Les caisses sociales assument un rôle vital pour la population et concrétisent la solidarité entre les générations, c’est pourquoi les informations relatives à leur déficit croissant engendrent des inquiétudes chez les ayants droit pour ce qui est de leur pérennité. Réalités fait le point de la situation en faisant appel à un expert dans ce domaine qui vient de publier un document de référence.
Il faut reconnaître que le système de sécurité sociale est un droit fondamental pour l’être humain, qu’il contribue de façon essentielle au développement économique du pays et favorise la préservation de la paix sociale. En effet il nourrit tout d’abord le sentiment de sécurité chez les individus et leur donne les moyens de se protéger et de se défendre contre les risques de la vie.
Évolution permanente des paramètres
Il faut dire que plusieurs facteurs économiques, démographiques et sociaux conditionnent les paramètres des régimes de sécurité sociale.
Cette évolution menace l’équilibre financier des régimes de sécurité sociale, qui n’est plus maîtrisé, car les prestations sociales connaissent une croissance beaucoup plus rapide que les recettes. Au fil des années, cela a mis en péril la durabilité sinon l’amélioration des prestations sociales et par voie de conséquence la pérennité des institutions et des régimes de sécurité sociale en vigueur à l’heure actuelle. Il faut dire que les régimes de sécurité sociale connaissent des difficultés de financement dans tous les pays où ils existent et ont régulièrement besoin de réformes pour s’adapter à l’évolution des paramètres économiques, démographiques et sociaux. Il appartient aux politiques de prendre des mesures pour sauvegarder la santé et le pouvoir d’achat des ayants droit.
Architecture de la sécurité sociale
Le système de la sécurité sociale en Tunisie a été organisé selon une architecture duale. Une caisse pour le secteur public, les fonctionnaires de l’État et les collectivités, c’est la CNRPS et une caisse pour les salariés du secteur privé, la caisse nationale de sécurité sociale, CNSS. Ces deux caisses assurent la gestion des régimes de retraite et servent les allocations familiales.
De son côté, la CNAM ou Caisse nationale d’assurance-maladie assure trois fonctions : l’assurance-maladie, les assurances-sociales ainsi que les accidents du travail et les maladies professionnelles. Chaque caisse a son propre statut, son mode de fonctionnement, son système de financement ainsi que son modèle de prestations de services sociaux.
Globalement, les trois caisses sociales avaient des bilans équilibrés jusqu’en 2010. Le tournant décisif en matière d’équilibre financier a été l’année 2011 qui a engendré un renversement de situation en raison de deux facteurs majeurs nouveaux, la croissance vertigineuse des dépenses et des recettes en stagnation ou en régression.
La CNSS un déficit de 78 MD en 2014
La CNSS a enregistré durant des décennies des excédents généreux de liquidités, du temps où la croissance économique permettait aussi bien aux entreprises privées qu’aux salariés de cotiser de façon constante.
En effet, la CNSS est alimentée à raison de 6,75% du montant des salaires : 40% étant à payer par l’employeur et 2,75% à prélever sur les salaires du personnel. Lorsque les entreprises économiques sont en difficultés financières ou ferment leurs portes suite à une faillite ou une cessation de paiement, ce qui provoque des licenciements, les recettes de la CNSS s’en ressentent sévèrement.
Suite aux retombées de la Révolution du 14 janvier 2011, près de 200 entreprises étrangères ont fermé leurs portes et plusieurs centaines de PME connaissent des difficultés financières après avoir connu des revendications salariales et sociales. Cela a engendré des pertes de ressources financières pour la CNSS. Parallèlement à cela, la population a vieilli et les adhérents qui ont atteint l’âge de la retraite ne cotisent plus et font valoir leur droit à une pension de retraite, ce qui a augmenté de façon sensible les dépenses de la CNSS.
Actuellement 3,5 personnes cotisent pour 1 retraité, une proportion insuffisante pour assurer l’équilibre financier de la Caisse, selon l’expert Khaled Sdiri l’équilibre implique cinq actifs pour un retraité.
La CNRPS : déficit de 212 MD en 2013
La CNRPS a connu en 2012 un déficit de 124 MD qui est passé à 212 MD en 2013. Il faut comprendre que le nombre de hauts fonctionnaires, anciens députés et ministres qui ont fait valoir leur droit à la retraite a augmenté considérablement.
En même temps, le nombre d’actifs qui cotisent a régressé, d’où le déficit croissant. Selon M. Khaled Sdiri, le nombre de cotisants représente actuellement une proportion de 2,5 personnes pour un bénéficiaire des prestations de la Caisse, ce qui est nettement insuffisant pour assurer son équilibre financier. D’après l’évaluation de l’expert, il faudrait 4 actifs pour 1 retraité pour y parvenir. Il est vrai que le relèvement de l’âge de la retraite dans la fonction publique à 65 ans pourrait favoriser cela.
La CNAM et l’assurance maladie
L’assurance maladie en elle-même a accusé un déficit de 180 MD en 2013, cependant les deux autres activités de la CNAM, à savoir les assurances sociales, les accidents de travail et les maladies professionnelles sont excédentaires. Ce qui fait que le bilan général de la CNAM n’est déficitaire que de 17 MD.
Il faut dire que les bénéficiaires des prestations de l’assurance maladie qui ne donne droit qu’à un remboursement de 200 dinars par an et par assuré pour les maladies courantes trouvent ce montant dérisoire par rapport au coût des actes médicaux et des médicaments, sans parler des prix pratiqués par les laboratoires et par l’imagerie médicale.
Certes il y a un vieillissement de la population et une expansion des maladies chroniques, mais l’État doit assumer ses responsabilités et assurer la sécurité sociale de la population. C’est pourquoi il est essentiel d’améliorer le niveau des remboursements et la qualité des prestations sociales de la CNAM. L’État doit trouver les ressources nécessaires pour combler les déficits de la CNAM, qui est déficitaire dans tous les pays du monde. Il y a également un problème de gouvernance à la CNAM, notamment pour ce qui est des fraudes décelées et contre lesquelles il faudrait sévir en multipliant les contrôles.
Réformes et solutions consensuelles
Afin de redresser les comptes des caisses sociales, il faudrait qu’il y ait avant tout une forte volonté politique de réformer le système, ce qui demande non seulement du courage, mais aussi l’obtention d’un consensus de la part de tous les partenaires sociaux sur la base d’un programme cohérent.
Il faudrait entreprendre en même temps trois réformes à la fois, une réforme fiscale qui devrait dégager des recettes significatives destinées à alimenter un fonds de sécurité sociale. Entreprendre une réforme du système de sécurité sociale avec recul de l’âge de la retraite. Enfin affecter une partie du budget de la Caisse de compensation aux ayants droit.
Ridha Lahmar