Par Hakim Ben Hammouda
Finalement la crise de l’automne 2008 a emporté avec elle la Lehman Brothers mais surtout les années de la finance folle! Alors, l’idée est de savoir comment se porte l’église d’où tout est parti? Est-elle prise de remords? Où continue-t-elle à croire vaille que vaille dans ses certitudes et dans la force du marché?
Alors le journaliste John Cassidy qui vient de publier un ouvrage qui connaît beaucoup de succès aux États-Unis sur la faillite du marché intitulé «How markets fail» a eu l’excellente idée de faire une visite à l’Université de Chicago pour le compte de l’hebdomadaire new-yorkais «The New Yorker». Que nous dit ce reportage qui vient d’être publié avec un titre très évocateur «After the blowup» (Après la débâcle)? Bien évidemment que l’ambiance à Chicago n’est pas au beau fixe! Et, est-ce qu’il pourrait en être autrement tant cette crise est perçue aujourd’hui comme celle du néo-libéralisme triomphant et de la main invisible du marché!
Mais, au-delà de l’ambiance générale dans cette citadelle de nouveau assiégée par les critiques et par un retour du maître de Cambridge, Keynes, sur le devant de la scène, ce reportage et les interviews réalisés par John Cassidy, nous apprennent beaucoup sur les réponses des maîtres déchus et surtout sur l’évolution de cette église du nouveau libéralisme. Il faut souligner que cette crise a fait beaucoup de dégâts et a emmené certains à réviser leurs croyances passées. Richard Posner, l’un des maîtres du néo-libéralisme et non des moindres, rejette ses croyances et se convertit à la nouvelle religion du keynésianisme. Posner, qui était pourtant proche des républicains et nommé par Ronald Reagan à la Cour d’appel en 1981, a écrit un livre en début d’année sur la faillite du capitalisme et a annoncé que ses collègues et lui-même sont allés trop loin dans leur défense du capitalisme et dans la croyance dans la capacité du marché à résorber tous les déséquilibres! Posner est allé plus loin encore en annonçant en septembre dernier sa conversion au keynésianisme, autant dire l’ennemi honni, dont les préceptes sont plus pragmatiques et répondent mieux aux défis des économies modernes!
D’autres, même en plein doute et de désarroi, ne franchissent pas le pas et tiennent la citadelle même si les attaques se multiplient contre-elle. C’est la cas de Gary Becker, prix Nobel lui aussi en 1992, qui dans les moments du triomphalisme du néo-libéralisme a voulu même appliquer les préceptes du libre marché à l’analyse des phénomènes politiques et particulièrement des élections et du vote! Becker est revenu de ses croyances passées et se pose des questions sur l’efficience des marchés et leur capacité à faire face aux déséquilibres croissants et surtout à l’aventurisme des traders financiers!
Comme dans toutes les églises et les religions, il y a les gardiens du temple! À Chicago, ce sont Eugene Fama et son beau fils John Cochrane. Comme dans toutes les églises, à Chicago on se marie aussi entre convertis! Fama croit fermement, et plus qu’avant dans l’efficience des marchés et leur capacité à auto-réguler le système! D’ailleurs, il ne veut plus entendre parler de bulles. Il nous apprend qu’il a arrêté son abonnement au pourtant néo-libéral hebdomadaire britannique The Economist car il utilisait à son goût un peu trop le terme «bulle»! Et, la crise alors, Sieur Fama et grand gourou des finances modernes? C’est la faute aux gouvernements et certainement pas au marché, rétorque-t-il! Les politiques de sauvetage des banques par les gouvernements? Inutiles et on aurait dû laisser certaines faire faillite comme c’était le cas pour la Lehman Brothers sans que cela ait de graves conséquences sur le système! Un discours qui fait froid dans le dos comme tous les discours des croyants en leurs dogmes!
En dépit des propos des gardiens du temple, la citadelle du néo-libéralisme semble assommée par cette crise! Et, toute la question est de savoir si les économistes sauront se renouveler pour sortir de la domination de cette pensée unique ?