Quelles réformes pour la Caisse de compensation ?

La Caisse générale de compensation est plus que jamais remise en cause par le gouvernement, les politiques et même par une partie de la population, principale bénéficiaire. En 2013, celle-ci a atteint 5514 Millions de dinars, soit 7% du PIB et 20% du budget de l’État contre, respectivement, 5% et 15% en 2012. Malgré les mesures d’austérité prises par le gouvernement de la Troïka, Mehdi Jomâa sera, lui aussi, contraint de compresser les dépenses de cette Caisse.

La Caisse générale de compensation est un fonds spécial du Trésor, créée par la loi 26 du 29 Mai 1970 et confirmée par la loi des Finances 65-1970. La gestion de ce fonds a été  confiée au ministère de l’Économie nationale puis au ministère  du Commerce. L’objectif essentiel était de subventionner des produits de base aux plus démunis. Cette Caisse de compensation subventionne les hydrocarbures, l’électricité et certains produits alimentaires de base.  Au cours des 30 dernières années, les produits présents en permanence dans la Caisse sont notamment :  le blé dur  et le blé tendre (pour les minoteries), la farine et la semoule (boulangeries et consommateurs), l’huile de soja (raffineurs, embouteilleurs), le papier scolaire (imprimeries).

 

La Caisse de compensation pour l’énergie

les deux tiers des subventions vont vers les énergies et hydrocarbures (électricité, gaz naturel, carburant et bouteille de gaz). Selon Abdelaziz Rassaa, ministre de l’Industrie  et de la technologie dans le gouvernement Essebssi, la politique menée par le gouvernement  sur la période s’étalant de  2004 à 2010 a conduit à une économie de subvention de 10 milliards de dinars suite à 17 augmentations trimestrielles des prix des produits pétroliers,  9 augmentations semestrielles des prix de l’électricité et 8 augmentations semestrielles du gaz. Avec 200 millimes d’augmentation sur le prix de la bouteille de gaz, l’impact annuel était de 160 millions de dinars. Sur une augmentation moyenne de 6,5% sur l’électricité et de 7% sur le gaz, l’impact annuel  était de 140 millions de dinars. Cette politique a mené également à une économie d’énergie de 5,3 milliards de dinars et une économie de subvention à l’État de 500 millions de dinars. Le prix du carburant a été baissé une seule fois en 2009 suite à la baisse du prix du baril de pétrole à 45 dollars. Pendant le gouvernement de la Troika, le ministère de l’Industrie sous la direction de l’actuel chef du gouvernement, Mehdi Jomâa a procédé à un programme de réforme de la Caisse de compensation de l’énergie.  Il a été décidé que les industriels énergivores notamment opérants dans le ciment, ne seront plus subventionnés qu’à hauteur de 50% à partir du 1er octobre 2013, dans une première étape, en attendant la suppression totale de la subvention en 2014. Quant à l’électricité, le prix de celle-ci a déjà connu une hausse de 2% pour les particuliers et 8% pour les entreprises en septembre 2012. Rappelons que le prix de  l’électricité est subventionné à hauteur de 95%. La valeur de la subvention de l’électricité est de 1531 dont 41% venant de la Caisse de compensation. Le produit le plus subventionné est la bouteille de gaz achetée à 25 dinars et vendue aux consommateurs à 7700 millimes soit une subvention de 218%.

 

La Caisse de subvention des produits de base

La Révolution a apporté avec elle d’autres produits qui seront subventionnés par la Caisse de compensation. Il s’agit  du lait stérilisé demi-écrémé, du sucre et du  concentré de tomate dont le prix vient d’être libéralisé. Il ne faut pas oublier la conséquence d’un 13 janvier où Ben Ali avant de partir a décidé de baisser le prix du gros pain de 250 à 230 millimes, la baguette de 200 à 190 millimes, la semoule de 480 à 450 et de tous les autres produits subventionnés. Selon M. Chokri Mamoghli, Secrétaire d’État auprès du ministre du Commerce et de l’artisanat, chargé du Commerce extérieur au gouvernement Ben Ali a signalé que les céréales et ses dérivés représentent 80% des charges de la Caisse de compensation. Selon M. Mamoghli, outre l’évolution des cours mondiaux, les dérives enregistrées dans les prix des produits élémentaires, viennent tout d’abord de la contrebande, des étrangers en nombre de 635.000 résidant en Tunisie. Le phénomène de la contrebande concerne essentiellement les dérivés des céréales, le lait et le concentré de tomates. Pour les étrangers qui sont des  touristes et des résidents maghrébins et européens à l’année qui font la navette et qui ne payent pas d’impôt et en même temps profitent des produits subventionnés.

 

Quelle réforme pour la Caisse de compensation ?

Dans une table ronde organisée par le Cercle de Kheireddine, la marge de manœuvre pour réformer la Caisse de compensation est limitée. Le constat premier est qu’on sera amené toujours à ajuster les prix. Cela dit, le dépassement d’un certain seuil d’augmentation des prix entraine un rejet de la population de ces ajustements, avec un fort risque de mouvements sociaux.  Donc il faut procéder à des ajustements faibles et  périodiques des prix. Selon la formule de l’indexation plafonnée. Quant à la contrebande, M. Mamoghli considère que  le contrôle douanier est un aspect très important de la lutte contre ce phénomène. Il a appelé à la  mise en place très graduelle et sur le moyen terme, d’une politique de prix maghrébine qui  peut être une alternative sérieuse. Quant à la politique de ciblage proposée par le FMI, Afif Chelbi, ministre de l’industrie dans le gouvernement de Ben Ali, considère que le ciblage demeure  très difficile à mettre en place. Cela coûterait plus cher que les économies à réaliser. Cela, par ailleurs, accentue le risque de corruption dans la classification des démunis et de ceux qui auront besoin de subvention.  D’ailleurs, le ciblage qui a été essayé dans plusieurs pays n’a pas réussi car son corollaire est l’augmentation brutale des prix. Le cercle de Kheireddine propose au gouvernement Jomâa de procéder aux ajustements suivants : pour le gros pain,  deux augmentations par an de 10 à 20 millimes. Selon M. Mamoghli, une augmentation de 10 millimes pour une famille de 5 personnes, consommant 5 gros pains par jour, entraînerait une charge  mensuelle supplémentaire de 1,5 dinar. Cette charge pourrait être réversée par  l’augmentation des salaires minima et les différentes pensions et cela de manière dégressive. Quant à l’énergie, M. Rassaa propose de communiquer, informer et sensibiliser les consommateurs à la politique d’ajustement des prix et aux effets négatifs de la subvention,  promouvoir le programme de maîtrise de la consommation d’énergie. Le Cercle Kheireddine  propose aussi de dynamiser le programme de maîtrise de l’énergie et améliorer les subventions servies aux différentes actions, en supprimant les plafonds des primes d’investissements. Développer l’utilisation des énergies renouvelables, en libéralisant la production et en rétablissant le niveau de subvention (40% qui a été réduit à 20% pour le photovoltaïque résidentiel). M.Rassaa a omis de mentionner le gaz de schiste qui peut être une alternative sérieuse pour le secteur de l’énergie. Cette alternative a été revendiquée par Mohamed Naceur, ancien ministre des Affaires sociales. Selon le Cercle Kheireddine, ces propositions nous permettront de revenir au niveau de la subvention de 2010 en six ans et huit ans pour la supprimer.   

 

Najeh Jaouadi 

 

Le Cercle de Kheireddine

Après la Révolution, un groupe d’acteurs de différents horizons  a pensé lancer un cercle de réflexion appelé « Le Cercle Kheireddine », qui se veut un Think Tank indépendant regroupant des universitaires, des fonctionnaires, des entrepreneurs, des syndicalistes, des hommes et des femmes de culture et de la société civile ayant une grande expérience dans leur domaine leur permettant d’avoir le recul nécessaire pour  apporter des réponses pertinentes aux problématiques qui se posent à notre pays. La thèse centrale qui sous-tend la réflexion du cercle Kheireddine, est que le principal obstacle au développement est un blocage idéologique persistant depuis quatre décennies à propos des rôles respectifs de l’État, du secteur privé et la société civile. Cette réflexion, sans a priori, permettra, en levant ce blocage de dessiner les contours d’un nouveau modèle de croissance et de développement  plus équilibré régionalement, socialement et en terme de gouvernance, et plus ambitieux, par un ancrage par le haut à l’économie mondiale et une plus rapide remontée technologique. Ce nouveau modèle devrait permettre à la Tunisie d’atteindre un nouveau palier de croissance (pour passer, à terme, de 4 % à 8 %) et à transformer la structure de l’économie vers une économie plus sophistiquée, offrant des activités à haute valeur ajoutée. On trouve dans ce cercle, des anciens ministres qui se sont succédé depuis l’ère Bourguiba.

 

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