Questionnements lancinants

Les concertations engagées par la présidence de la République pour la formation d’un gouvernement d’union nationale ont tendance à s’éterniser et à s’enliser. Chaque jour on s’éloigne, un peu plus, de l’objectif recherché, on saisit l’incapacité de notre classe politique à engager un dialogue serein et responsable, on se rend compte que le coup tenté par Béji Caïd Essebsi pour faire bouger les choses a manqué sa cible et on mesure la perte d’opportunités pour un pays qui croule sous l’effet des difficultés,  et peine à trouver la bonne piste qui le ferait sortir du bourbier dans lequel il s’est englué.

L’impasse actuelle était prévisible et les divergences des parties directement impliquées dans ce processus paraissent inconciliables. Qu’il s’agisse de la feuille de route qu’on s’évertue à préparer, des priorités qu’on tente de définir pour la prochaine équipe gouvernementale ou de la composition du prochain gouvernement, le consensus paraît hors de portée. Chacun cache son jeu, tente d’imposer ses vues et choix et cherche à prendre une part du gâteau, sans se soucier outre mesure des problématiques ou des défis qu’affronte le pays.

Trois semaines après le coup d’éclat présidentiel, on en est presque au point de départ et rien n’indique que des changements majeurs allaient intervenir ou une mobilisation significative allait se cristalliser pour vaincre l’inertie qui a longtemps duré, l’anarchie qui a gagné tout le pays et la tension et la colère qui ne finissent pas de gronder.

En provoquant une crise gouvernementale qui devrait inévitablement se solder par le départ d’Habib Essid de la Kasbah, Béji Caïd Essebsi n’a pas vraisemblablement pris en considération certaines vérités, en l’occurrence la complexité du paysage politique et social. Résultat : son initiative devrait  reproduire le même projet, à savoir  un autre gouvernement de coalition, formé par les mêmes partis qui ont enfoncé le pays dans une crise systémique sans précédent, n’ont pas réussi à restaurer l’espoir chez les Tunisiens, ni trouver des réponses décisives à des difficultés que d’aucuns ne peuvent préjuger de leurs conséquences.

Aujourd’hui, nul ne peut nier que le pays est en train de payer les pots cassés de l’incapacité de ses dirigeants et de sa classe politique à construire un avenir, à restaurer la confiance, à donner un signal clair aux Tunisiens sur sa détermination à œuvrer pour construire un projet consensuel et à renforcer les fondements d’une démocratie naissante et d’un Etat de droit.

La preuve a été fournie par le déroulement des concertations qui ont donné une image claire sur la désunion de la classe politique, plus encline au marchandage et aux manœuvres dilatoires qu’à la formulation de propositions claires, à son incapacité à concevoir des choix réalisables et à conduire un dialogue responsable qui tient compte des intérêts du pays et des attentes des Tunisiens. A cet effet, le jeu trouble auquel se plaît à jouer le Front populaire, qui a vite jeté l’éponge, n’a pas surpris outre mesure. Sans pouvoir présenter une alternative ou des propositions qui auraient pu enrichir ce dialogue, le Front populaire a préféré opter pour la politique de la chaise vide. Fidèle à son image, il parie sur l’échec de cette initiative et préfère la posture confortable qu’il a constamment occupée, celle  qui lui permet de tout dénigrer, de tout remettre en question, de ne pas partager l’échec des autres,   tout en ne se mouillant pas en mettant la main à la pâte quand la situation du pays l’exige.

Le Front populaire n’est pas le seul qui trouve son compte dans le pourrissement de la situation politique, économique et sociale, d’autres parties qu’on a voulu impliquer dans ce processus à l’effet d’élargir la concertation et de faire semblant, dans cette étape difficile, d’esprit d’ouverture, suivent la même piste en tentant d’imposer des choix contre nature ou de revoir de fond en comble des réformes déjà mises en route ou de développer un discours populiste en net décalage avec le temps et l’espace.

Face au dilemme que traverse le pays, ce qui dérange le plus, c’est la désinvolture de la classe politique qui, au moment où la Tunisie s’enfonce dans une grave crise et des difficultés qui peuvent la déstabiliser durablement, préfère se dérober en profitant de l’occasion pour exacerber les divisions et les tensions de toutes sortes, qu’à chercher des voies de sortie dans un esprit de compromis. Ce dernier paraît telle une chimère qu’on ne cesse de poursuivre, sans réussir à lui trouver de trace tant l’accaparation du pouvoir et l’obtention des avantages constituent l’essence qui catalyse l’action des acteurs politiques.

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