’énergie et des mines  semble être apprécié dans la gestion de son département bien que la crise dans le secteur des phosphates persiste et que la prorogation des permis en matière de prospection du gaz et du pétrole aient soulevé des polémiques. Il sera probablement maintenu à son poste. Ghazi Jeribi en sa qualité de ministre de la défense a fait preuve de grandes qualités et de réalisations remarquables en matière de lutte contre le terrorisme.

Il est appelé à faire partie du nouveau gouvernement mais pourrait changer de portefeuille et passer au ministère de l’Intérieur.

M Younbai, ministre des Affaires sociales a montré des qualités de négociateur pour apaiser les conflits sociaux et trouver des solutions de compromis à de multiples problèmes.

Il est apprécié par l’UGTT qui le préfère à d’autres ministres pour engager des négociations. Il sera probablement maintenu à son poste.

Des interrogations aussi

La répartition du pouvoir exécutif entre le président de la République et le président du Gouvernement selon la constitution fait la part belle à ce dernier.

En effet à l’exception des domaines de prédilection du président de la République tels que les Affaires étrangères, la Défense nationale et la Sécurité c’est le président du Gouvernement qui prend les décisions dans tous les domaines.

Cependant en choisissant une personnalité théoriquement indépendante donc non adossée à une formation politique puissante mais proche de Béji Caïd Essebsi, le président de la République recherche-t-il à gouverner effectivement le pays par personne interposée ?

En somme, on spécule que  le président du gouvernement serait amené à exécuter et à faire appliquer par son gouvernement les instructions présidentielles.

Le gouvernement Habib Essid est-il appelé à réussir pour durer cinq ans ou bien est-t-appelé à connaître des modifications de structures et de personnes en fonction des circonstances et de la conjoncture ?

L’exercice du pouvoir est difficile, les défis et les difficultés ne manquent pas qu’elles soient d’ordre sécuritaire, économique, social ou financier.

Dans le mesure où le gouvernement réussit à faire face à la situation en envoyant des signaux forts vis-à-vis des investisseurs et des travailleurs, à conforter la confiance, à instaurer la sécurité et à créer des emplois il sera appelé à durer. Les ministres auront-ils une liberté d’action et d’initiative ou bien seront-ils contraints de consulter pour chaque décision ?

Y a-t-il une clé de répartition?   

Sur 35 postes à pouvoir Nidaa Tounes en revendiquerait 15, presque la moitié dont bien sûr les ministères de souveraineté : Affaires étrangères, Intérieur et Défense.

En effet nous croyons savoir qu’une liste comprenant 21 candidats de Nidaa Tounès à des postes de ministres et secrétaires d’État aurait été transmise à Habib Essid afin de lui permettre d’en choisir 15. Cette liste comporterait entre autres noms ceux de Slim Chaker, Mahmoud Ben Romdhane, Adessatar Messoudi, Saïda Garrache, Naji Jelloul, Taïeb Baccouche…

Il faut dire que le mouvement Nidaa Tounes a procédé à une répartition claire parmi ses dirigeants : ceux qui ont convoité avec succès les sièges de députés et doivent s’y tenir.

Slim Chaker et Mahmoud Ben Romdane ont fait leurs preuves l’un à titre d’expert de la Banque mondiale, au Cettex et au FAMEX avant d’être secrétaire d’État au Tourisme puis ministre de la Jeunesse et des sports.

L’autre à titre de professeur d’économie de consultant international et rédacteur du rapport économique et social de Nidaa Tounes.

Ils pourraient être respectivement ministre du Commerce et ministre des Finances. Abdekrim Zbidi est pressenti pour assumer de nouveau le ministère de la Défense.

Ennahdha après avoir réuni son Conseil de la Choura a donné son accord pour participer au futur gouvernement mais a demandé que les ministères de souveraineté soient confiés à des personnalités neutres et indépendantes. La question qui interloque est la suivante : est-ce que  Ennahahda aura-t-elle son mot à dire sur le programme du gouvernement. Peu probable ?

Il semble cependant que malgré son poids électoral à l’ARP, qui reste important soit 69 sièges, sa participation au gouvernement ne sera que symbolique pour ne pas dire “formelle” car elle ne sera représentée que par 2 à 3 ministres.

Les noms de Zied Laadhari et de Samir Dilou sont annoncés pour des postes de ministres.

Yassine Brahim, président de Afaq Tounès sera probablement un des deux ou trois ministres et secrétaires d’État de ce parti. Il y a lieu de rappeler que Yassine Brahim a été durant moins d’un an ministre du Transport et de l’équipement et a joué le rôle de “pompier” durant la très difficile année 2011 pour éteindre plusieurs incendies dans le secteur des transports,  dont la grève des filiales de TUNISAIR, ce qui a engendré la réintégration du personnel des filiales dans la compagnie nationale.

L’UPL semble être bien partie pour briguer 2 ou 3 postes ministériels à caractère économique et financier : Maher Ben Dhia et Mohsen Hassen convoiteraient assidûment ces postes.

En effet le soutien inconditionnel de l’UPL au programme de Nidaa Tounès et à Béji Caïd Essebsi lors des présidentielles sont là pour le justifier.

Le moins que l’on puisse dire c’est que la participation des femmes et des jeunes au gouvernement ne semble pas être la première préoccupation du futur gouvernement de Habib Essid.

Cependant les noms de Kalthoum Kennou et de Basma Khalfaoui veuve du martyr Chokri Belaïd sont cités à des postes non précisés.

La candidate courageuse à la présidentielle serait-elle la plus indiquée pour assumer le poste très difficile de ministre de la Justice ?

Taïeb Baccouche, secrétaire général de Nidaa Tounès pourrait assumer la responsabilité d’un grand ministère de l’Enseignement supérieur et de l’éducation où les mouvements de contestation ne manquent pas de perturber le bon déroulement des cours et où de grandes réformes s’imposent. Ancien syndicaliste et négociateur familier des consultations, il serait secondé par un secrétaire d’État.

Mohamed Jegham pourrait reprendre du service dans un secteur qu’il connaît bien, le Tourisme et l’artisanat, et où tout doit être reconstruit depuis la diversification du produit, la communication et l’image du pays, la qualité des prestations de service en passant par l’endettement de l’hôtellerie et les relations de la tutelle avec les professionnels du secteur.

Des compétences indépendantes pourraient être sollicitées pour participer aux gouvernements,  telles que Radhi Meddeb, P-DG de Comète engineering et président de l’IPEMED, fin connaisseur de l’économie tunisienne et promoteur de l’économie sociale et solidaire.

Ridha Lahmar

 

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