Créer de nouvelles facultés à caractère médical à l’intérieur du pays semble une bonne idée. Mais que fera-t-on des futurs diplômés qui viendront renforcer les rangs des chômeurs dans le pays ?
Lors de la cérémonie de remise des diplômes de doctorat en pharmacie, le ministre de la Santé, Abdellatif El Mekki, a annoncé un projet de création d’une nouvelle faculté de pharmacie (la deuxième en Tunisie), de deux universités enseignant la médecine et d’une faculté de médecine dentaire. Ces institutions seraient lancées dans les zones intérieures du pays. Ce projet devra passer devant le conseil des ministres et obtenir son aval.
Dès l’avènement du premier gouvernement après les élections, cette idée a été plusieurs fois lancée, mais est très vite tombée aux oubliettes parce qu’elle a suscité des remous au sein de la communauté médicale, toutes spécialités confondues. La grande crainte est en effet de voir grossir le rang des chômeurs, déjà important dans ces filières.
Les médecins et les dentistes sont en surnombre en Tunisie. Plus de 12.000 médecins pour une population de moins de 11 millions d’habitants, un médecin pour 800 habitants. C’est un mauvais signe pour la profession, puisqu’il ne faut pas descendre sous la barre des 1000 habitants pour un médecin. Leur situation professionnelle et économique n’est pas aussi florissante qu’on l’imagine. Sans l’avènement de la CNAM, beaucoup aurait fermé boutique. Il est vrai que certains spécialistes se remplissent les poches grâce aux actes chirurgicaux qu’ils pratiquent. Mais ce n’est pas le cas de tous. Quant au secteur public, seuls les généralistes acceptent d’y entrer. Les spécialistes préfèrent le privé pour plusieurs raisons : il n’y a plus de postes dans les grandes villes et la priorité est donnée aux différentes régions de tout le pays, là où les spécialistes refusent de se rendre parce qu’ils n’ont aucune chance de bénéficier d’une formation continue, indispensable à tout médecin.
Résorber d’abord le chômage !
Pour les facultés de médecine, les partisans de ce projet ont alors proposé de ne pas augmenter le nombre d’étudiants en médecine, mais de les former ailleurs que dans les grandes villes. Soit là où il n’y a pas d’hôpital universitaire ! Ce fut l’argument de ceux qui s’opposent au projet.
Pour les pharmaciens, leur grande préoccupation venait surtout de l’éventualité de la création d’une faculté de pharmacie privée. Ils redoutent des implications sur la qualité de l’enseignement qui pourrait alors être uniquement basée sur les moyens financiers de l’étudiant, avec des débouchés incertains. La profession de pharmacien en Tunisie est l’une des mieux réglementée, grâce à des garde-fous qui n’autorisent qu’une pharmacie de jour pour 400 habitants et une pharmacie de nuit pour 60.000 habitants, le secteur a garanti sa viabilité. Le nombre de pharmaciens inscrits à l’ordre dépasse les 4500, 745 sont chômeurs. La faculté de pharmacie de Monastir forme chaque année 60 nouveaux pharmaciens. Il y a autant de nouveaux diplômés de l’étranger qui viennent s’inscrire, tous les ans. La durée d’attente pour créer une nouvelle pharmacie est de 4 à 5 ans selon les régions et la catégorie de pharmacie à moins d’avoir les moyens et de se payer une pharmacie déjà existante dont le propriétaire part à la retraite. Certaines officines se vendent à plus d’un million de dinars ! À ce prix est-ce encore rentable ?
Que ferait-on d’une deuxième faculté de pharmacie, qu’elle soit publique ou privée ? Le ministre de la Santé a longuement parlé de l’industrie pharmaceutique en Tunisie. Il est vrai qu’elle est florissante et qu’elle progresse bien. Mais elle fait aussi face à la concurrence, en provenance particulièrement des pays du Maghreb. Aujourd’hui elle couvre plus de 56% des besoins du pays.
Est–elle capable, néanmoins, de résorber le surplus de pharmaciens chômeurs ? Pas sûr…
Quant aux médecins dentistes, ils sont environ 2500 en Tunisie. L’installation d’un cabinet dentaire coûte tellement cher qu’il faut assumer des dettes pendant au moins 5 ans après l’ouverture.
Alors ce projet de création de ces nouvelles facultés est-il vraiment une bonne idée? Ne fallait-il pas penser à créer d’abord un marché de l’emploi susceptible d’absorber les futurs diplômés ?
Samira Rekik