La fuite en avant de l’UGTT se poursuit dans une insouciance presque complice des acteurs politiques et de la société civile. Le grand dérapage de la Centrale syndicale vers l’action politique, confirmé par les différents dirigeants syndicaux qui ont investi les médias sans aucune modération, trahit leurs véritables visées, administrant la preuve qu’ils sont en train d’exploiter le champ social à des fins politiciennes. Leur guerre déclarée contre le gouvernement Chahed, depuis environ un an, ne concerne pas, reconnaissent-ils publiquement, seulement le non-aboutissement des négociations salariales dans la fonction publique, mais plutôt, prétendent-ils, la défense de la souveraineté nationale et la liberté de décision du pays. Cet argument, fallacieux, qu’ils sont en train de développer dans tous leurs meetings enflammés, où l’action du gouvernement est la cible d’attaques en règle, interloque et surprend. Il montre la dimension démagogique qui caractérise, depuis un certain temps, le discours de la Centrale syndicale qui a sacrifié le dialogue et les voies du compromis sur l’autel des revendications excessives et des ambitions politiques peu avouées.
Le couac réside dans le fait qu’on a l’impression que ce n’est qu’aujourd’hui que l’UGTT découvre que le pays est soumis à la tutelle du FMI, alors que depuis au moins quatre ans, il n’a fait que s’endetter et pour servir les salaires et pour satisfaire des augmentations salariales que tout bon sens interdit.
Invoquer actuellement, d’une manière insistante, cet argument et en faire son arme de combat contre le gouvernement Youssef Chahed, paraît à la fois peu honnête et non crédible. Taxer le gouvernement d’incompétence et d’incapacité de mener les réformes relève également d’une sorte de myopie. En fait, qui est derrière le blocage de toutes les réformes essentielles, celles des systèmes d’éducation, d’enseignement supérieur, de la sécurité sociale, des entreprises publiques… ? Manifestement, à défaut d’imposer ses choix dans tous ces dossiers, l’UGTT a avorté tout le processus de réformes faisant courir au pays le risque de voir le système de sécurité sociale tomber en faillite, les entreprises publiques mettre la clef sous le paillasson et sacrifier l’école publique par l’aveuglement de dirigeants syndicaux, des électrons libres ne respectant aucune règle, éthique ou légale.
Répéter à satiété que la grève est un droit constitutionnel devient un leurre, un faux argument. Ne peut-on pas affirmer, a contrario, que la liberté de travailler possède la même force, sinon plus ? Comment expliquer dès lors que les structures de l’UGTT imposent leur loi, niant à ceux qui refusent de les suivre, le droit de travailler sans être menacés, intimidés, voire même agressés?
Comment expliquer l’absence de tout sens de la mesure chez les dirigeants syndicaux qui, avant même que la grève ne commence, se sont empressés d’annoncer que plus de 95% des employés ont observé le mot d’ordre, trouvant au passage un malin plaisir d’étaler leurs prouesses , en coupant le pays du monde, paralysant les aéroports, condamnant les Tunisiens à l’immobilisme et résignant les entreprises à faire le bilan de leurs pertes ?
Peut-on crier haut et fort qu’ils sont les dignes héritiers du leader Farhat Hached, quand ils se mobilisent, non pas pour favoriser le compromis et la paix sociale, mais plutôt pour détruire l’économie du pays et sa paix sociale ? Défendre la souveraineté nationale et la liberté de décision du pays, peut-il être obtenu par les débrayages sauvages des structures syndicales sectorielles ou régionales incontrôlables et non redevables de leur action et par l’amalgame entre le politique et le social ?
A trop vouloir chercher à utiliser le bras de fer comme moyen pour parvenir à ses fins, l’UGTT a fait perdre au dialogue social ses vertus, son sens. A quoi sert de créer un Conseil national du dialogue social, appelé à être le cadre adéquat pour régler les différends sociaux, notamment quand les parties qui le composent s’abstiennent sciemment de conférer à son rôle effectivité et efficacité ?
Enfin, comment expliquer le silence du président de la République dans cette grave crise, lui qui a reçu à plusieurs reprises le Secrétaire général de l’UGTT tout en continuant à tourner le dos au Chef du gouvernement depuis maintenant plus de deux mois ? Le prestige de l’Etat, ne passe-t-il pas également par le respect des formes et la coordination entre les deux têtes de l’Exécutif, même si elles ne sont pas en parfait accord ?