Quelle image de la Tunisie voulons-nous ?

Que peut-on attendre de la conférence internationale sur l’investissement qu’abritera Tunis les 29 et 30 novembre ? L’annonce de la participation de plus d’un millier de décideurs, de bailleurs de fonds internationaux et d’investisseurs et le parrainage de ce grand rendez-vous  par la France, le Qatar, le Canada et les Etats Unis devraient être perçus comme un gage de réussite et un signal fort adressé à la communauté des affaires pour investir en toute confiance en Tunisie et soutenir ses efforts pour jeter les fondements d’un développement soutenu et inclusif.
Un rendez-vous qui se tient à un moment où le pays est à la croisée des chemins et a, plus que jamais, besoin d’arguments pour renforcer sa démocratie naissante, redonner à son système productif plus de vigueur, impulser sa croissance restée longtemps atone, redonner confiance aux régions intérieures du pays et espoir à une jeunesse au bord de la désespérance.
A travers l’organisation de ce forum, la Tunisie est surtout appelée à convaincre par la qualité et la profondeur des réformes qu’elle a entreprises et séduire, en reflétant une image attractive d’un pays  convalescent qui est en train de retrouver ses repères, de renforcer sa stabilité et sa sécurité, d’un pays qui propose un projet cohérent et à qui on peut prêter intérêt et confiance.
Paradoxalement, à quelques jours de ce Big Event, la Tunisie paraît plus que jamais divisée, désorientée et au bord de l’explosion sociale. Par la faute de sa classe politique décalée des réalités du pays et de ses priorités les plus urgentes. Une classe prompte à tous les combats perdus et aux polémiques stériles qui n’ont fait que le plomber, attiser les dissensions et accentuer le malaise.
Par les excès des partenaires sociaux, atteints par une sorte de myopie qui les empêche de regarder la réalité en face, en optant pour la politique du pire pour arracher d’hypothétiques acquis qui n’ont fait  que plonger le pays dans les abysses du doute et de l’incertitude.
Dans un pays où les bras de fer deviennent la règle, les grèves, une arme de premier recours, l’arrêt de la production comme un alibi, le blocage de routes comme une expression de dépit, le dialogue comme un leurre, l’avenir ne peut qu’être hypothéqué et les perspectives sérieusement compromises. Dans un pays, où un élu justifie, à l’Assemblée des représentants du peuple, l’arrêt sauvage de la production à la CPG, en proposant à  tous ceux qui s’y opposent, « de se taper la tête contre une montagne », où les avocats, les médecins et autres catégories socio-professionnelles se réfugient dans un corporatisme primaire  pour se soustraire à leurs obligations citoyennes, où les réformes sont constamment rejetées  et où le partage des sacrifices se transforme en une tare, peut-on s’attendre légitimement à l’intérêt ou à la confiance des investisseurs et des bailleurs de fonds ? Qui se hasarderait à donner un crédit à un pays constamment en ébullition, miné par les dissensions et où les revendications salariales deviennent une insulte au bon sens. Alors que les finances publiques traversent une crise sans précédent, que les contraintes ne font que gagner en intensité, la croissance en berne et la productivité en chute libre, l’on trouve normal de condamner le pays à rester prisonnier de la spirale dans laquelle il ne cessait de se débattre depuis 2011, en continuant à s’endetter pour acheter la paix sociale, à sacrifier le développement, en cédant aux caprices électoralistes et pousser le gouvernement dans ses derniers retranchements, comme si l’avenir du pays dépend seulement de lui.
Alors que les menaces ne font que se durcir et les résistances au changement ne font que se renforcer, à qui peut profiter cet acharnement inconscient qui, tout en étant contre-productif, se dresse comme une barrière infranchissable  à tout processus permettant au pays de retrouver des chemins de sortie de crise sérieuses ?
Enfin, pourquoi à chaque opportunité qui se présente au pays pour redynamiser la machine productive, stimuler l’effort de croissance et restaurer la confiance, on voit surgir une levée de boucliers des acteurs politiques et sociaux, une exacerbation des conflits et tensions et un refus obstiné des solutions de compromis ? Est-ce ça l’image qu’on veut donner au monde de cette démocratie naissante ? À l’évidence, une démocratie se construit par l’effort, le travail et le partage des  sacrifices, non par le déni et l’entretien artificiel des conflits et des tensions. A-t-on encore le temps de s’en apercevoir et de rectifier le tir pour orienter tous les efforts vers l’essentiel, non le superflu ?

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