La Tunisie court à sa propre perte et aucun indicateur ne vient, aujourd’hui, contredire cet excès de pessimisme ambiant. Jusqu’où les Tunisiens peuvent-ils aller dans la destruction de leur pays, dans l’annihilation de tous les espoirs nés chez des jeunes longtemps mortifiés par l’exclusion, l’injustice et la précarité ?Jusqu’à quand la classe politique va-t-elle rester prisonnière d’un discours décalé et d’un jeu politicien qui contient les germes de la désunion et de la discorde ?Jusqu’où les organisations nationales vont-elles poursuivre une action de déstabilisation et d’agitation qui se situent aux antipodes des intérêts des catégories qu’elles sont censées défendre ?
Ce qui se passe en Tunisie, depuis maintenant près de six mois, est grave, voire même inquiétant, doublant tout le temps d’intensité et gagnant de jour en jour en complexité. Il traduit la grande panne que connaît un pays qui vient pourtant de prouver son aptitude pour la démocratie et pour une vie politique où les notions de citoyenneté et de participation sont loin d’être de vains mots. Une panne générale qui est en train de paralyser son modèle, ses leaders politiques et ses élites étant incapables de proposer des réponses, offrir une alternative sérieuse, redonner espoir et confiance aux Tunisiens.
Alors que le pays court des risques terroristes de plus en plus graves menaçant sa sécurité, son unité et son modèle de société, connaît des difficultés économiques sans précédent, une agitation sociale continue et bien entretenue, les pistes de sortie apparaîssent sinueuses, lointaines et les perspectives peu claires.
Est-il admissible aujourd’hui de voir tous les acteurs qui se sont appropriés, à tort ou à raison, le mérite de la précipitation de la chute de la dictature, se transformer en fossoyeurs de la démocratie naissante et en destructeurs invétérés de tout processus de construction politique, économique et social ayant pour référentiel le dialogue serein, responsable et franc. ? La course au pouvoir est-elle en train d’aveugler les Tunisiens qui ne peuvent plus faire montre de discernement, d’ouverture et de tolérance ?
Aujourd’hui, le dialogue et le compromis social sont-ils possibles en cette Tunisie qui ne cesse de souffrir de contractions douloureuses et qui peine à trouver la bonne voie? Tout le monde consent que le dialogue se présente comme la panacée, au regard des risques qui pèsent sur le pays et de la lourdeur de la facture à payer. Dans cette guerre sans merci que se livrent les Tunisiens pour des agendas, parfois suspects, nos politiques, experts, élites et représentants de la société civile ont-ils préféré fuir leurs responsabilités pour se transformer en simples agitateurs des foules, non d’idées?
Devant la difficulté de fournir des explications, voire des réponses à ce bouillonnement sans fin que connaît le pays depuis des mois et, surtout, la faiblesse de l’Etat et l’incapacité manifeste des Tunisiens de se mettre d’accord sur un ordre de priorités, l’on ne peut dire que l’heure de vérité a sonné.
Pour arrêter cette lente mais inexorable descente du pays aux enfers de la discorde, de la contestation excessive et de l’anarchie, le temps est venu pour redonner au dialogue social tout son sens. Un dialogue qui prend en considération les intérêts du pays, ses capacités et l’impérieuse nécessité d’orienter tous les efforts vers des objectifs mobilisateurs comme la lutte contre le terrorisme, la remise en marche de la machine économique et la réponse aux attentes des catégories les plus vulnérables.
Réduire le dialogue social au seul combat de la revalorisation des salaires, alors que l’activité économique est aux arrêts, la productivité nulle et la valeur du travail sérieusement mise à mal, est suicidaire. Le dialogue que de nombreuses voix commencent à réclamer haut et fort ne peut réussir que s’il émane d’une prise de conscience et d’une convergence de vision et d’intérêt. Pour permettre au pays de passer ce cap difficile et annonciateur de tous les périls, partis politiques, société civile et organisations nationales sont investis d’une grande responsabilité ; celle qui consiste à reléguer leurs différences et à parvenir à un compromis salvateur qui épargnerait le pays de biens de tourments et de douloureuses convulsions.
Ces forces ont prouvé, dans un passé récent, leur capacité à s’unir autour d’un projet qui a permis l’éclosion d’une expérience démocratique inédite dans la région. Il est demandé prestement à ces mêmes forces de faire un effort supplémentaire pour ne pas tuer ce processus fragile en offrant la possibilité à la Tunisie de reprendre son souffle pour assurer sa transition économique et sociale.
Cela ne peut se faire que par l’effort, le sacrifice, la réforme et l’action. La trêve sociale que tout le monde réclame actuellement trouve tout son sens dans ce souci qui anime de nombreuses parties : sauver le bateau Tunisie des nouvelles fortes turbulences qui risquent d’être cette fois-ci fatales.
En effet, toute fuite en avant ne peut que préparer le terrain aux groupes terroristes qui, jusqu’ici, ont su tirer profit des surenchères politiques qui ont jusqu’ici dominé le débat politique, de la désunion de la classe politique et des revendications sociales excessives qui risquent plus de renforcer les rangs des chômeurs que d’améliorer véritablement le niveau de vie des Tunisiens.