Par Khalil Zamiti
A sa livraison du 4 juillet, « Le Monde », journal réputé sérieux, pronostique pour la Tunisie, l’implosion sociale, provoquée par « la dérive de Kaïs Saïed » et « son passage en force » vers le système totalitaire théorisé par Hannah Arendt. « Autocrate », le Carthaginois ne cesse d’exposer le « pays à tous les dangers. Avec bien d’autres experts en chimères, Néjib Chebbi, monté sur le Front national de la discorde, Rached Ghannouchi, ou Hamma Hammami prédisent la même sottise imputée à l’intolérable mainmise ».
Ces prises de position suggèrent une première approximation. Supputer une explosion collective, à boire, tôt ou tard, donne à voir une dérisoire imagination de cafards. Marx aurait décrit « la critique des souris ».
Voyons d’autres avis.
Interviewée à propos de l’inéluctable et très prochaine explosion sociale, Amina Béjaoui, tenancière d’une épicerie, me dit : « Ces paroles creuses ne peuvent rien contre la confiance et l’appui du peuple. Chaque jour, les sondages d’opinion montrent la popularité de Kaïs Saïed. Les opposants parlent pour ne rien dire, car notre président, bien aimé, veut ce que le peuple veut. Je participe, en première ligne, à toutes les manifestations de soutien, et le gel des avoirs mafieux dément la peur de Kaïs Saïed face aux menaces d’Ennahdha ».
Pour Houda Bahloul, directrice de recherche au CERES, « plus les opposants recourent aux pays étrangers, pour faire pression sur le président, plus ils consolident sa popularité. Les effets de l’ingérence en Irak ou en Libye agissent contre l’appel aux puissances étrangères. De nos jours, l’Association des magistrats tunisiens ramène le haut représentant d’une organisation internationale, puis reproche aux institutions de l’Etat de ne pas le recevoir ».
Autrement dit, la Tunisie n’est pas une écurie. Nabil Daboussi, chauffeur et pratiquant régulier, dirait Gabriel Le Bras, répond à mes questions : « Les dirigeants d’Ennahdha créent des associations et des partis nouveaux pour critiquer le président. Ils se cachent derrière eux ».
Cependant, l’argumentaire déployé autour de l’insurrection populaire semble recourir à un raccourci « paresseux et mystérieux », mot de Gurvitch. Car, nos aspirants putchistes prennent leur aspiration subjective pour une déduction objective.
Ainsi, « Le Monde » mise a priori sur l’ignorance de ses lecteurs disposés à prendre la divination pour la fruit d’une investigation. Car, « la classe en soi », n’est pas « la classe pour soi » dirait, entre autres, le défunt Bourdieu. Je m’explique Ici, les coupures d’eau produisent un barrage routier, là, des ordures amoncelées incitent les Sfaxiens à manifester. Mais « l’explosion sociale », déployée à l’échelle nationale, implique une prise de conscience globale, greffée sur l’organisation et la mobilisation. Une direction du mouvement ne serait pas de trop pour la coordination.
L’absence de pareille occurrence lève le voile sur le sixième sens et le spiritisme du « Monde », souvent crédibles et parfois inaudibles. Pour dégager le Carthaginois, la misère provoquée par l’incurie et la gloutonnerie nahdhaouies ne suffit pas. Que faire si les franges élargies de la population, averties maintenant, paraissent moins disposées à jouer aux avaleurs de couleuvres jadis mis en œuvre.
Aujourd’hui, encore, il est question d’extrémisme violent. Ses menaces de mort cligneraient vers le ministre de l’Intérieur, le président et le gouvernement.
Au plan du savoir et de l’investigation, une zone d’ombre demeure quant à ces présumés tueurs. Les médiateurs évoquent souvent l’argent donné aux désœuvrés, le curieux lavage de cerveau ou bien encore, la manipulation de l’adolescence, moment réceptif à toutes les influences. Toutefois, par-delà, opèrent deux visions du monde, l’une à connotation œcuménique et l’autre à coloration démocratique. Voilà pourquoi une lutte sans merci convie à grimper sur le ring, le grand Bourguiba et le petit Ghannouchi. L’un porte en lui-même, une foi inébranlable et l’autre surfe sur l’univers social où dansent l’ange et le diable misérable. Dans le poème titré « Le Tonneau de la haine » Baudelaire écrit : « Le démon fait des trous secrets à ces abîmes / Par où fuiraient mille ans de sueurs et d’efforts / Quand même elle saurait ranimer ses victimes / Et pour les pressurer ressusciter leurs corps ».