Quelles priorités pour le futur gouvernement

Le futur gouvernement est appelé à prendre le pouvoir dans quelques semaines dans un climat de tension politique, de morosité économique, d’incertitudes sécuritaires et sociales.
Il devra relever des défis majeurs que l’on peut regrouper sous deux préoccupations urgentes et prioritaires, les graves impératifs sécuritaires avec la lutte contre le terrorisme d’une part et, d’autre part, les problèmes économiques et financiers aigus avec leurs répercussions sociales sur la population.
De quels chantiers prioritaires s’agit-il ? Dans quel sens pourra-t-il gérer la situation, sachant que la marge de manœuvre est très étroite avec un impératif temps très réduit, compte tenu de l’agenda politique retenu et des moyens disponibles très limités ?

Ce ne sera pas la tâche la plus facile du futur gouvernement que de faire approuver un budget bouclé au prix de mesures fiscales impopulaires et victime d’un déficit lourd.
En effet, le Budget 2014 doit faire face à plusieurs choix et arbitrages lourds de conséquences structurelles, difficiles à assumer et à faire accepter par la population. La réforme de la Caisse de compensation est-elle réalisable pour ce qui est des subventions alimentaires sans réactions populaires, alors qu’elle est nécessaire, du moins dans son chapitre subventions énergétiques ?
Le financement des ressources extérieures posera un problème difficile à résoudre, compte tenu de la dégradation de la notation souveraine du pays par les agences internationales de rating : toute sortie de notre pays sur les places financières internationales privées sera coûteuse à assumer. En outre, notre pays approche dangereusement (47%) du seuil alarmant d’endettement, soit 50% du PIB.
Par ailleurs, l’augmentation sensible des impôts à travers la loi de Finances pour l’exercice 2014 ne manquera pas de soulever le mécontentement des contribuables qui souffrent déjà d’une inflation rampante depuis près de trois ans. Cette inflation a détérioré le pouvoir d’achat des citoyens.
Le futur gouvernement devra faire face à cette urgence dès sa constitution devant les députés de l’ANC, mais aussi face à l’opinion publique.

Gel des prix et des salaires pendant un an
Nous vivons depuis bientôt trois ans un cycle infernal de courses-poursuites entre les salaires et les prix qui ne fait qu’aggraver et entretenir l’envolée de l’inflation, alors que le pouvoir d’achat de la population s’effondre. Les maigres tentatives entreprises par les ministres du Commerce successifs pour calmer l’inflation n’ont pas été couronnées de succès significatifs. Certes, la contrebande et la spéculation des intermédiaires qui sont à l’origine de cette situation n’ont pas été sanctionnées avec la rigueur et l’efficacité escomptées.
C’est pourquoi le futur gouvernement devrait, avec le concours des partenaires sociaux, UTICA, UTAP, CONECT et UGTT notamment, sans oublier la société civile (ODC, Synagri…) conclure un gel des prix et des salaires durant un an au minimum pour éviter l’effondrement du pouvoir d’achat et la relance de l’inflation. Ce serait là un facteur positif de stabilité sociopolitique et une mesure urgente avec effet immédiat.

Lancer un programme de grands travaux
Le nouveau gouvernement est tenu de lancer des messages forts vis-à-vis de l’opinion publique, des investisseurs et des acteurs économiques. Il s’agit de donner l’exemple et d’encourager les promoteurs à entreprendre : un message d’espoir et d’optimisme. Mais aussi “réamorcer la machine”, relancer la dynamique économique dans les régions intérieures du pays en créant des emplois et en associant les petites entreprises locales dans la conduite des chantiers. L’État doit donc engager de grands travaux d’infrastructures de base pour lesquels les études sont déjà prêtes et les financements acquis, mais qui trainent dans les bureaux en raison des lourdeurs bureaucratiques, de formalités administratives et financières, ou encore à cause de contentieux d’ordre foncier qui retardent la réalisation des projets sur le terrain.
Ces projets peuvent consister en la construction de ponts, de routes et d’autoroutes, l’aménagement d’une zone industrielle et de périmètres irrigués, l’extension de ports ou la réalisation de centrales électriques. Au-delà de l’intérêt évident et de l’avantage direct procuré par le projet lui-même, il y a l’impact psychologique et l’image perçue par l’opinion, celle d’un gouvernement décidé à entreprendre et à relancer la croissance dans le pays.

Réforme bancaire et fiscale
Afin de regagner la confiance des institutions financières internationales, le gouvernement de compétences doit montrer sa bonne volonté de réaliser les réformes structurelles que la Troïka s’était engagée à mener à bien, mais qui n’ont pas été entreprises pour des raisons électoralistes.
En effet, l’évasion fiscale est ahurissante et scandaleuse depuis des décennies en Tunisie, notamment le régime forfaitaire qui prive le budget de l’État de ressources importantes alors que nous sommes contraints d’emprunter à l’étranger pour boucler le Budget. C’est pourquoi le gouvernement doit mettre en pratique la réforme fiscale étudiée et proposée pour les commissions créées à cet effet et la faire approuver par le Conseil supérieur de la fiscalité.
En outre, la réforme des banques publiques ajournée par suite des travaux d’audit organisés par le ministère des Finances et la BCT devront aboutir très bientôt à deux mesures décisives, d’une part la recapitalisation des banques à hauteur de 500 MD et la mise en pratique d’une stratégie de bonne gouvernance d’autre part. Quant aux décisions de fusion ou d’absorption, lourdes de conséquences, elles pourront attendre plus tard l’avènement d’un gouvernement de longue durée dans le cadre d’une stratégie de développement planifié.

Regagner la confiance des partenaires extérieurs
Le soutien financier de partenaires extérieurs prestigieux comme la BAD, le FMI, la Banque mondiale, l’UE, la BEI, la BERD, la BID… est indispensable pour le redressement de la situation économique du pays. Cela implique fondamentalement un sentiment de confiance axé sur une stratégie de développement et un programme de réformes des structures économiques. Or ce sentiment a été ébranlé suite aux tergiversations et dissensions politiques, aux lenteurs du processus transitionnel, aux incertitudes et au manque de visibilité de l’agenda politique faute d’adoption du projet de constitutionnel.
Il y a eu aussi des erreurs stratégiques comme le retard dans la réalisation des projets de développement dans les régions intérieures ainsi que l’utilisation de crédits extérieurs non pour le financement du développement, mais pour des augmentations salariales et des subventions à la consommation.
Il est urgent de changer de politique, d’adopter un programme d’austérité, de redonner la priorité au développement par rapport à la consommation et de regagner la confiance des partenaires extérieurs. Adopter une bonne gouvernance des affaires publiques et réduire le train de vie du gouvernement figurent parmi les urgences.

Relance des secteurs économiques prioritaires
En concentrant ses efforts sur certains secteurs économiques prioritaires et en prenant des mesures ciblées, le futur gouvernement sera en mesure d’améliorer rapidement le taux de croissance du PIB ainsi que les équilibres financiers macroéconomiques.
Réduire les importations de produits de luxe, limiter les crédits à la consommation, encourager les exportations et les crédits d’investissement, favoriser la création d’entreprises…
Deux secteurs devraient bénéficier de mesures exceptionnelles : le tourisme et les phosphates : sécuriser la production et le transport des phosphates dans le bassin minier ainsi qu’une action promotionnelle de grande envergure, en faveur de la destination Tunisie, sur les principaux marchés émetteurs de touristes pour les rassurer sur leur sécurité, sont susceptibles d’améliorer de façon sensible nos réserves en devises ainsi que notre balance commerciale extérieure.

Lutte contre la contrebande et la spéculation
Une lutte efficace contre la contrebande aux frontières et les actions spéculatives des intermédiaires sur les marchés intérieurs est susceptible d’avoir un impact positif sur les prix et les subventions à la compensation grâce à des sanctions sévères contre les responsables.
Les importations illégales de tabac font perdre au budget de l’État 500 MD de recettes fiscales chaque année.
Les exportations illégales de produits subventionnés par la Caisse de compensation constituent une hémorragie pour notre Budget.
Restaurer la sécurité et la stabilité
C’est la priorité des priorités que de restaurer la sécurité dans le pays, parmi une population traumatisée par la surenchère terroriste avec des kamikazes qui menacent désormais les zones touristiques et des terroristes susceptibles de mener des actions non seulement dans les zones montagneuses et retranchées, mais aussi dans les zones urbaines.
Notre pays n’a pas l’expérience de la cohabitation avec le terrorisme, contrairement à l’Algérie par exemple. C’est pourquoi il importe de mettre fin à cette atmosphère de psychose collective qui affecte sensiblement le moral de la population et entrave l’esprit d’entreprise et le sens de l’entrepreneuriat.
Le nouveau gouvernement devra mettre au point une stratégie efficace et globale de lutte contre le terrorisme en vue de l’éradiquer, dans les meilleurs délais, avec la participation active de la population et si nécessaire le concours éventuel de pays amis qui détiennent l’expérience nécessaire dans ce domaine.     

Ridha Lahmar

 

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