La nouvelle querelle qui prévaut en ce moment dans notre pays porte sur la situation désastreuse des médias publics et leur rôle. On le sait, depuis longtemps, ces établissements sont en crise. Une crise insidieuse et infiniment profonde qui prend la forme d’une inexorable montée en puissance de la défiance des gens envers les médias publics. Le constat n’est pas récent, mais il est plus vrai chaque jour et sa gravité est désormais impossible d’ignorer. Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir et interdit aux autres d’ouvrir les yeux. S’il y avait un prix de la plus mauvaise prestation de services dans tous les établissements publics, les médias, financés par l’argent des contribuables, concourraient dans les premières places. Ils peuvent même se vanter d’une prouesse : avoir réussi à créer l’unité des Tunisiens contre eux. Chose désormais très rare dans un secteur diversifié.
Cette situation en dit long sur l’amateurisme et la négligence, pour ne pas dire l’incompétence de la plupart de ceux qui ont été recrutés anarchiquement dans ces établissements pendant la décennie de braise. Ils ne savent pas ce qu’ils font. De plus, ils le font très mal. Plongés dans la tempête, gagnés par le doute, ils savent que la confiance du public dans ce qu’ils présentent est au plus bas. Ils savent aussi que les gens préfèrent les contourner pour s’informer via les médias étrangers et les réseaux sociaux, mais ils ne réagissent pas en continuant à vivre tranquillement dans les brouillards de la désinvolture.
Plusieurs coups de semonce auraient dû sonner l’alarme. Mais la plupart des responsables, désignés par le pouvoir des islamistes, fort peu responsables ou complément irresponsables, en l’occurrence, les ont intentionnellement ignorés.
On n’aurait peut-être pas dû y prêter attention. Et puis quand même. Il s’agit d’un secteur dont la facture est réglée par les contribuables.
À l’heure où la poussée d’un libéralisme fou dans le monde menace l’essence même des secteurs publics, le comportement de nos médias publics mérite d’être au centre des réflexions collectives sans rancœur ni tabou.
Mon ambition n’est pas de jeter de l’huile sur le feu, bien que mes analyses risquent d’agacer les plus attachés au concept de l’État-providence. Ce que je cherche essentiellement : comprendre la profondeur de champ de cette crise, éclairer sa portée néfaste en esquissant sa généalogie. Ce sera légitime d’accuser en premier lieu tous ceux qui ont retardé la prise de conscience par incompétence ou par intérêt pendant une décennie, compliquant la mise en œuvre de solutions plus efficaces. Légitime aussi de pointer la responsabilité des élites médiatiques bien trop passives.
Il faut regarder les choses en face. Les causes immédiates de l’impasse dans laquelle sont enfermés ces établissements médiatiques résident dans l’éclatement de leur rôle essentiel et la percée des incompétents. Le secteur public de la radio et de la télévision en particulier a vocation à élever vers le haut l’ensemble de l’offre faite, dans ce domaine, aux Tunisiens et à tous ceux qui, à l’étranger, regardent vers notre pays et sa réalité politique, culturelle et civilisationnelle. Dans un monde ouvert et globalisé, les programmes stéréotypés sont vite éventés et les idées courtes encore plus vite dépassées.
Faute de stratégie et parce qu’il récuse tout mécanisme d’organisation, de contrôle, de formation continue, d’arbitrage et de discipline, ce secteur public constitue, aujourd’hui, un foyer où peuvent prospérer, sans aucun contrôle, les poisons.
Ce problème, il est vrai, n’est pas nouveau. Mais nous devons lui restituer une part de son actualité en le situant au sein des processus éthiques, sociologiques et économiques qui l’ont fait passer du monde des suppositions à celui, plus inquiétant, de la triste réalité.
Il est temps d’avoir le courage de réformer ce secteur en profondeur pour que les Tunisiens aient davantage le sentiment que les médias publics, financés de leurs poches, sont les leurs.
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