La crise des finances publiques représente certainement le plus grand défi pour le gouvernement en cette fin d’année et pour l’année à venir. En effet, le projet de loi de Finances 2018 présente un gap de près de 11 milliards de dinars entre les dépenses et les recettes. Un gap relativement important et qui représentera un challenge de taille pour le gouvernement à mobiliser. Ce gap, nous l’avons écrit à plusieurs reprises, résulte d’une dérive des finances publiques depuis la Révolution avec une croissance sans précédent des dépenses au moment où les recettes ont progressé de manière beaucoup moins rapide.
Cette crise des finances publiques a constitué le casse-tête de tous les gouvernements à partir de la fin de 2013 et a été au cœur des débats des experts mais aussi des discussions de la rue avec la peur que l’Etat ne puisse pas honorer ses engagements. Par ailleurs, la capacité de l’Etat à payer les salaires des fonctionnaires à la fin du mois est devenu un sujet de préoccupation du large public. Une préoccupation et des craintes qui ont été alimentées par des déclarations parfois hasardeuses de certains responsables politiques. Ces peurs ne se sont pas limitées au public mais elles devenaient le lot quotidien des responsables gouvernementaux et le défaut de paiement est devenu l’obsession qu’il faille éviter à tout prix.
Plusieurs stratégies et plusieurs initiatives ont été prises pour faire face à cette dérive et pour réduire le gap entre les dépenses et les recettes. On peut citer à ce niveau l’introduction de nouvelles taxes ou l’augmentation des taxes existantes, les tentatives de maîtrise des dépenses publiques, les efforts en matière de recouvrement et de contrôle de l’impôt.
Mais, dans ces projets et ces initiatives, il faut noter que c’est la démarche législative qui avait pris le pas sur les autres démarches. Et, les différents gouvernements ont mis beaucoup de temps et d’énergie dans la mise en place de nouvelles lois dans les différentes lois de Finances pour augmenter les recettes de l’Etat et faire face à un déficit budgétaire qui ne cesse d’augmenter. Cet effort législatif s’est traduit par l’introduction de nouvelles taxes ou l’augmentation des taxes existantes mais aussi des mesures afin de renforcer la lutte contre l’évasion fiscale, le commerce parallèle et la corruption. Cet effort législatif était nécessaire dans la mesure où il nous a permis de nettoyer des textes dépassés, d’introduire des mesures importantes d’une réforme fiscale afin d’introduire une plus grande efficacité et une part de justice sociale dans notre fiscalité mais aussi d’ajuster des taxes devenues désespérément faibles par rapport à l’évolution des prix.
Cet effort nous a donné un dispositif législatif important qui nous a permis non seulement d’augmenter nos recettes fiscales, mais de faire face à l’évasion fiscale et à la corruption. Mais, cette démarche a montré ses limites et son essoufflement depuis quelques mois et a exigé un changement d’optique dans les priorités des pouvoirs publics dans le domaine de la gestion des finances publiques. Plusieurs facteurs sont significatifs des limites de cette démarche. Le premier est l’incapacité du ministère des Finances à mettre en place certaines des mesures et des législations qui ont été mises en place. Le cas le plus connu à ce propos est celui de la taxe sur la résidence secondaire qui a été supprimée plus tard du fait des difficultés de glaner les informations nécessaires à sa mise en œuvre. Par ailleurs, la confusion qui règne sur le dispositif législatif nous a emmenés parfois dans des situations cocasses de discuter les mêmes projets de loi comme celui de la levée du secret bancaire. Ainsi, le dispositif législatif est devenu complexe et parfois confus ce qui rendait son application difficile et ses résultats limités.
La seconde raison qui explique l’essoufflement de cette démarche est le rejet de plus en plus manifeste de la part du public de toutes les hausses supplémentaires de taxes ou d’impôts. Ce rejet provient de l’impact des hausses supplémentaires sur le pouvoir d’achat mais aussi d’une perception de l’accroissement de l’inégalité devant l’impôt et de l’incapacité de l’Etat à lutter contre l’évasion fiscale.
En dépit de cet essoufflement et des limites de la démarche législative, les différents gouvernements ont poursuivi dans cette voie et les engagements d’une amélioration des efforts de contrôle et de recouvrement sont restés théoriques et en deça des besoins pour améliorer de manière significative les recettes de l’Etat. Ainsi, le projet de la nouvelle loi de Finances 2018 comporte son lot de nouvelles taxes et d’augmentation de taxes existantes, suscitant beaucoup de critiques et une défiance de plus en plus large du public de ces « solutions de facilité » pour augmenter les recettes de l’Etat.
Dans ce contexte de « fatigue fiscale » et de l’efficacité de plus en plus limitée de la démarche législative, il est temps de changer de fusil d’épaule et de mettre l’accent sur l’effort de contrôle et de recouvrement. D’ailleurs, l’activation et la mobilisation des départements au sein du ministère des Finances ces derniers mois ont montré leur efficacité avec une augmentation rapide des recettes fiscales. Il est nécessaire aujourd’hui de mettre l’accent sur ces efforts afin de diminuer l’évasion fiscale, d’augmenter la part recouvrable des créances classées qui remontent à près de 8 milliards de dinars, de limiter les fraudes notamment sur les chiffres d’affaires et d’imposer une application rigoureuse de certaines lois essentielles dont la limitation des paiements en espèce à cinq mille dinars. Pour parvenir à ces résultats il faut doter les départements de plus de moyens humains et financiers.
Cette réorientation des priorités des finances publiques aura un double effet. Elle permettra d’abord d’augmenter de manière significative les recettes fiscales. Elle aura également un effet psychologique important dans la mesure où elle corrigera une perception largement admise auprès du public de pouvoirs publics en manque d’imagination et dont les seules réponses aux défis des finances publiques c’est de s’attaquer aux contribuables.
Plus que jamais la crise grave des finances publiques exige des réponses nouvelles et qu’on sorte des sentiers battus. Le temps des bureaux est peut-être révolu et est venu le temps du terrain, du contrôle et du recouvrement.