Quelques orientations pour renouer avec la croissance

Une croissance durablement élevée repose sur un taux d’investissement élevé. Hélas, avec un niveau d’investissement privé (hors logement) ne dépassant pas 5% du PIB, il ne faut pas espérer grand-chose. Mais pourquoi investir ? L’hypothèse est que ce qui freine aujourd’hui l’investissement et par ricochet la croissance en Tunisie n’est ni l’insuffisance des ressources d’épargne ni la volatilité macroéconomique ou financière, mais le manque de perspectives économiques à long terme.

Par Mohamed Ben Naceur

 Pour qu’une économie tourne convenablement et atteigne un niveau d’emploi élevé, il faut des conditions : une bonne productivité, un arbitre faisant respecter les règles du jeu et un consensus en faveur de l’investissement et de l’innovation. Le gouvernement devrait agir, dans le cadre du nouveau plan de développement 2025-2030, sur ces leviers. Comment la Tunisie pourrait-elle améliorer sa trajectoire de croissance ? Quelles sont les composantes stratégiques de ce processus de croissance ?
Malheureusement, les derniers plans de développement manquent de vision et de propositions concrètes sur ce qui devrait se faire dans les prochaines années. C’est, à la limite, une reproduction médiocre des anciens plans de développement. Le ministère de la Planification doit impérativement réviser sa copie car le manque de vision claire envoie de mauvais signaux au secteur privé quant à l’orientation des politiques économiques et la crédibilité de l’engagement des pouvoirs publics à gérer l’économie avec efficience.
En tout état de cause, il y a lieu d’actionner quatre grands leviers. Le premier est celui du progrès technique, c’est-à-dire les nouveaux produits et processus de production ainsi que les changements organisationnels et sectoriels, sans oublier l’investissement et l’augmentation du capital. Le deuxième concerne l’amélioration des ressources humaines, qui pourrait bien être le facteur de croissance le plus important dans une société moderne de l’information. Le troisième levier concerne la suppression des obstacles actuels à la croissance, c’est-à-dire des inefficacités et dispositifs institutionnels limitant le potentiel de production. L’armada des mesures juridiques et administratives en est l’exemple le plus frappant. Le quatrième et dernier levier repose sur l’ouverture à la concurrence censée stimuler les performances.
Premièrement, il y a lieu de créer un environnement économique favorisant l’invention, l’innovation et l’investissement. Il faut également soutenir l’évolution technologique comme processus endogène de l’économie. L’entrepreneur, comme l’entendait Schumpeter, joue à cet égard un rôle décisif. Il prend des risques et invente de nouvelles combinaisons des facteurs de production. Pour créer plus de richesse et de croissance, nous avons besoin de davantage d’entrepreneurs.
Dans les industries nouvelles comme dans les secteurs traditionnels, il est indispensable de faciliter l’accès aux marchés afin de stimuler le dynamisme économique. C’est particulièrement important dans les nouveaux domaines comme la pharmacie, la biotechnologie, etc. Les réglementations sur les autorisations commerciales, la construction d’une usine et le brevet d’un nouveau produit déterminent l’accès aux marchés. Autre condition préalable : l’accès aux capitaux sur le marché du capital risque, en contournant les contraintes habituelles imposées par les banques comme seuls intermédiaires financiers.
Deuxièmement, le capital humain étant un déterminant majeur de la croissance économique, nous devons améliorer notre système de formation du capital humain et décourager le départ des compétences. Le système fiscal ne doit pas défavoriser l’accumulation du capital humain par rapport au capital physique. Il ne suffit pas de baisser l’impôt sur les sociétés. Perçus sur le revenu du travail, les taux des autres prélèvements obligatoires que sont les cotisations sociales sont élevés, qu’il s’agisse des taux marginaux ou des taux moyens. Il faut donc aussi les baisser.
Les structures de formation du capital humain sont déterminantes pour toute stratégie de croissance. Il convient de s’assurer de l’efficacité des systèmes scolaires, primaire et secondaire. Au niveau de l’enseignement supérieur, la future élite de notre pays est malheureusement formée à l’étranger. La raison en est simple.  Notre système universitaire est rigide et inefficace. Il faut ouvrir ce système à la concurrence. Aux universités de se disputer les meilleurs enseignants-chercheurs et étudiants, aux étudiants de se disputer les meilleures universités. Il y a lieu d’utiliser tous les talents qu’offre la société, ouvrir le système éducatif à toutes les compétences… et ne pas favoriser ceux des familles qui ont le plus de moyens.
Troisièmement, pour libérer les moteurs de la croissance, il convient d’en desserrer les freins. Le plus important est la rigidité administrative et juridique. Nous devons nous en affranchir. Nos institutions fonctionnent mal. Il est important de repenser l’organisation administrative dans notre pays. Assurons-nous que toutes les réglementations défavorables à l’investissement soient changées. Abolissons toutes les barrières à l’entrée. Ne protégeons pas les entreprises en place si cette protection empêche le développement du secteur. Laissons davantage la formation des prix au jeu du marché.
Quatrièmement, il faut s’en remettre à la concurrence et à une économie ouverte pour trouver des solutions et bousculer le statu quo. La concurrence par la géographie et par les institutions forge des économies solides, pousse les entreprises à se servir de leur invention pour réduire les coûts et créer de nouveaux produits. La concurrence s’est révélée être un processus de découverte de solutions plus efficaces. Elle favorisera une économie solide et robuste à long terme.
Enfin, l’équité ne peut plus être envisagée comme une notion statique et figée. L’idée de l’équité de la distribution des revenus doit être pensée dans un contexte dynamique, sans trop mettre l’accent sur l’équité à court terme. Le plus important est que les moins favorisés aient des chances d’accroître leurs revenus dans les cinq prochaines années. Nous devrions adopter une approche de long terme de l’égalité et de l’équité sociales. La croissance doit améliorer la situation de tous. L’objectif politique consiste à développer une situation de gagnant-gagnant permettant une large diffusion des bénéfices.

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