La Tunisie vient de célébrer le 62e anniversaire de son indépendance dans une atmosphère à la fois maussade et empreinte de doute et de questionnement. Signe des temps, cet évènement survient à un moment où le pays vit une véritable tourmente politique, économique et sociale, source de grandes inquiétudes et d’un profond désenchantement. Ce sentiment est nourri par le cercle vicieux dans lequel ne cesse de se débattre le pays qui se perçoit à travers l’absence de pistes de sortie de crise, de vision, d’acteurs capables de conduire le changement et de négocier un compromis qui permet aux Tunisiens de se réconcilier avec eux-mêmes, outre l’accentuation des difficultés économiques et des revendications sociales qui ont laissé croire que la Tunisie est devenue ingouvernable. Sur le plan politique, la transition est, plus que jamais, bloquée et le pays est en train de faire du surplace, ne trouvant pas les bons ressorts ni les meilleures pistes qui permettent de poursuivre cette construction dans un esprit de cohésion propre à renforcer la confiance des citoyens en l’avenir.
La grave tournure prise par les événements ces derniers temps sur le plan politique avec le coup de force tenté par l’UGTT pour provoquer une crise gouvernementale, à quelques semaines d’élections municipales cruciales, a donné l’image d’une Tunisie à la dérive, risquant de chavirer à tout moment. Un pays qui ne cesse de se ronger de l’intérieur, non comme certains se plaisent à dire, faute de capitaine, mais plutôt de projet cohérent et de classe politique vorace qui a hâte d’accaparer le pouvoir et de partager le gâteau que de servir. Faute également d’une société civile entreprenante et responsable, constamment occupée à tout monnayer, à mettre à mal un équilibre précaire et à attiser les feux de la discorde.
62 ans après l’indépendance du pays, des questions lancinantes restent sans réponses avec en sus un pessimisme de plus en plus pesant sur la capacité du pays à achever sa transition politique, à vaincre les démons du doute, du laxisme et de l’inaction qui l’habitent.
Alors que le pays semble enfin trouver le chemin en s’engageant dans un processus visant à consacrer la démocratie locale et à renforcer les pouvoirs locaux, on s’aperçoit que la fête vient d’être gâchée et certains se sont empressés avec une insoutenable légèreté, à tirer le pays vers l’arrière en usant de tous les moyens, y compris ceux qui portent atteinte aux fondements mêmes de la démocratie et de la légitimité populaire. En bloquant toutes les réformes essentielles, en s’érigeant en pouvoir absolu dans le pays, en imposant des augmentations salariales au moment où les caisses du pays sont à plat et les entreprises vivent sous perfusion, et en alimentant la tension sociale partout dans le pays, la Centrale syndicale a cru bon surprendre tout le monde en cherchant à brouiller les cartes à travers des manœuvres politiciennes dont les visées sont peu claires.
A l’évidence, l’inquiétude et le pessimisme ambiants ont été amplifiés par l’inconséquence d’une classe politique dont la multiplication sauvage et la grande diversité se sont faites au détriment de la qualité du projet et de la consistance du débat public qu’elle est censée développer. Le grand paradoxe que nous vivons est que l’inflation de partis a été plutôt un vecteur de surenchères politiques stériles, de règlements de comptes interminables, rarement d’échanges d’idées féconds, d’un fort ancrage dans les régions ou d’une capacité d’encadrement de la population.
62 ans après l’indépendance, la Tunisie apparaît plus que jamais sans repères, sans projet d’avenir clair et n’offrant pas de perspectives à sa population et ses régions.
Peut-il en être autrement, lorsqu’on sait que la logique partisane, voire même tribale, est en train de prendre le dessus sur toute autre chose ? Peut-il en être autrement lorsqu’on s’aperçoit que l’incompétence est devenue une vertu cardinale et que tout se négocie en fonction des intérêts claniques ? Notre pays, qui est au bord de l’implosion, peut-il espérer un meilleur sort quand l’esprit vindicatif et revendicatif l’emporte sur le travail, l’effort et le mérite ?